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MESSE AU DEUXIÈME SIÈCLE : SAINT IRÉNÉE


Dieu et son nouveau peuple. (Test encore à ce mystère que pense l'évêqûe de Lyon quand il compare les sacrifices des Juifs à ceux des chrétiens : les premiers étaient des oblations d’esclaves, les seconds sont des offrandes de créatures libres. Or, on sait que d’après saint Irénée la rédemption a payé la rançon de notre liberté. Il faut donc admettre que, dans sa pensée, le sacrifice chrétien de prémices est celui qu’offre un monde racheté par le Christ. Il n’aurait pas été possible sans l’incarnation et la mort du Seigneur. Irénée lui-même d’ailleurs affirme la connexion des mystères du salut et de l’eucharistie : « Si la chair n’est pas sauvée, le Seigneur ne nous a pas rachetés avec son sang, et ainsi la coupe de l’eucharistie n’est pas communion à son sang. » Irénée insiste sur cette pensée. Il la répète deux fois encore au même endroit : « Le Verbe de Dieu vraiment incarné nous a rachetés en son sang… Nous avons en Jésus par son sang la rédemption avec la rémission des péchés. » V, ii, 2. On voit par ce développement que l’offrande de l’eucharistie fait passer dans la chair et le sang de l’homme, avec la chair et le sang du Rédempteur les fruits de sa mort : la vie éternelle.

Il reste vrai qu' Irénée parle sans cesse de la création. Il ne peut pas dire que nous offrons à Dieu quelque chose, et il est incapable de mentionner l’eucharistie sans faire observer que cette oblation, ce corps et ce sang du Christ, viennent du pain et du viii, de fruits de notre sol, d'êtres de notre monde, tirés du néant par Dieu et qui lui appartiennent. — Cette insistance, qui est une véritable nouveauté, s’explique fort bien. Irénée éciit contre des hérétiques. Certains, les marcionites, prétendaient que le Père n'était pas l’auteur de ce monde. Irénée leur pose cette question : « Pourquoi faites-vous l’eucharistie ? Pourquoi offrezvous au Père ce qui n’est pas à lui, des êtres de notre monde créé, et dont vous semblez croire qu’il est cupide ? » D’autres hérétiques, les valentiniens, vilipendaient notre univers qui serait œuvre de faiblesse, d’ignorance et de passion : mais alors, leur fait observer l'évêqûe de Lyon, puisque l’eucharistie est une de ces créatures que vous méprisez, pourquoi l' offrezvous à Dieu ? Le grand adversaire des gnostiques est hanté par le souvenir de ces erreurs, voilà pourquoi il fait ce à quoi n’avaient pas besoin de penser les écrivains antérieurs : il ne nomme ni les dons ni l’eucharistie sans ajouter : « ils sont partie de la création, et partant ils condamnent votre erreur. »

Aux hérésies nouvelles, Irénée oppose donc une manière toute nouvelle de présenter une doctrine des plus anciennes et que le christianisme avait héritée des Juifs, celle de la création. Les écrivains antérieurs ne l’oublient pas. La Didachè, x, 3, invite le communiant à remercier « le Maître tout-puissant qui a créé l’univers » ; saint Justin nous apprend aussi que le président adressait louange et gloire au « Père de l’univers », I Apol., lxv, 3 et « rendait grâces à Dieu de ce qu’il a créé le monde ». Dial., xii, 2.

Tout ce qu’on découvre en Irénée d’ailleurs, on le trouve chez res devanciers. L’eucharistie se compose de pain et d’une coupe de vin (Didachè, Ignace, Justin), mélangé d’eau (Justin) ; qui au cours d’un acte liturgique accompli par la hiérarchie légitime (Didachè, Clément, Ignace, Justin) reçoivent la parole de Dieu (Justin) et deviennent ainsi corps et sang du Christ (Didachè, Ignace, Justin) pour être de par sa volonté (Clément, Justin) le sacrifice (Didachè, Justin) prédit par Malachie, sacrifice pur et universel (Didachè, Justin), sacrifice qui succède aux oblations d’Israël (Clément, Justin), sacrifice qui honore Dieu et lui rend grâces (Didachè, Clément), sacrifice qui assure ses bienfaits (Didachè, Clément, Ignace, Justin) et en particulier l’immortalité du corps (Didachè, Ignace,

Justin) aux fidèles bien disposés (Didachè, Ignace, Justin). Irénée n’est donc pas le novateur, le révolutionnaire imaginé par Wieland. Il apparaît ce qu’il se montre toujours : le fidèle disciple du passé, de Poiycarpe et des presbytres asiates, « l’homme par excellence de la tradition ». Tixeront, op. cit., p. 261. c) La conception du sacrifice chrétien dans Irénée : première synthèse doctrinale. - — Mais, on ne peut hésiter à le reconnaître. II y a de l’inédit en saint Irénée : la première synthèse dogmatique et morale de toutes les données éparses qu’on recueille chez ses devanciers. Vacant, Histoire de la conception du sacrifice de la messe dans l'Église latine, Paris et Lyon, 1894, p. 8. Il pose des principes sur le sacrifice, en montre l’application dans l’Ancien Testament, puis chez les chrétiens.

a. Principes généraux sur les sacrifices. — A un roi, on offre des dons pour lui faire honneur et lui témoigner de l’affection. Dieu est l’auteur, le maître du monde. Certes, il n’a nul besoin de nos présents, Irénée ne cesse de le redire, mais nous avons besoin de lui offrir quelque chose, afin de n'être ni ingrats ni stériles. IV, xviii, 1-6. Ainsi nous sommes tenus de l’honorer, de rendre grâces à sa souveraineté, de lui prouver notre amour. IV, xviii, 1, 2, 6. Il faut donc que l’homme ne se présente pas devant le Très-Haut les mains vides : nous devons lui offrir les prémices de la création. IV, xviii, 1. Puisqu’il n’a que faire de nos présents, ce qui leur assure de la valeur, ce sont nos sentiments. Les sacrifices sont purs auprès de Dieu et ils le glorifient, s’ils sont offerts avec innocence et simplicité, sans hypocrisie, IV, xviii, 1, 3 ; car ils sont alors à ses yeux les présents d’un ami. IV, xviii, 3. Fussent-ils accomplis extérieurement de la manière la plus parfaite, si l'âme qui les offre est coupable, ces oblations ne peuvent qu'être réprouvées ; c’est comme si, au lieu d’immoler un veau, elle sacrifiait un chien. IV, xviii, 3. — Quand, au contraire, les dispositions intérieures sont ce qu’elles doivent être, l’homme retire pour lui-même du profit de son sacrifice. IV, xviii, 6. Pour ce second motif encore nous, devons faire des offrandes : il importe que nous ne nous privions pas des fruits à recueillir de nos dons. D’abord il est glorieux pour nous de voir nos présents agréés de Dieu. Quelque chose de l’honneur qui est rendu au Créateur, revient à la créature. Puis, par le fait qu’il rend grâces, l’homme trouve grâce. IV, xviii, 1. Accueillies auprès de Dieu, nos bonnes œuvres nous obtiennent en récompense ses bienfaits. Ainsi on voit comment ! e sacrifice non seulement remercie le Très-Haut, mais sanctifie la créature. IV, xviii, 6. Il y a là un nouveau motif pour lequel il doit être accompagné des dispositions intéiieures convenables. En vain l’acte rituel est accompli selon toutes les prescriptions du cérémonial, si nous sommes coupables, il ne trompe pas Dieu qui connaît les sentiments des cœurs. Si donc le péché habite en une âme, si l’homme ne craint pas le Seigneur et n’aime pas ses semblables, comme il le doit, loin de lui être utile, l’oblation en apparence la plus parfaite ne peut que lui devenir nuisible, le rendre plus coupable et faire de lui son propre meurtrier. IV, xviii, 3. Car ce n’est pas le sacrifice qui sanctifie l’homme, c’est la conscience pure de l’homme qui sanctifie le sacrifice. IV, xviii. 3.

b. Le sacrifice de l’Ancien Testament. — Saint Irénée montre comment se vérifiaient sous l’Ancienne Loi ces prescriptions. Dieu agréa le sacrifice d’Abel offert avec simplicité et justice ; au contraire, il se détourna des oblations de Caïn, à cause de la jalousie et de la malice de son cœur. IV, xviii. 3. Chez les Juifs il voulut qu’il y eût des sacrifices, afin de leur apprendre comment ils devaient le servir. IV, xviii, 6. Mais ce