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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 10.1.djvu/488

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MESSE DANS L’ANTIQUITÉ : CONCLUSIONS

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d’une victime, Wieland a pu aisément le démontrer. Il a eu tort de conclure que l’eucharistie était une simple oblation de prières. Des textes nombreux et formels montrent qu’elle esi un sacrifice proprement dit.

Comment ? — Certes les premiers chrétiens n’ont pas disserté sur l’essence du sacrifice de la messe, comme l’ont fait les théologiens postérieurs au concile de Trente. Pourtant] il est difficile d’admettre qu’ils ne savaient pas ce qu’ils voulaient dire, quand ils attribuaient à l’eucharistie le caractère d’une oblation rituelle.

Un fait est certain et domine tout. Dès la plus haute antiquité, il a été admis et affirmé que la cène chrétienne se rattache au dernier repas pris par Jésus avec les Douze, la veille de sa mort. D’autre part, quatre des principaux témoins de l’eucharistie à cette époque, les seuls qui offrent des éléments de réponse à la question ici posée, 'Irénée, Origène, Hippolyte et Cyprien, s’accordent à présenter d’une manière complète ou imparfaite une même synthèse.

D’après l'évêque de Lyon, pour rendre grâces à Dieu, l'Église lui présente dans l’eucharistie ce que Jésus lui a ofîert au cénacle, son corps et son sang, prémices du monde racheté par leur immolation sur la croix. Un tel don, si ceux qui le font au Très-Haut ont les sentiments requis, ne peut que lui être agréable. Aussi Dieu daigne-t-il nous le rendre, et nous mangeons la chair du Christ qui nous donne l’immortalité, la vie divine.

Origène exprime de semblables pensées, parfois en des termes identiques. Les chrétiens rendent grâces à Dieu en lui offrant les prémices de ses dons, le pain qui dans l’eucharistie devient le corps saint offert jadis par Jésus lui-même au cénacle, corps, dont le sang a coulé sur la croix pour le salut des hommes. Si nos dispositions sont ce qu’elles doivent être, pendant que nous prions ainsi, Jésus, notre grand pontife qui a pénétré dans le ciel se joint à nous ; nos dons alors ne peuvent qu'être agréés. Mais Dieu ne nous demande que pour avoir l’occasion de donner ; il nous rend ce que nous lui offrons, et il y ajoute ce que nous ne lui avons pas présenté. A la place des bien terrestres, il nous communique les biens célestes dans le Christ Jésus. Nous le recevons et le sang du Sauveur nous devient propitiatoire.

Hippolyte ne s’exprime guère différemment. Dans l’anaphore qu’il nous a conservée, l’officiant redit sur le pain et le vin les mots : Ceci est mon corps, ceci est mon sang. Il se souvient donc de la passion que Jésus a offerte par ces paroles à son Père. Mais il se rappelle aussi la résurrection, dit l’anaphore. L’officiant pense donc aussi à la chair de Jésus qui est au ciel. L’esprit fixé sur ces souvenirs, il rend grâces en offrant le pain et le vin sur lesquels a été prononcée la parole de Dieu. Ces dons se confondent avec cette chair céleste du Christ dont Hippolyte dit ailleurs qu'à elle l’humanité souhaite unir sa propre chair. Aussi l’officiant demandet-il alors dans son anaphore que Dieu envoie sur l’oblation son Esprit-Saint pour que les fidèles par la communion en soient remplis.

Ne sont-ce pas encore des pensées semblables qu’on découvre en Cyprien ? D’après lui, dans l’eucharistie l'Église fait ce qu’a fait le Christ. Or, il a offert sa passion en laquelle le peuple chrétien lui était intimement uni, comme l’eau l’est au vin. L’eucharistie est donc un sacrifice parce que la hiérarchie, et par elle l'Église tout entière, présente à Dieu le corps et le sang immolés jadis sur la croix ; corps et sang d’abord offerts à la cène où les Douze avaient communié pour y participer. Telle avait été l’oblation du Nouveau Testament, enseignée et ordonnée par Jésus : telle est donc aussi celle des chrétiens et de l'Église. Voilà

DICT. DE THÉOL. f.ATH.

pourquoi sans doute, Cyprien dit qu’ils offrent non seulement la passion, mais encore la résurrection, non seulement la chair morte du Calvaire, mais la chair vivante du ciel à laquelle s’unit notre c hair, comme se mêlent dans le calice les éléments de l’eucharistie.

Ainsi que trouve-t-on dans ces quatre témoins de la croyance antique, sinon la conception suivante : Le rite chrétien reproduit la cène primitive. Ici comme là, les disciples du Christ et Jésus offrent au Père son corps et son sang, la victime du Golgotha. Le don ne peut qu'être agréé de Dieu ; mais après avoir été reçu par lui, il nous revient, chargé de bénédictions célestes que nous recevons par la participation à ce qu’ont reçu les Douze, au pain* et au vin devenus corps et sang du Christ.

Ainsi pensent les quatre écrivains de l’antiquité qui seuls nous renseignent quelque peu sur la manière dont on concevait alors le sacrifice. D’autre part, Cyprien, c’est l’Afrique, Origène l’Egypte et la Palestine, Irénée la Gaule et l’Asie, Hippolyte enfin Rome. Ce dernier nous livre sa pensée en reproduisant une anaphore, la plus ancienne que nous possédions et où se trouvent exprimes non seulement son sentiment personnel, mais les croyances reçues dans son milieu. Il semble donc bien qu’on ne s’avance pas trop en présentant ces conceptions comme celles qui ont des chances de ressembler aux idées reçues à l’origine sur ce qui fait de l’eucharistie un sacrifice.

A l’appui de ce sentiment, plusieurs considérations peuvent être invoquées. Cette théorie admise, on comprend fort bien pourquoi, chez tous les auteurs anciens, le rite chrétien est tenu pour agréable à Dieu et utile à l’hemme ; pourquoi tous voient en lui action de grâces et prière. L’eucharistie est donnée au Père, puis nous fait retour. Elle est, comme on dit alors : sacrifice d’action de grâces et sacrifice d’alliance.

Cette conception est aussi la synthèse de toutes les données du Nouveau Testament. On y retrouve les affirmations de Faul et des Synoptiques sur ce que Jésus a fait à la cène et sur ce qu’il a ordonné de réitérer ; la doctrine de l'Épitre aux Hébreux sur la médiation du Christ au ciel ; l’enseignement de la Première aux Corinthiens sur la « communion » au corps du Christ, analogue à la participation d’Israël à l’autel juif et des païens aux viandes immolées aux idoles.

Les premiers chrétiens ne devaient-ils pas d’ailleurs tout naturellement concevoir ainsi l’oblation eucharistique '? Pour des païens ou des juifs de la veille, pour les hommes des premiers siècles, le mot sacrifice avait un sens précis ; on offrait alors à côté d’eux des oblations rituelles, auxquelles beaucoup avaient jadis participé. Or le païen voulait donner à la Divinité des aliments, des libations, des parfums. Elle les agréait, les récompensait par des faveurs, parfois même elle invitait à sa table son adorateur. Le juif présentait à Jahvé les victimes prescrites pour rendre grâces et obtenir des bienfaits. En certains sacrifices, le Seigneur ne se réservait qu’une part de l’offrande et rendait l’autre à son serviteur. De plus, l’alliance mosaïque avait été conclue par l’effusion sur le peuple du sang des victimes. Des hommes auxquels ces notions étaient familières et qui n’avaient jamais conçu autrement le sacrifice, ne pouvaient voir dans l’eucharistie que le don fait à Dieu pour lui plaire, et par Dieu à l'Église pour la sanctifier.

Dernier argument : A coup sûr, les premières liturgies, si on excepte l’anaphore d’Hippolyte, nous sont parvenues dans des écrits postérieurs à saint Cyprien. Mais ces documents (Euchologe de Se’rapion, II" et VIII » livre « 'es Constitutions apostoliques etc.) reproduisent des textes qui sont plus anciens. Ce qui se trouve dans tous peut vraisemblablement être

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