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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 10.1.djvu/505

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995 MESSE DANS L'ÉGLISE LATINE, LA RENAISSANCE CAROLINGIENNE

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d’art quelconque, mais dans la consécration de son corps et de son sang. » II, xxvii, P. L., t. xcviii, col. 1094, et IV, xiv, col. 1214.

Les questionnaires qu’adresse l’empereur aux évêques, les enquêtes qu’il fait auprès d’eux suscitent des réponses qui sont de véritables traités de théologie. Parmi elles, l’une des plus remarquables, celle de Théodulphe d’Orléans, touche à la question du sacrifice de la messe : Hoc mysterium sacrificii Ecclesia célébrât offerens panem, propter panem verum qui de cœlo descendit, vinum pro eo qui dixit : Ego sum vilis vera, ni per visibilem sacerdotum oblationcm et invisibilem Sancti Spiritus consecralionem panis et vinum in corporis et sanguinis Domini transeant dignilalem. De ordine baptismi, xviii, P. L., t. cv, col. 240.

Ainsi le sacrifice de l’autel emporte autre chose qu’une visibilis oblatio : il est une invisibilis Sancti Spiritus consccratio, qui aboutit à faire passer le pain et le vin en la dignité du corps et du sang du Christ, et à faire de ce corps l’aliment de nos âmes, le moyen d’incorporation physique au Christ, ut in corpore Christi trajecto et Me in Christo maneal, et Christus in eo. C’est sous des expressions originales la doctrine traditionnelle ramassée en quelques mots.

2. Alcuin, n’fst point seulement aux côtés de Charlemagne le meilleur ouvrier de la réforme, le premier liturgiste de son temps ; il se révèle aussi, dans ses commentaires et dans ses lettres, exégète et théologien curieux de posséder une juste idée doctrinale de la messe.

Esprit profondément traditionnel, préoccupé de ne point s'égarer dans les profondeurs des questions, il se contente de reproduire les sentences des Pères. Epist., clxv, P. L., t. c, col. 431 D, cf. Epist., ad Gislam et Rich trudam, col. 744 B. Ses autorités sont saint Augustin d’abord, puis saint Grégoire, saint Jérôme, Bède son compatriote, saint Jean Chrysostome dont il utilise largement le commentaire de i'Épître aux Hébreux. Dans le sien, il insiste surtout sur les rapports de la messe avec le sacrifice de la croix, et les explique à la lumière de l’homélie xvii de saint Jean Chrysostome.

Le sacrifice de la croix v apparaît comme le sacrifice absolu, unique et perpétuel, parce que parfait. Il est parfait, parce que l’oblation sanglante faite une fois pour toutes par le Christ souverain prêtre, est suffisante pour nous sauver à jamais. In Hebr., t. c, col. 1067, 1068, 1077, 1054, 1078, 1081 ; Epist., clxv, col. 434.

La messe n’est pas moins un sacrifice, identique à celui de la croix, mais relatif cependant. Elle comporte l’oblation de la victime unique du Calvaire ; de là l’unité et l’identité du sacrifice chrétien sur la croix et sur tous les autels :

Elle est relative à l’immolation de la croix qu’elle commémore et dont elle applique les fruits ; il ne peut être question pour le Christ d'être de nouveau immolé. Ofjerimus quidem sed ad recordidionein faciendam mortis ejus… Hoc autem sacrificium [crucis] exemplar est illius… Non aliud sacrificium sicut ponti/ex, sed idipsum semper facimus ; ma gis autem rscordationem sacrificii operamur. In Hebr., x, 1, t. c, col. 1077 BC.

Ce n’est point cependant une nuda commemoratio, puisque la messe comporte la présence de la victime jadis immolée et possède de ce chef une valeur de propitiation et d’intercession. Epist., xli, t. c, col. 203 A ; In Joan., t. V, c. xxxi, col. 915, etc. Confiant dans cette valeur, Alcuin (simple diacre) demande dans presque toutes ses lettres à ses amis prêtres de ne point l’oublier dans leurs intercessions au mémento.

Notons enfin qu' Alcuin a l’occasion de rappeler à certains qui voulaient offrir du sel à l’autel, que seuls

le pain, le vin et l’eau sont la matière du sacrifice eucharistique. Epist., xc, t. c, col. 289.

3. Les plus anciennes expositions de la messe. — Écrites sous l’impulsion de Charlemagne qui voulait faire donner au clergé des paroisses une meilleure intelligence des prières du sacrifice, ces compositions offrent un spécimen curieux des connaissances théologiques et liturgiques que l’on estimait indispensables au prêtre ; elles sont ainsi des témoins de la conception que se faisaient de la messe les prêtres et les fidèles au début du ixe siècle.

Ces expositions anonymes s’inspirent toutes plus ou moins des idées théologiques d’Isidore de Séville.

a) L’exposition Primum in ordine, P. L., t. cxxxviii, col. 1173-1187, la plus ancienne sans doute des compositions de ce genre, parue vraisemblablement avant 819, voir Geiselmann, Die Eucharistielehre der Vorscholastik, p. 74 et 75, s’inspire incontestablement en son exorde des chapitres correspondants du traité de saint Isidore sur les offices ecclésiastiques. A. Wilmart, art. Expositio missæ du Diction, d’arch., t. v, col. 1021. La glose elle-même du canon est aussi de même inspiration. Même notion du sacrifice : Sacrificiel, id est sacra (acta, quia prece mystica consecrantur in memoriampro nobis dominiese passionis. Loc. cit., col. 1178 D. Même affirmation de l’intervention de l’Esprit dans cette consécration ; même caractéristique du sacrifice comme mystère de grâce divine ; même conception augustinienne du corps mystique du Christ. En commentaire de ces mots du canon : ut nobis corpus et sanguis fiât dilectissimi Filii, nous lisons : id est ut nos efficiamur corpus ejus et nobis divinilus tradat in myslerio divinæ gratiæ panem qui de cœlo descendit, ut sicut visibili pane et polu reficitur corpus, et invisibili animas noster recreetur ac potetur. Col. 1180 D. La consécration y apparaît comme l’acte central du sacrifice, elle est le fait des prêtres seuls. Col. 1182 A. Le Supplices demande l’acceptation du sacrifice et en retour l’effusion de grâces dans la réception du corps et du sang du Christ, « car c’est le Christ notre paix que nous recevons ». Col. 1185 B.

b) L’exposition Dominus vobiscum, P. L., t. cxlvii, col. 191-200, renferme comme la précédente une glose littérale du canon : elle offre avec celle-ci des coïncidences frappantes tenant à une dépendance directe ou indirecte. Cf. Wilmart, art. cité, col. 1021.

Elle définit à peu près de la même façon le sacrifice : sacrificia sunt quæ cum oralionibus consecrantur. Col. 194 D. A la différence de la première exposition elle met en relief dans son commentaire de la consécration l’idée de conversion miraculeuse. Col. 196 B. Tandis que l’oblation nous appartient, la consécration est l'œuvre divine, le fait du Père : Nos rationabililer ofjerimus, Pater omnipotens sanctificat. Ipse voluit per nos panem et vinum ofjerri sibi et ipsa divinilus consecrari. Col. 196 A. Enfin le commentaire du Nobis quoque peccatoribus indique en termes précis le but propitiatoire du sacrifice. Col. 197 D.

c) L’exposition Quotiens contra se, P. L., t. xevi, col. 1481-1502, est antérieure à Amalaire. L’auteur, pour donner une idée du mystère eucharistique, cite longuement le beau texte du saint Grégoire : Hœc namque singulariter viclima…, Dialog., t. IV, c. lviii, P. L., t. lxxvii, col. 425. Il complète son commentaire en faisant appel à l’idée isidorienne de mystère. Derrière le prêtre visible qui commence la consécration après le Sanctus, il y a l’action invisible et secrète de l’Esprit qui consacre et opère l’effet, du sacrifice : quam consecralionem corporis et sanguinis dominici semper in silenlio célébrât quia Sanctus in eis manens Spiritus eumdem sacramentorum lalenler operatur efjectum. Col. 1496 B.