Aller au contenu

Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 10.1.djvu/514

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

1013 MESSE DANS L'ÉGLISE LATINE, LES ADVERSAIRES DE PASCHASE 1014

l’autel. L’autel céleste n’est rien autre chose que le corps du Christ sur lequel sont offerts les vœux de fidèles et d’où l’on reçoit la chair eucharistique. Ibid.

Ainsi le corps glorifié du Christ apparaît-il à Paschase comme la source d’où « pullule » par un miracle semblable a celui de la multiplication des pains, de l’huile et de la farine, à celui de la multiplication des individus dans la nature, la chair du Christ à travers les siècles et l’espace. Pullulât ergo Ma ubcrlas carnis Christi, et manet integer Christus, quia natura manente intégra etiam in creaturis, ad jussum ejus cuncta exubérant, xii, 1, col. 13Il B. Ainsi du corps céleste devenu notre autel, recevons-nous la chair eucharistique qui nourrit tous ceux qui sont dans le corps mystique du Christ. Un tel sacrifice ne peut qu'être éminemment utile aux vivants et aux morts : Hac enim hoslia animæ purganliir, peccata solvuntur, vitia pelluntur, dœmones fugantur, virtutes aequiruntur, salus animarum et corporum possidetur, totus mundus salvatur. ix, 11, col. 1302 B. Il a pour fin de remettre les fautes quotidiennes, ix, 2, col. 1294 C, de placer dans l'Église un arbre de vie, ix, 3, col. 1295, de nous incorporer au Christ et de faire ainsi l’unité de son corps mystique, ix, 4, col. 1296, de rappeler au monde la mort du Christ et la charité qui est à la base de ce bienfait. Ibid., col. 1297.

Paschase va même jusqu'à parler d’expiation perpétuelle, cujus sacerdos Christus… expiât et offert se ipsum pro nobis quotidie ante conspeclum divinæ majestalis.xii, 4, col. 1315. Ces expressions ont besoin d'être lues à la lumière de celles où il affirme le caractère exclusivement rédempteur et suffisant rie la passion : Per unam eamdemque mortis passionem semel salvaverit mundum. ix, 1, col. 1293.

De cette analyse on conclura tout naturellement que Paschase, aussi bien pour la théologie du sacrifice que pour celle du sacrement eucharistique, marque une date très importante dans l’histoire de la doctrine catholique. Aussi s'étonne-t-on de trouver chez A. Harnarck, ce jugement sommaire : « Rabdert n’est pas le théologien de la messe catholique. » Lehrbuch der Dogmengeseh., 3e édit., t. iii, p. 293. Sans doute, il s’est plu à marquer particulièrement les rapports entre l’incarnation et l’eucharistie, comme d’ailleurs saint Ambroise et d’autres l’avaient fait avant lui, mais il a su mettre en non moindre relief les rapports qui unissent la messe à la passion. Par sa thèse centrale sur l’identité du corps eucharistique avec la corps né de la vierge Marie et crucifié, il a été amené à préciser et à développer le réalisme traditionnel, en soulignant l’identité de prêtre et de victime sur la croix et à l’autel.

2. Courant opposé au réalisme de Paschase : Le symbolisme dynamisle de Ratramne ; Raban Maur ; l’auteur anonyme des Dicta cujusdam sapientis ; Jean Scot Érigène ; le moine Druthmar. — Le réalisme de Paschase n'était pas nouveau : il ne faisait que développer des points de vue traditionnels, affirmés depuis longtemps d’une façon explicite, soit en Orient avec saint Cyrille de Jérusalem, saint Jean Chrysostome, saint Cyrille d’Alexandrie, soit en Occident avec saint Ambroise, le pseudo-Eusèbe d'Émèse ; il se faisait l’interprète de la liturgie et de la piété populaire.

Ses idées pourtant ne devaient point trouver un accueil favorable chez certains auteurs qui, impressionnés par une série de textes de saint Augustin où le symbolisme de la messe est fortement affirmé, interprétaient faussement ou inadéquatement la doctrine eucharistique du grand docteur. Ceux-ci s’orientaient dès lors vers une conception purement figurative de la messe.

a) Ratramne († 868). — Consulté par Charles le

Chauve sur la question qui divisait alors les esprits, le moine de Corbie écrivit vers 859 son traité De corpore et sanguine Domini, P. L., t. cxxi, col. 125-170.

a. Définitions. — Pour résoudre le problème, il recherche si l’eucharistie se fait in mysterio an in veritate, si elle contient quelque chose de secret soustrait aux yeux du corps, ou si tout s’y passe en pleine évidence, si le corps qui est né de la vierge Marie, qui est ressuscité et qui est assis à la droite du Père, est identique au corps eucharistique ou différent de lui. 4, 5, col. 129-130. Pour répondre à cette question, il définit préalablement les concepts de figura, de veritas et de mysterium.

La figura est une chose qui, d’une façon voilée, fait entendre une autre chose plus élevée. 7, col. 130. Ainsi, voulant parler du Verbe nous l’appellerons le pain vivant, la véritable vigne. Figura a le sens de signe, similitude ou symbole. — Le concept de veritas implique celui d'évidence, de chose manifeste et sans mystère ; ainsi cette affirmation : le Christ est né et a souffert, est veritas, nuda et aperta significatio. 8, col. 130. — Tout mystère exclut l’idée d'évidence, de veritas. Si le mystère eucharistique ne se fait point sub figura, ce n’est plus un mystère. 9, col. 131.

Tout le traité va à montrer que le mystère eucharistique est figura et non veritas, et à déterminer ce que ce mystère implique comme élément caché, soustrait à la perception des sens. Ratramne le conçoit sur le type de tout sacrement. Or un sacrement comprend une réalité corporelle et une vertu divine qui se cache derrière cette réalité, pour opérer le salut. 48, col. 147. Ainsi l’eucharistie sera-t-elle composés de deux choses : un élément visible qui sera un symbole et une figure, un élément invisible qui sera une puissance du Verbe, une vertu de la substance divine. 49, col. 147.

Dans cette perspective, l’acte central de la messe, la consécration, demeure encore un acte de la puissance de l’Esprit-Saint, mais semblable à celui qui s’exerce à l'égard de tout autre sacrement : il laisse inchangé dans leur substance le pain et le vin ; il en fait seulement un sacrement, c’est-à-dire un symbole auquel est attachée une vertu divine ; il ne met pas sur l’autel la chair et le sang dû Christ, une victime identique à celle du Calvaire, mais il fait de la messe une pure commémoraison de sacrifice passé de la croix, une action de grâces pour ce sacrifice. Te’le est bien.semble-t-il, la conclusion qui se dégage des textes où Ratramne parle des effets de la consécration et du caractère sacrificiel de la messe.

b. Conception de la consécration. — Ratramne emploie des expressions paschasiennes pour marquer l’effet de la consécration, mais il les vide de leur sens réaliste. Il déclare sans doute qu’il n’est pas permis de dire, même de penser, que les éléments consacrés ne sont pas le corps du Christ. 15, col. 134 ; cꝟ. 10, col. 131 ; 25, col. 138. Mais ailleurs il rejette nettement la notion de conversion et de présence substantielle. Pas plus que l’eau versée dans le calice, le vin n’est changé par la consécration : Si vinum illud sanctifiralum… in Christi sanguincm corporalitcr convertitur, aqua quoque… in sanguin ?m populi credentis necesse est corporaliter convertetur… At videmus in aqua secundum corpus nihil esse conversum, consequenter ergo et in vino nihil corporaliter ostensum. 75, col. 160 ; cꝟ. 19, 90, 12, 14, 15, 16. La relation du pain et du vin sur l’autel au corps et au sang du Christ est la même que celle de l’eau par rapport aux croyants : c’est une relation symbolique de signe à chose signifiée : Hoc autem quod supra mensam dominicam positum est mysUrium continct illius (Christi) sicut etiam identidem mysterium conlinet populi credentis. 96, col. 168.

Mais si la consécration laisse inchangés, d’après lui le pain et le viii, elle opère cependant un changement