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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 10.1.djvu/529

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MESSE DANS L'ÉGLISE LATINE, DÉBUT DE LA SCOLAS TIQUE


le grenier d’abondance auquel viendront s’approvisionner les siècles suivants ». Lepin, op. cit., p. 70.

3. La messe chez les théologiens.

a) Théologie polémique contre les cathares, vaudois et autres sectes hérétiques : Pierre le Vénérable. — Tandis que Bérenger s'était contenté de nier la vérité du corps eucharistique du Christ, et avait maintenu, quoiqu’en le déformant, le caractère sacrificiel de l’eucharistie, les partisans de Pierre de Bruys dans la première moitié du xiie siècle, en arrivèrent à formuler une erreur plus radicale.

Ils niaient la légitimité de l’oblation eucharistique, en affirmaient l’inanité et l’inefficacité pour les défunts. Sur l’histoire de cette erreur voir art. Bruys, t. ii, col. 1151-1156 et art. Eucharistie, t. v, col. 1239-1243. En les réfutant dans son Traclalus contra Petrobrusianos, P. L., t. clxxxix, col. 719-850, Pierre leVénérable fut amené à apporter des précisions touchant la définition et la nécessité du sacrifice en général, sa permanence, le caractère relatif et cornmémoratif du sacrifice eucharistique, son efficacité pour les défunts.

a. Définition du sacrifice. — Pierre le "Vénérable décrit le sacrifice comme le signe caractéristique de l’attitude religieuse de l’humanité en. face de Dieu, principe et fin de toutes choses. Cum signo sacrificiorum semper suos Deus ab alienis secreveril, cum divinam servitulem ab humanis obsequiis hoc signo discreverit… Col. 790 B.

Le sacrifice, en effet, est l’acte par excellence du culte dû proprement et uniquement à Dieu. « Par cet acte, dit Pierre, se trouve signifié que l’homme est le sujet de Dieu seul, qu’au-dessus de lui il ne reconnaît, suivant sa condition originelle, que Dieu comme son seul principe et sa fin suprême, qu’il veut se soumettre à lui et lui obéir, comme à son auteur, à son maître, et à son rémunérateur. L’hommage extérieur sert de signe à la disposition intérieure de l'âme qui ne peut être reconnue que par des signes extérieurs. Ainsi se trouve représentée la sujétion totale de l’homme, corps et âme, à Dieu. » Col. 791 D

Nous avons ici un développement authentique de l’idée augustinienne du sacrifice. Comme le note M. Lepin, « cette définition met à la base du sacrifice la disposition intérieure de soumission et d’hommage, non un acte extérieur et proprement dit d’immolation. Le sacrifice du Christ lui-même ne consiste pas précisément dans l’acte qui a immolé le Sauveur, mais bien dans sa libre offrande à la mort par obéissance, à son Père. » Lepin, op. cit., p. 137. C’est le sens de cette phrase de Pierre : « On dit que le Christ s’est offert lui-même, parce qu’il a donné librement et spontanément sa vie. » Col. 797 A.

b. Perpétuité de l’hommage sacrificiel sous la variété des sacrifices. — En fait, les âmes religieuses de tous les temps ont offert à Dieu l’hommage sacrificiel.

Une peut en être autrement, le culte divin, dans ce qu’il a de fondamental, ne peut jamais être périmé dans le monde. Col. 790-795. Seule a varié la forme sacrificielle. Col. 796. L'Église offre sur ses autels pour la rémission des péchés une victime qui l’emporte en excellence sur les victimes de l’Ancien Testament. A la pluralité de ces victimes impuissantes a succédé la victime unique qui suffit à racheter tous ceux qui l’offrent. Bos, vilulus, aries, agnus… implent altaria Judœorum ; solus agnus Dei altari superponitur christianorum. Col. 796 B.

c. Relation du sacrifice de l'Église à celui de la croix. — Le sacrifice de l'Église est identique à celui de la croix. Les pétrobrusiens, qui reconnaissent la réalité sacrificielle de la passion, devraient confesser la réalité du sacrifice de l'Église : c’est le même sacrifice offert une seule l’ois sur la croix par le Christ lui-même, offert

sur l’ordre du Sauveur, chaque jour à l’autel par son peuple. Col. 798. L'Église offre pour elle-même celui qui s’est offert pour elle : et ce que le Christ a fait une fois en mourant, elle le fait toujours elle-même en offrant. Col. 789.

d. Le but de l’institution de la messe. — C’est la commémoraison du Christ. Col. 8Il D. Aucun homme ne saurait être sauvé qu’en aimant le sacrifice qui le sauve. Le Christ le savait. Aussi a-t-il institué le sacrifice eucharistique qui à la fois signifie son corps et son sang et contient la réalité de ce qu’il signifie : lia signum est ut sil (amen idem quod signal, col. 812 D, tout cela afin « de rappeler plus vivement sa mort, d’exciter plus complètement notre amour, de nous appliquer plus pleinement la rémission des péchés ». Col. 814 B.

Cette commémoraison est figurative. Sans doute elle comporte à l’autel la présence du corps et du sang jadis immolé sur la croix et rappelle ainsi plus vivement que tous les discours le drame du Calvaire, col. 813 ; mais elle n’implique nullement le renouvellement de l’immolation passée, « car, bien que l’on dise du Christ qu’il est immolé dans l’eucharistie, il n’y souffre ni douleur, ni mort comme autrefois. On dit qu’il est immolé, lorsque, demeurant inviolable en lui-même, il est brisé, partagé, mangé à l’autel, car par ces divers signes et d’autres semblables la mort du Seigneur est aussi pleinement que possible représentée, maxime reprsesenlatur ». Col. 812 D. Comment se fait cette représentation ? En quelque sorte naturellement, à raison des signes employés. Pour Pierre, disciple de Lanfranc, « la fraction et la communion sont les signes naturels de la passion. Mais cette représentation lui paraît aussi fondée sur une volonté positive de l’apôtre. Si Paul en effet n’a point parlé à l’occasion du sacrifice eucharistique du souvenir de l’incarnation, de la circoncision, du baptême, de la résurrection et de l’ascension, c’est parce qu’il voulait par là montrer dans la mort du Seigneur la plus grande de ses œuvres, celle à laquelle le monde doit la vie et le salut. » Col. 813 A.

e. Utilité de la messe pour les défunts. — Aux négations hérétiques touchant l’efficacité de la messe pour les défunts, Pierre oppose la pensée et la pratique de l'Église. Il fonde la foi chrétienne sur la croyance à la communion des saints, sur le fait que l'Écriture parle de fautes remises dans l’autre vie ; il en appelle au témoignage des Pères, Ambroise, Augustin, Grégoire, Jérôme. Il construit ainsi un traité théologique complet sur la valeur de la messe pour les défunts. Col. 819-847.

b) Premiers essais de théologie scolastique. — L’application de la méthode dialectique aux données de la tradition se développe de plus en plus au xiie siècle, et se révèle soit dans les monographies consacrées à l'étude de l’eucharistie, soit dans les premiers essais de Sommes théologiques.

a. Monographies. — Parmi celles qui s’intéressent dans une certaine mesure à la question du sacrifice, il faut citer le beau traité de Guillaume de SaintThierry, De sacramento altaris liber, P. L., t. clxxx, col. 341-366.

L’auteur y défend la présence du corps du Christ à l’autel contre les tendances ultra-spiritualistes de Bupert de Deutz, voir col. 1038, et marque nettement la différence qu’il faut faire entre l’ubiquité naturelle au Verbe et la multilocation miraculeuse du corps du Christ qui se fait là seulement où il y a la rédemption à appliquer. Sicut enim exigit nécessitas salulis humame ut adsit ubi opus est, sic eliam exigit ut sic adsit corpus ejus sicut opus est. ii, col. 348 sq. Il insiste, au c. x, sur le caractère mystique et figuratif de l’immolation de l’autel : Non enim a