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MIGNE — MIGNOT

Krüger, dans la Realencyklopædie de Hauck, t. xv, p. 6, voit dans la Patrologie un obstacle pour la science : « Les savants, dit-il, sont tentés par ces volumes commodes de négliger les excellentes éditions anciennes que Migne a reproduites avec négligence et avec de nombreuses fautes. » D’autres lui ont « reproché, dit dom Cabrol, de n’avoir pas suivi un plan bien nettement défini, d’avoir admis dans sa collection des pièces qui ne s’y rapportaient pas : chartes, diplômes, liturgies ; quelques attributions sont erronées ; les spuria sont souvent composés sans soin ; certaines éditions auraient pu être mieux choisies… On a aussi parlé de fautes d’impression. » D. Cabrol, Histoire du card. Pitra, p. 112, n. 2. On peut encore regretter certaines omissions, ou la présence de doublets, ainsi la Chronique d’Idace est donnée deux fois, d’après Galland, P. L., t. li, col. 873-980, et d’après Garzon et de Ram, P. L., t. lxxiv, col. 701-750.

Beaucoup de ces défauts étaient inévitables : ils s’expliquent, en grande partie, par l’époque où vivait l’éditeur. Migne crut ne pouvoir mieux faire qu’en se mettant à l’école et à la suite des bénédictins qui se guidaient d’après leur sentiment, d’après leur connaissance des auteurs, d’après l’ancienneté des manuscrits. Il serait injuste d’exiger d’un éditeur du milieu du xixe siècle la méthode critique appliquée, de nos jours, à l’édition des Pères. D’ailleurs Migne voulait mettre immédiatement à la portée des savants tous les trésors de la Tradition catholique. A quoi aurait-il abouti, s’il avait fallu se livrer pour chaque Père à une étude critique des manuscrits, faire pour chacun une editio variorum ? Nous serions encore à attendre l’achèvement de cette publication. Et s’il nous fallait, comme le veut Krüger, recourir toujours aux anciennes éditions, combien seraient actuellement dans l’impossibilité de consulter les Pères ? Migne n’a pas fait une édition critique ; mais « il n’était pas philologue, et il ne faut pas oublier qu’en 1844, on aurait été bien en peine de trouver, à l’étranger comme en France, des hommes au courant des méthodes, qui devaient porter leurs fruits quelques années plus tard seulement. Si Lachmann avait déjà publié la plupart de ses éditions, son Lucrèce est pourtant de 1850 ; Ritschl a publié son Plaute en 1848. Il ne faut pas demander à Migne plus qu’il ne pouvait et ne voulait donner. » Lejay, Rev. d’hist. et de litt. relig., 1896, p. 98. Encore ne faut-il pas exagérer cette absence de critique dans l’œuvre de Migne, surtout dans les Patrologies : plusieurs de ses édifions sont vraiment des éditions critiques. « Il a trouvé plus d’une fois l’occasion de montrer qu’il n’était pas étranger, tant s’en faut, aux meilleures habitudes de l’érudition. » Bibliothèque de l’École des Chartes, IVe série, t. i, p. 62-67.

Pour ce qui est des fautes d’impression, Migne a lui-même répondu aux reproches qu’on lui adressait. Cf. vol. i des Tables de la P. L., verso du titre. Il avoue que les premières éditions sorties de ses presses n’étaient point parfaites, et c’est encore exact pour les premiers volumes de la Patrologie latine ; mais il a pris, pour la correction des épreuves, revues jusqu’à cinq fois, de telles précautions que ces reproches oui perdu, en grande partie, leur fondement. « Il est de fait, dit-il, que la correction n’a jamais été portée si loin dans aucune édition, ancienne ou contemporaine. » Il ne craint point de promettre une prime de vingt-cinq centimes pour chaque faute d’impression qu’on lui signalera dans la Patrologie grecque. En tous cas, il y a moins de fautes dans les deux Patrologies que dans les collections de Lyon, de Combéfis, de Labbe et Mansi. D’ailleurs des savants qui oui amplement utilisé les éditions de Migne, le P. de Buch, Denzinger, dont Pitra, témoignent de leur excellente correction typographique. Cf. Tables de la P. L., t. i, verso du titre.

Ce qu’il faut voir, dans cet amas prodigieux de publications, c’est l’utilité de l’œuvre considérée dans son ensemble. Malgré ses imperfections, l’œuvre de Migne a rendu et rend encore d’immenses services à la science religieuse. L’éditeur catholique a donné aux travailleurs la possibilité d’avoir sous la main, dans un format commode, pour un prix peu élevé, toutes les œuvres de l’antiquité chrétienne, les ouvrages les plus intéressants des exégètes, des apologistes, des théologiens et des orateurs ecclésiastiques. « Aujourd’hui encore, malgré l’indiscutable supériorité de la plupart des éditions du Corpus de Vienne, pour les auteurs ecclésiastiques latins, et du Corpus de Berlin, pour les auteurs grecs, les Patrologies restent utiles, ou même indispensables, ne fût-ce qu’à cause des études érudites qui y sont profitablement réunies. » P. de Labriolle, Bull d’anc, litt, et d’arch. chrét., 1913, p. 206.

Aussi comprend-on les sentiments de satisfaction que Migne exprimait, le 15 janvier 1861, dans la lettre où il annonçait l’achèvement de la première série des Pères grecs : « Nous pouvons chanter gaiement notre Nunc dimittis, parce que, sans grand secours ni grande vertu, il nous aura été donné d’être plus utile à l’Église que bien des savants et des saints, et que, posant ce livre fondamental de toute bibliothèque sérieuse, à l’édition duquel nous n’avons pu déterminer ni libraire ni communauté, ni gouvernement, nous pouvons, en quelque sorte, dire comme saint Paul : Cursum meum consummavi ; puis nous présenter avec confiance devant Dieu, notre Cours de Patrologie à la main. » Ann. de phil. chrét., t. lxi, p. 79.

La collection des Annales de Philosophie chrétienne, de 1841 à 1868, donne un grand nombre de documents, l’analyse de la plupart des publications de Migne et des appréciations très favorables de Bonetty ; Biographie du clergé contemporain, par un solitaire (l’abbé Barbier), Paris, 1841, t. iii, p. 289-423, et p. xxvii-xxix ; Hoefer, Nouvelle biographie générale, Paris, 1801, t. xxxv, col. 488 ; Vapereau, Dictionnaire des contemporains, Paris, 1880, p. 1290 ; Streber, Migne, dans Kirchenlexikon, 2e édit., Fribourg, 1893, t. viii, col. 1510-1513 ; Lichtenberger, Encyclopédie des sciences religieuses, Paris, 1880, t. ix, p. 163 ; J.-P. Kirsch, The catholic Encyclopædia, New-York, 1911, t. x, p. 190 ; Ed. Leterrier, L’abbé Migne, dans Les Contemporains, Paris ; Th. Nisard, La Patrologie latine de Migne considérée au point de vue de l’archéologie musicale, de la métrique, de la liturgie et de la bibliographie de la musique, dans Vérité canonique, t. xii (1866), p. 404, 441 ; E. Hatier, Bibliographie de la presse périodique française, Paris, 1866 ; Hurter, Nomenclator literarius, 3e édit., Inspruck, 1913, t. v, col. 1603-1607 ; P. de Labriolle, Quelques documents sur J. P. Migne, dans Bulletin d’ancienne littérature et d’archéologie chrétienne, 1913, p. 203-209 ; du même, Histoire de la littérature latine chrétienne, Paris, 1924, p. 45-49 ; Journal de l’imprimerie et de la librairie, 16 février 1868 ; Le droit, 22 décembre 1871 ; Gazette des tribunaux, 22 décembre 1871 ; Semaine religieuse de Paris, 30 octobre 1875 ; Hergenröther, Theol, Literaturblatt, 1867, p. 410-447 ; Polybiblion, t. i, p. 59, t. xiv, p. 459 ; Bibliothèque de l’École des Chartes, IVe série, t. i, p. 62-67 ; Græsse, Trésor des livres rares et curieux, Dresde, 1860, t. i, p. 411-412 ; Langlois, Manuel de bibliographie historique, Paris, 1904, p. 399-400 ; Intermédiaire des chercheurs et des curieux, 10 mai 1913, p. 595 ; dont Cabrol, Histoire du Cardinal Pitra, Paris, 1893 ; Battendier, Le cardinal J.-B. Pitra, Paris, 1895 ; Paguelle de Follenay, Vie du cardinal Guibert, t. ii, Paris, 1896 ; Alazard, D. A. Affre, archevêque de Paris, Paris, 1905 ; E. Veuillot, Louis Veuillot, t. i et iii, Paris, 1913.

L. Marchal.

1. MIGNOT Étienne. (1698-1771) né a Paris le 17 mars 1698, obtint la première place à la licence en Sorbonne, et s’adonna a L’étude des sciences ecclésiastiques et des monuments de l’antiquité profane ; il fut reçu docteur en Sorbonne. le 21 novembre 1728. Il publia un très grand nombre d’écrits, presque tous