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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 10.2.djvu/525

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MONTAIGNE — MONTALKMBERT


Charron dont la Sagesse expose le système d’une morale purement rationnelle. Cf. Sabiié, De l’humanisme au rationalisme, Pierre Charron, in-8°, Paris, 1913. Puis cette morale, fondée sur la connaissance du moi, toute relative, simple art de vivre heureux, est opposée non seulement à l’ascétisme de Port-Royal,

— et Port-Royal la jugera sévèrement, cf. Sainte-Beuve, loc. cit., p. 398-40<> mais encore à l’esprit chrétien.

Montaigne a également séparé la raison de la foi. Ni la raison ne doit tenir compte des données de la foi : elle est indépendante ; ni la foi n’a à s’inquiéter de la raison, si.it pour lui demander un appui : la raison < st trop vacillante ; soit pour la craindre : le pyrrhouisme et le scepticisme ont désarmé la raison : c’est en ce sens que La Mothe le Vayer parlera plus tard de la sceptique chrétienne ; la foi repose tout entière sur l’autorité. C’est là une attitude que l’Église a toujours condamnée sous le nom de fidéisme et de traditionalisme. Ici d’ailleurs, visiblement, le fidéisme tend plutôt à affranchir la raison qu’à assurer le triomphe de la foi, et l’on peut tirer des Essais des conclusions nettement contraires au christianisme.

.Montaigne n’a donc pas la mentalité chrétienne. c La religion chez lui reste sans action aucune ; toute la vitalité a passé du côté du rationalisme païen. En fin de compte le principe catholique… se trouve joué dans la combinaison » Yilley, op. cit., t. ii, p. 334.

On se trompe cependant en faisant de Montaigne un /ihilosophe anticipé et un ennemi secret du catholicisme. Nulle part on ne surprend dans ses Essais une hostilité à l’égard de l’Église ; il accomplit régulièrement les pratiques religieuses imposées ; il affirme même sa croyance, et il n’y a pas en lui deux altitudes qu’un homme ne saurait concilier de bonne foi. Au XVIe siècle, même séparée de la foi, la raison n’a pas in général à l’égard de la foi l’attitude hostile qu’elle aura au xviii c. Comme d’ailleurs il se défie de la raison, il ne peut trouver en ses affirmations de motifs suffisants d’abandonner l’Église. Au reste, il ne lui en demande pas ; entre lui et Sebon il y a un abîme. Au milieu des conflits religieux et des troubles du temps, des esprits modérés tranchèrent le débat pour le bien social, en soutenant la religion traditionnelle, et Montaigne fut de ceux-là. Enfin pour lui-même il trouvait dans la foi une solution aux problèmes que la raison lui paraissait ne pouvoir résoudre. Son anti-intellectuali : me a fait parler de son pragmatisme Cf. Lange, Le pragmali me de Monlaigne dans Revue eu mois, lt) avril 1915. C’est pourquoi, avec une âme au fond peu religieuse et une mentalité rationaliste, il vécut et mourut catholique sincère.

III. Influence. On ne saurait comparer

[’influence de Montaigne à celle de Voltaire par exemple : toute une époque ne relève pas de lui. Mais il exerça une influence profonde sur certains esprits et sur certains courants

Pierre Charron, dans son livre de la Sagesse, ne fait guère que le répéter méthodiquement. Montaigne sera le maître des libertins du ICVIIe siècle ; ils verront dans son honnête homme l’idéal à réaliser. En conséquence il a souvent inspiré Pascal qui lui emprunte ses arguments contre la raison. Enfin « les démarches initiales de la philosophie de Dcscartes rappellent invinciblement Montaigne ». Yilley, La >luec de Montaigne

dans le mouvement philosophique, dans Revue philosophique, niai juin 192(>. Cf. Gilson. Discours sur la méthode, Paris, 1926. EA > quand tout lecouranl philosophique cul été Kagné au libertinage, la pensée de

Montaigne, parfois respectée, souvent déformée mais

toujours active, eut un renouveau dévie (oui i fait

Inattendu. Montesquieu et Rousseau sont imprégnés

de ses idées-.. Yilley, Sources et évolution, t. ii, p. 489 : R. Laumônier, Montaigne précurseur du XV 111’siècle, dans Revue d’histoire littéraire, 1896.

Il eut aussi une influence marquée sur la pensée anglaise, en particulier sur Bacon. Dès 1603, John Elorio traduisait les Essais en anglais. Cf. A. H. Opham, The French influence in english littérature, from the accession of Elizabeth to the Restauration, in-32, NewYork, 1908, e. vi et Appendice : P. Villey, L’influence de Montaigne sur Charles Blount et sur les déistes anglais, Revue du x 17e siècle, 1918 ; Montaigne el François Bacon, 1913 ; L’influence de Montaigne sur les idées pédagogiques de Locke et de Rousseau, in-12, Paris, 1911 : et F. Dieekow, John Florio’s englische Uebersetzung der Essais Montaigne’s und lord Bacon’s, Ben Jonson’s und Robert Burton’s Verhallniss zu Montaigne, Strasbourg, 1903 ; Georges Coffin Taylor : Shakespeare’s debt to Montaigne, Cambridge, 1928.

On a rapproché Montaigne de Goethe. « Montaigne est une espèce de Goethe superficiel », a dit Guillaume Guizot, Études et fragments, p. 95. Goethe en revanche aurait subi l’influence de Montaigne. Cf. Bouillier, Montaigne et Gœthe, Revue de littérature comparée, octobre-décembre 1925, et P. Champion, Introduction aux Essais, Paris, 1910.

Les Essais, détails donnés par Montaigne sur lui-même. Introductions ou notices et noies des diverses éditions des Essais ; D r J.-F. Payen, Documents inédits ou yen connus sur Montaigne, in-8°, 1817 ; Documents inédits… in-8°, 1850 ; id., in-8°, 1855 ; Recherches sur Montaigne, in-8°, 1856 ; des Lettres inédites de Montaigne publiées par Feuillet de Conciles, in-8°, 1863, et à la suite des Essais dans l’édidon Le Clerc, 5 in-8°, 1826-1828 ; vicomte A. de Gourgues, Réflexions sur la vie et le caractère de Montaigne, in-8°, Bordeaux, 1856 ; Lamandé, La vie gaillarde et sage de Montaigne, Paris, 1927 ; et les ouvrages cités de Malve/in, Bonnel’on, Griin, Galy et Lapeyre.

StrowsUi, Montaigne, in-8°, Paris, 1906 ; Pascal et son temps, t.), De Montaigne à Pascal, in-8°, Paris, 1907 ; Saint François de Sales, in-8°, Paris, 1899, Introductions ; P. Villey, Les sources et l’évolution des Essais, 2 in-8°, Paris, 1919, el autres travaux indiqués ; Champion, Introduction aux Essais de Montaigne, Paris, 1900 ; Ed. Dowden, Michel de Montaigne, in-8°, Philadelphie, 1905 ; Stapfcr, Montaigne, collection des Grands écrivains français, 1895 ; Lanussc, Montaigne, dans la collection des Classigues populaires, s. d. ; V. Weigand, Montaigne, in-8°, Munich, 1916 ; Miss Grâce Norton, Studies in Montaigne, in-12, New-York, 1904 ; E. de Bey-Pailhade, Montaigne, philosophe moraliste, in-16, Toulouse, 1912 ; A. C.anac, La philosophie théorique de Montaigne, Paris, 1907 ; Ruhl, JDll sentiment artistique dans la morale de Montaigne, Paris, 1904 ; Gogucl, Essai sur la inonde de Montaigne, Genève, 187 1 ; Thinune, I er Skeptizismus Monta igné’s, Gœttingue, 1875 ; Malebranchc, Recherche de la vérité, 1674 ; Logique de Porl-Koyal, 1668 ; Nicole, Huitième visionnaire, Pensées sur divers sujets de morale,

1672 ; Pascal, Entretien avec M. de Saci et l’eus « ; Sainte-Beuve, Port-Royal, t. h ; Vin et, Les moralistes trancuis tlu XVI* et du XVIIe siècle, 1859 ; l’aguet, XVIe siècle, 189 1 ;

Lecky, Historg of the rise and influence <>f rationalisai in

Europe, 2 iil-S", Londres, 1900, t. i ;.1. M criant, l>c Montaigne

à Vauvenargues, in-12, Paris, 1914 ; Basson, Ces sources

et le développement du rationalisme dans la littérature française <le la Renaissance’163.1-1801), in-8°, Paris, 1922 ;

Villey, Les.sources d’idées au XVIe siècle, in-S’, Paris, s. d. (1912) ; la Relaie du XVIe siècle et, en général, les études

sur le vr siècle et les moralistes fiançais.

C. Constantin.

MONTALEMBERT (Charles-Forbes-René

de) orateur, écrivain, homme politique et l’un des

chefs du libéralisme catholique en France, né à

Londres le 15 avril INI ». mort à Paris, le 18 mars 1870.

[.Enfance et jeunesse (1810-1830). Fils aine de Marc-René, comte de Montalembert, qui, émigré en

1792, à quinze ans. avail servi dans l’arme. de Coude, puis dans l’année anglaise, et épouse en 1808 la fille