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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 11.1.djvu/188

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NEWMAN (JOHN-HENRY), L’ESSAI SLR LE DÉVELOPPEMENT


II Tim., i, 13) et nous trouvons semblable confirmation dans les écrits des Pères, par exemple dans quelques-uns des passages cités dans la dernière conférence. (Newman avait entre autres cité Irénée, Cont. hæres., i, x, et Tertullien, De vel. virg., i.) Mais en dehors de ces preuves écrites, nous observerons qu’une tradition, formulée et transmise de mains en mains, d’une manière aussi officielle et sous une forme aussi arrêtée, est de la même nature qu’un document écrit. Pour une raison semblable, les rites et les cérémonies sont aussi quelque chose de plus qu’une simple tradition orale. D’autre part, à côté de ce qui précède, il y a ce qu’on peut appeler la tradition prophétique. Les prophètes et les docteurs sont les interprètes de la révélation ; ils en développent, ils en définissent les mystères, ils en éclairent les documents, ils en harmonisent le contenu, ils font l’application de ses promesses. Leur enseignement est un vaste système, qui ne saurait tenir en quelques phrases, ni se résumer sous forme de code ou de traité ; il consiste en un certain corps de vérités, irrégulier dans sa forme à cause de sa profusion et de son exubérance, et qui environne l’Église comme une atmosphère. A certaines époques, cet enseignement se lie tellement à la tradition épiscopale qu’on ne l’en peut séparer que par la pensée, alors qu’en d’autres temps il se perd en légendes et en fables. Il est en partie écrit, en partie traditionnel, en partie interprétation, en partie supplément de l’Écriture, en partie conservé en des expressions intellectuelles, en partie caché dans l’esprit et le caractère des chrétiens. Cet enseignement est en partie répandu çà et là, « dans les lieux cachés et sur le toit des maisons », dans les liturgies, dans les ouvrages de controverse, dans des fragments obscurs, dans des sermons, dans des préjugés populaires, dans des coutumes locales. J’appelle cela, la tradition prophétique, existant primordialement dans le sein de l’Église (cf. Apol., p. 112), et qui est enseignée, dans la mesure où la Providence l’a jugé convenable, dans les écrits d’hommes éminents. « Gardez ce qui est commis à votre charge », telle est l’injonction de Paul à Timothée, et cela pour la raison que, par son étendue et son caractère indéterminé, cette tradition est spécialement exposée à la corruption, si l’Église manque de vigilance.

Newman a fait passer cette description de la tradition prophétique de son premier travail dans le Development, c. ii, section intitulée : An infallible developping authority to be expected (qu’on peut s’attendre à trouver dans le christianisme une autorité infaillible qui développe).

Un peu plus loin, Newman dit que la tradition prophétique est « ce que saint Paul appelle la pensée du Saint-Esprit (tô (Çiçômt^ol toû 7rveû|j.aT0ç, Rom., ix, 27), la pensée et les principes qui sont comme la respiration de l’Église, la manière dont, habituellement et inconsciemment, elle envisage les choses… plutôt qu’une collection de dogmes, arrêtée et systématique. » V. M., t. i, p. 249-251.

Deux remarques trouvent ici leur place : 1° La tradition prophétique est chose bien trop subtile, bien trop difficile à saisir, pour qu’elle puisse se transmettre entièrement par des écrits ou par la parole. On ne peut se l’assimiler qu’en vivant dans un milieu qui en soit pénétré. 2° Elle n’est pas particulière à l’Église. On en retrouve l’équivalent dans des groupes sociaux de toute nature, dans les grands, tels qu’une nation ou un État, dans les petits, tels qu’une université ou un ordre religieux. Elle en est ce qu’on peut appeler le génie, l’esprit, , la vie même ; chose à la fois insaissisable et bien réelle, qui se définit mal, mais qui se reconnaît sans peine. Grâce à elle, les membres du groupe conforment à un même

modèle, dans des limites parfois très larges et parfois très étroites, leur manière d’agir et de penser.

Newman nous dit que : « Si l’Église manque de vigilance, la tradition prophétique est particulièrement sujette à corruption. » Pour cette raison même, il est probable a priori que l’Église possède une autorité infaillible et qui se développe graduellement ; c’est ce que nous dit Newman dans son Essay, lorsqu’il y introduit la notion de tradition prophétique, tirée du sermon dont nous avons parlé. Mais la question a une autre face. Dans la pratique, on s’aperçoit que l’esprit ou le génie d’une institution est une force nettement conservatrice. Elle a comme un instinct qui lui permet de maintenir sa personnalité au milieu du changement de tout ce qui l’environne, de s’approprier, de s’assimiler ce qui s’harmonise avec sa propre vie, et d’éliminer sans retard ce qui la menace. Rappelons un passage des University sermons, où Newman insiste sur le point que voici : les grands groupements humains, raisonnant collectivement, bien que sans en avoir conscience, tirent des principes dont ils partent des conclusions exactes. En voici un exemple frappant : « Lorsque les croyances religieuses ont le temps et l’espace nécessaires pour se développer librement, elles restent d’accord avec elles-mêmes. Tel est le cas du christianisme primitif, du système médiéval, ou du calvinisme ; et pourtant cette continuité réside dans la multitude, elle est due à l’esprit des foules, inculte et peu propre à raisonner. » Univ. serm., p. 211.

Pour cette raison et pour d’autres semblables, qui s’appuient sur la nature même de l’esprit humain, on pourra toujours présumer ceci : à toutes les périodes de l’ère chrétienne, chaque génération a transmis à la suivante ce que Newman appelle la tradition prophétique, substantiellement dans le même état où elle l’avait reçue de la génération précédente. On peut légitimement appliquer cette présomption, même dans le cas où l’on croit apercevoir des changements survenus au cours des siècles, et qui de prime abord ont l’air de nouveautés, car si l’on connaissait le passé à fond, et si l’on en pénétrait l’esprit — chose bien difficile — on s’apercevrait finalement que ces soi-disant nouveautés n’en sont pas ; le plus probable a priori, c’est qu’elles ont été déduites de la foi primitive, qu’elles en sont l’application ou le développement. L’histoire confirme cette hypothèse, car les changements en question ne ressemblent en rien aux innovations des réformateurs protestants, ils n’ont rien du vin nouveau versé dans de vieilles outres ; ils ont respecté ie type original, le caractère de la relijron. C’est ce que l’on démontre à l’aide des « sept no..s » qui distinguent de la corruption, le développement véritable. On en trouvera l’explication dans un précédent volume de ce dictionnaire (t. iv, col. 1632 sq.). On en relève non seulement la présence dans l’Église catholique, mais aussi l’absence dans les différentes formes de protestantisme qui étaient familières à Newman, et c’est ce qui fait comprendre toute l’importance qu’elles avaient à ses yeux. Prenons la seconde note, « continuité dans les principes » ; neuf exemples en sont fournis. Choisissons le troisième. « La foi, qui est un acte de l’esprit, ouvre la voie aux recherches, aux comparaisons, aux déductions, en un mot, à la science religieuse, qu’elle se subordonne : tel est le principe de la théologie. » Dev., p. 325. Revenons maintenant au Sermon on development : nous y trouverons un chaleureux éloge de la science théologique (p. 314-318) qui se termine par cette forte conclusion : « Voici donc la marque de l’hérésie : ses dogmes ne portent aucune fruit ; elle n’a pas de théologie… Otez ce qui demeure encore en elle de théologie catholique, que reste-t-il ? Des