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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 11.1.djvu/205

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NEWMAN (JOHN-HENRY), LA GRAMMAIRE DE L’ASSENTIMENT


que l’on appelle les preuves du christianisme », il doit revenir sur la religion naturelle, et cette fois pour insister davantage sur un aspect plus réconfortant de celle-ci.

S) L’accumulation des probabilités et la religion révélée. - Laissons faire des démonstrations, dit Newman, à ceux qui en ont le don… Pour moi, il est plus conforme à mon propre tempérament de tenter une preuve du christianisme de la même manière non formelle, qui me permet de tenir pour certain que je suis venu en ce monde et que j’en sortirai. » L’argument se ramène à « une accumulation de probabilités variées ». Il tient que « à partir de probabilités nous pouvons construire une preuve légitime suffisante pour donner la certitude. »

Ce passage célèbre où Newman introduit sa preuve historique non formelle (informai) de la révélation chrétienne a été si abondamment discuté à l’art. Foi, t. vi, col. l’.>4-198, qu’il ne reste à peu près rien à ajouter, sinon une remarque sur la catégorie de lecteurs auxquels il s’adressait. On peut considérer qu’ils représentaient l’Anglais moyen, homme ou femme, des hautes et moyennes classes en 1870. Ce n’étaient pas des rudes à la manières du charbonnier ; mais la plupart étaient des rudes, en ce sens qu’ils n’avaient pas de connaissance spéciale de la théologie et des sciences auxiliaires, ou encore dans le sens où un théologien qui sait son saint Thomas par cœur peut être un rudis en matière d’histoire ecclésiastique ou de critique biblique. A ce monde il fallait faire voir qu’il pouvait être assuré de tel fait historique, deftt il savait seulement trop bien qu’il était mis en question. Newman déclare qu’il se préoccupe exclusivement de ceux qui acceptent les vérités de la religion naturelle. Peut-être son filet est-il assez large pour ramasser aussi les neutres qui seront curieux peut-être de voir l’usage qu’il va faire de ses « assomptions » qu’eux-mêmes n’acceptent ni ne rejettent, sachant à peine ce qu’ils pensent. Mais il n’est pas indispensable d’aller plus loin que son affirmation, qu’elle soit ou non à prendre à la lettre ; au moins elle justifie sa méthode. Et, pour parler maintenant des avantages qu’il avait, n’oublions pas qu’il écrivait pour un public lisant la Bible, aimant la Bible, connaissant la Bible comme aucun autre livre, y ayant puisé une compréhension réelle et non pas notionnelle de ce que signifie le mot de Providence. Cf. Gramm., p. 66-67. Ce public comprendrait, comme l’on comprend des idées avec lesquelles on vit, ce que Newman voulait dire quand il parlait de la bonne Providence qui veille sur nous, de Dieu qui bénit « telle façon d’argumenter qu’il lui a plu de mettre dans l’homme et dans le monde, si nous en usons de la façon qui convient. » Gramm., p. 412.

Un écrivain qui désire persuader a toutes chances de réussir, quand il peut se maintenir dans l’horizon intellectuel de ses lecteurs. Or, trop souvent, il leur demande d’exercer leur jugement sur des faits qu’il leur présente et devant lesquels ceux-ci, instinctivement, vont sentir leur incapacité, parce que les faits eux-mêmes ou la manière dont ils sont présentés leur sont étrangers. La première chose qu’apprenne un homme sensé, n’est-ce pas à s’appliquer à lui-même l’adage : Cuique in sua arte credendum ? S’il est médecin, il aura difficilement confiance en son jugement sur des questions difficiles de droit ou de finance ; s’il est juriste ou financier, il aura de la peine à se hasarder dans le domaine de la médecine. Newman, lui, ne fournit à ses lecteurs aucune raison de douter de leur compétence. Il ne leur expose que des faits avec quoi ils sont familiers, et les traite comme l’on traite des faits qui s’imposent finalement à notre attention dans la vie journalière. Prenons un exemple

tout à fait banal. Dans une maison disparaissent de petits objets de valeur. Les deux ou trois premières fois que cela arrive, on peut expliquer cette disparition par une négligence ou un oubli de la part du propriétaire, et nous sommes encore loin du merus cumulus probabilitatum qui ferait penser à un vol. Mais les disparitions continuent, alors les probabilités commencent à converger et dans une direction unique, et continuent à le faire jusqu’au moment où la seule explication possible est celle du vol. Cette manière de raisonner toute simple, toute familière, Newman l’adopte. Il s’arrête à un certain nombre de coïncidences frappantes dans l’histoire du peuple juif (y compris la prophétie) ou du christianisme primitif ; mais tout doucement ces coïncidences deviennent des probabilités convergentes, et d’une convergence qui n’admet qu’une seule explication pour ceux qui croient à la Providence et, pour ceux qui n’y croient pas, n’en admet aucune. Et pour les faits qu’il met en œuvre, à quelques exceptions près, ils n’ont pas besoin d’être longuement présentés à ses lecteurs, qui sont familiers avec eux autant que lui-même ; il leur demande seulement de remarquer la manière dont il les combine.

Dernière remarque. — Le titre même du livre, bien que Newman ne l’ait jamais expliqué, suffirait à nous renseigner : c’est un Essai et ce mot indique que l’auteur regardait son livre, en quelque manière, comme une amorce. Rien de plus naturel, car il a dû avoir conscience qu’il ouvrait un champ nouveau d’enquête dans la psychologie humaine, et, de toute nécessité, les résultats d’une première enquête sont incomplets et ont besoin, en quelques détails, de rectification. — C’est une Grammaire. Le seul et unique devoir d’un grammairien est de prendre la langue telle qu’il la trouve et de donner les règles utiles pour la parler et l’écrire correctement ; les imperfections et la possibilité de les amender ne le regardent pas. C’est exactement de cette manière que Newman traite la constitution de l’esprit humain. Ainsi, p. 7 : « Nous ne faisons, dit-il, que suivre notre nature en doutant, en inférant, en donnant notre assentiment ; notre devoir est, non pas de nous abstenir d’exercer telle ou telle fonction de notre nature, mais de faire bien ce qui est notre droit. » Et, p. 164, il se plaint de ce que Locke « donne une idée de l’esprit humain, pour ce qui concerne l’inférence et l’assentiment, qui est théorique et irréelle… Il interroge l’idéal qu’il s’est fait de la façon dont l’esprit devrait agir, au lieu d’interroger la nature humaine telle qu’elle est dans la réalité. » Et encore, p. 347 : « Ce que j’ai à constater, ce sont les lois sous lesquelles je vis. Mon premier devoir est celui de la résignation aux lois de ma nature, quelles qu’elles soient ; ma première désobéissance, c’est d’être impatient de ce que je suis, de caresser une ambitieuse aspiration vers ce qui ne peut être, d’entretenir la méfiance de ma capacité, de désirer changer des lois qui s’identifient avec moi-même. « Voir aussi, p. 350 : Si l’appel aux faits, c’est-à-dire l’ordinaire action de notre nature intellectuelle. « nous amène à déclarer… que la marche de l’inférence est toujours plus ou moins obscure, tandis que l’assentiment est toujours distinct et défini, et pourtant que ce qui est de sa nature absolu (l’assentiment) suit en fait ce qui, dans sa manifestation extérieure, nous apparaît incomplet, indirect et caché (l’inférence), que nous reste-t-il à faire, sinon de prendre les choses comme elles sont et de nous résigner à ce que nous découvrons ? En d’autres termes, au lieu d’imaginer l’impossible, une science du raisonnement qui nous contraindrait à la certitude dans les conclusions concrètes, confesser qu’il n’y a pas de critérium ultime de la vérité, en dehors du témoignage que