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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 11.1.djvu/289

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NICOLAS D’AUTRECOURT


de rendre leur sens aux propositions condamnées en 1346 : articles séparés, souvent obscurs, paradoxaux quelquefois jusqu’à l’inintelligible. L., p. 5, n. 1. Il faut que l’unité d’une pensée y paraisse à nouveau et que cette reconstruction soit assuréesurles textes dont nous disposons.

Si l’enlreprise a tenté les historiens, c’est qu’ils trouvaient à certaines thèses de « maître Nicolas » une résonance étrangement « moderne ». Lappe voit en lui un « théoricien de la connaissance » qui critique les concepts fondamentaux de la métaphysique, L., p. 8 ; pour le P. Maréchal, Nicolas a franchi, « tout d’une haleine, la distance qui sépare Occam de Hume. » Le point de départ de la métaphysique, Bruges, Paris, 1923, cahier ii, p. 118, non sans reconnaître d’ailleurs qu’un tel rapprochement appelle de sérieuses réserves ; on trouvera, sur le même point, une heureuse prudence chez M. Gilson, La philosophie au Moyen Age, Paris, 1922, t. ii, p. 112. Mais, que Nicolas d’Aut recourt soit, ou non, « le Hume du Moyen Age », il nous apporte peut-être une suggestive expérience intellectuelle. Pour bien saisir son expérience, en mesurer la portée, il ne suffit point de lier ensemble les thèses de Nicolas, il s’agit encore de déterminer la valeur qu’il accordait à ces thèses, le sens qu’il donnait à leur liaison, et si, tout au long de sa dialectique, il poursuivait un autre dessein que de réussir une prouesse d’école. Maréchal, op. cit. — Nicolas, d’autre part, est classé disciple d’Occam : il a fait « rendre aux principes philosophiques posés par Occam leurs plus extrêmes conséquences. » Gilson, p. 110. Il est encore le contemporain de Thomas Bradwardine et de Jean de Mirecourt, condamné un an après lui : ici, l’historien enfonce dans l’inconnu. Il faudrait envisager tout ce milieu pour comprendre, à sa date et dans toutes ses nuances, la condamnation de Nicolas., . Mais tout cela passe nos connaissances et intéresse plutôt une étude générale du Nominalisme.

Mais en partant de la Discu.ssio et reprobatio errorum, un premier travail est possible, que nous entreprenons ici : approcher, pour l’ensemble des propositions, du sens que Nicolas leur donnait. Abstraction faite des articuli missi de Parisius (ces 10 propositions, qui n’ont rien de très caractéristique, ne se réfèrent point à des textes précis qui puissent nous les expliquer), les articles condamnés forment deux masses : la première, cedula « Ve michi », en rapport avec les lettres à Bernard d’Arezzo ; la seconde, L., p. 36*-41*, en rapport avec le traité Exigit ordo. — Les propositions du premier groupe ont une allure nettement critique : non potest cvidenter inferri…, non habemus certiludinem evidenlie…, nescimus evidenter, etc. Nicolas soumet des idées reçues à l’épreuve de l’évidence. — Dans le deuxième groupe, on discerne deux thèmes principaux : le dessein, d’abord, ou même la mission de Nicolas, qui vient réveiller les hommes du sommeil aristotélicien — ensuite, l’éternité de toutes choses, matérielles et spirituelles : les propositions ont ici un aspect dogmatique, qui étonne. Maréchal, op. cit., p. 121. En fonction des articles qui s’y réfèrent, on peut essayer une introduction au traité Exigit ordo. — Il restera des propositions inexpliquées, quelques-unes apparemment inintelligibles : paradoxes logiques et moraux, que nous examinerons en dernier lieu. — Avant de passer aux lettres à Bernard et à Y Exigit ordo, notons que la doctrine de ces textes se lie au premier enseignement de Nicolas commentateur des Sentences : in primo principio quando legi Sententias et in epistola secunda et sexta… L., p. 31*, 1. Il : conclusiones quas posuisli ut probabiles in tuo principio et quas es recilalurus in islo tractalu. Bodi, fol. 1 r°, col. B (Nicolas fait parler un de ses adversaires).

ii. l’épreuve de l’évidence dans la polémique contre Bernard d’Arezzo et la cédule « Ve michi ». — 1° le premier principe. — 1. Une décision initiale.-- Avant de disputer ensemble, Nicolas et Bernard s’accordent sur le premier principe qu’Aristote a formulé : impossibile est aliquid eidem rei inesse et non inesse. Voici leur discussion située dans la lumière naturelle, au degré le plus strict d’évidence. L., p. 35*, 1. 17-26. Nicolas se tient constamment à ce degré, défini par le principe dont il propose cette autre formule : conlradicloria non possunt simul esse vera. L., p. 6*, 1. 33. Nous rencontrons un logicien qui raisonne sur termes et propositions, occupé seulement à ne point nier ce qu’à la fois il affirme (sur les deux formules du principes, cf. L., p.8, n.l et ci-dessous, 9°, 3).

2. Apparence et réalité.

La première lettre à Bernard critique sa théorie de la connaissance intuitive (au sens du xiv 6 siècle : acte de connaître d’où suit aussitôt le jugement d’existence), que Nicolas présente ainsi : appelons connaissance intuitive, claire ou parfaite, celle par quoi nous jugeons qu’une chose est ; la connaissance, passion de l’âme, et la chose connue sont deux ; l’une peut exister à part de l’autre, sans contradiction, par la Toute-Puissance divine ; dès lors, cette inférence ne vaut pas : hoc videtur, ergo hoc est, L., p. 2*, 1. 14, à moins que l’on ne se place expressément dans l’ordre naturel où Dieu n’agit pas seul, mais par des causes secondes. En tout cas, le jugement d’existence doit suivre de la connaissance intuitive à la manière d’une conséquence, logiquement, L., p. 3*, 1. 4, 1. 12 : il faudrait, semble-t-il, que toute certitude prenne forme logique.

De la doctrine de Bernard, Nicolas déduit sans peine les plus graves conséquences sceptiques :

a) Il considère d’abord la connaissance des choses : tout ce qui nous apparaît de l’existence d’objets extérieurs. L., p. 2*, 1. 19-26. Cette apparence et les choses même, cela fait deux : comme l’a vu Gilles, L., p. 16*, 1. 21, il s’agit de passer du même à l’autre, c’est déjà le problème de la liaison des existences, que nous retrouverons. Entre la connaissance et la chose, puisqu’il n’y a pas identité, il ne peut y avoir liaison évidente, L., p. 2*, 1. 28-p. 3*, 1. 1. A partir d’une connaissance distincte de son objet, on ne peut être logiquement certain de l’existence de cet objet. — C’est en vain que, pour échapper à cette conséquence, Bernard se place dans la perspective d’un ordre naturel, où, de la connaissance, on pourrait conclure à l’existence de son objet : quelle qu’en soit la cause, Dieu ou l’objet, la connaissance, prise en soi, reste une et la même ; le même antécédent ne saurait porter une autre conséquence, L., p. 3*, 1. 13-23 ; on croit, d’autre part, se trouver dans l’ordre naturel, où Dieu ne fait pas de miracle, on ne le sait pas : lantum est creditum, et de la foi, il ne suit jamais une évidence, L., p. 3*, 1. 23-33 ; Aristote et les philosophes enfin ne s’occupaient ni de l’ordre surnaturel, ni de l’ordre naturel ; de la seule connaissance, ils concluaient à l’existence des choses : du point de vue de Bernard, ils n’en avaient point certitude. L., p. 4*, 1. 1-6.

b) Le même doute atteint nos actes, le fait que nous voyons, que nous entendons. L., p. 4*, 1. 22. Après l’existence des choses qui nous apparaissent, Nicolas conteste à Bernard le fait même d’apparaître : evidentia vestri apparere, L., p. 5*, 1. 7 : nouvelle incertitude, bien plus difficile à tenir. L., p. 4*, 1. 21. — Bernard n’assure-t-il pas (en bon aristotélicien) que la connaissance de nos actes nous est moins claire que la connaissance des choses ? à douter des choses, il faut donc, à fortiori, douter de nos actes. L., p. 4*, 1. 24-34. — Bernard tient encore qu’oc/us reclus et reflexus non sunt idem : mon acte de foi et l’acte par lequel j’en ai conscience font deux, tout, comme la