Aller au contenu

Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 11.1.djvu/333

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
647
648
NICON


que tous se rendent compte que tu t’es réconcilié avec lui. » Nicon, sans doute, avait jugé d’autant plus nécessaire de bien marquer cette indépendance de l’Église vis-à-vis de la couronne, que le nouveau Code de lois, promulgué à peine trois ans auparavant (1649), avait enlevé à l’Église russe ses dernières prérogatives, en soumettant le clergé à la juridiction séculière.

Durant cette absence de Nicon, le patriarche Joseph mourut. Nicon fut choisi — désigné par le tsar et élu par le concile — pour être son successeur ; mais, après son élection, il refusa de se laisser consacrer jusqu’à ce que le tsar et les boyards se fussent jetés à ses pieds et lui eussent juré obéissance. Il voulait évidemment paralyser l’opposition du tsar et de la noblesse contre l’émancipation de l’Église qu’il se proposait d’entreprendre.

Le patriarche. — Laissant de côté les multiples questions —d’ordre plutôt historique — -qui font du patriarcat de Nicon une époque glorieuse dans l’histoire de Russie, limitons-nous à dire quelques mots de la fameuse réforme liturgique qui devait rester attachée à son nom. Depuis le concile de Florence, et surtout depuis la création du patriarcat en Russie, l’idée de Moscou, troisième. Rome, avait fait son chemin. Jérémie II de Gonstantinople, et Théophane de Jérusalem avaient consacré cette expression louangeuse. Les Russes, d’autre part, méprisaient les Grecs, qui, soumis aux Turcs et obligés d’imprimer leurs livres à Venise, à Paris, ou à Rome « dans le territoire du pape », étaient considérés comme ayant perdu la pureté de la foi. Or, au cours des siècles, bien des différences avaient surgi entre Grecs et Russes, soit dans le texte des livres liturgiques, soit dans les cérémonies elles-mêmes. En voici quelques exemples. Les Grecs lisaient Usas, ies Russes Isus ; les Grecs faisaient le signe de la croix avec trois doigts, les Moscovites avec deux. Les Grecs disaient l’Alleluia trois fois, les Moscovites deux fois, etc. Le tsar et son entourage désirèrent unifier tout cela. Leur grécophilisme qui s’explique pour bien des raisons, principalement politiques, les poussait à se conformer en tout aux Grecs. Nicon, pour des motifs plus théologiques, partageait leur manière de voir, et ce fut une des raisons pour lesquelles il fut nommé patriarche. Au début du carême de 1653, il ordonna de « faire les métanies (inclinations) quadragésimales jusqu’à la ceinture, et de faire le signe de la croix avec trois doigts. » Les anciens amis de Nicon, Neronov, Daniel et d’autres, tout le petit groupe qui sous le patriarcat précédent avait dirigé l’Église se révolta. Ce fut l’origine du schisme des vieux-croyants (slarovières), les plus nombreux parmi les raskolniks (ou schismatiques ) de Russie. Nicon, fort de l’appui du tsar, les fit condamner, déposer, et exiler en divers endroits de Russie. Il se livra alors entièrement à la correction des Livres saints. En mars 1654, il convoque un concile où il décrète cette correction, rétablit la législation sur les métanies, proclame la nécessité de l’accord complet entre les divers patriarcats, et condamne Paul, évêque de Kolomna, à l’exil (les starovières disent à être brûlé vif, mais sans évidence historique) pour lui avoir résisté. Peu après, il envoie une longue lettre au patriarche de Constantinople, dans laquelle il lui pose 28 questions, et demande son approbation pour les décisions prises. Sans attendre la réponse de Gonstantinople, sous l’influence du patriarche Macaire III d’Antioche, qui était arrivé à Moscou le 2 février 1655, il prononce l’anathème contre ceux qui faisaient le signe de la croix avec deux doigts. Nouveau concile en 1655, au cours duquel fut préparé la fameuse édition du missel de 1655, basée sur un eucologe imprimé à Venise. Il y eut un

autre concile encore en 1656 toujours sur cette même question.

Le patriarche Paise de Constantinople répondit par une longue lettre, dans laquelle il s’exprimait sur les 28 questions, en expliquant ce qu’il y avait d’accidentel et d’essentiel dans la liturgie. La lettre est importante pour l’histoire de la théologie en Moscovie. Le patriarche Paise n’approuvait qu’assez mollement les réformes niconiennes, et allait jusqu’à admettre des variantes dans la manière de faire le signe de la croix. Le patriarche de Jérusalem envoyait à Nicon l’ouvrage de Jean Nathanaël appelé Skrizal ou IlîvaÇ. Ce dernier ouvrage marque une date importante, car ce fut alors que furent introduites en Russie les doctrines contraires à la tradition orientale que Notre-Dame fut sanctifiée du péché originel lors de l’Annonciation et que la transsubstantiation s’opère lors de l’épiclèse. La réforme liturgique fut poussée avec moins d’énergie après 1656. Il semble que le tsar, qui intercédait pour les exilés, doit être considéré comme responsable de ce ralentissement. Ses hésitations, croyons-nous, furent une des causes principales du développement initial du schisme des starovières.

Il se fatiguait d’ailleurs de Nicon. En juillet 1658, à la suite d’une altercation, il refusait de venir à l’église pour les fêtes de Notre-Dame de Kazan et de la Translation des reliques du Sauveur (7 et 10 juillet). Nicon, le 10 juillet, lors de la liturgie, prêcha au peuple un sermon retentissant, au cours duquel il quitta le patriarcat. Après cette manifestation, il attendit encore trois jours pour voir si le souverain viendrait à résipiscence, mais, sentant que tout était bien fini, il se rendit au monastère de la Nouvelle-Jérusalem qu’il avait fondé.

La lutte. — De 1659 à 1666, Nicon lutta ouvertement contre le tsar. Dès l’hiver de 1658, on posait déjà la question d’un appel à Constantinople pour demander l’autorisation d’élire un nouveau patriarche. Tout en tolérant les intrigues des boyards contre le patriarche déchu, le souverain lui donnait encore quelques marques de respect. Le métropolite des Kruticy, au grand scandale de Nicon, le remplaçait dans l’exercice des fonctions patriarcales. Le dimanche des Rameaux, assis sur la mule que le tsar tenait par la bride, il présidait la cérémonie symbolique de l’entrée du Christ à Jérusalem. En 1659, une invasion de Tatares donna à Nicon l’occasion de venir à Moscou, où le souverain le reçut aimablement. D’autre part, moins d’un an après, une tentative d’empoisonnement était dirigée contre lui.

Concile de 1660. — En février 1660, le tsar fit convoquer un concile pour démontrer que Nicon avait abandonné le patriarcat de sa propre volonté, et qu’il devenait nécessaire de lui choisir un successeur. On fit venir tous ceux qui avaient assisté à la scène du 10 juillet 1658. Les dépositions ne furent pas faites de vive voix ; elles furent écrites (ou dictées et signées, puis livrées au boyard Pierre Soltikov), et enfin lues devant le synode. Une critique, même sommaire, de ces témoignages, démontre qu’il y eut des pressions exercées et des injustices commises. Nicon d’ailleurs protesta violemment contre la procédure suivie, et condamna le synode qu’il appela une synagogue juive. Le concile, obéissant aux ordres manifestes du souverain, qui, d’ailleurs, imposait continuellement sa volonté, conclut que Nicon en fait n’était plus patriarche et qu’il était urgent de lui élire un successeur. Seul, le célèbre Épiphane Slavineckij osa dire : « On ne peut désigner un successeur sans avoir d’abord déposé Nicon. Quelques-uns disent que Nicon se déposa lui-même en renonçant à sa dignité. Je répondrai qu’il renonça seulement en paroles, afin de forcer