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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 11.1.djvu/357

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NOMBRES (LIVRE DES). VALEUR HISTORIQUE


bien différentes, allant des temps les plus anciens de l’histoire d’Israël à ceux qui suivirent le siècle de Néhémie.

Valeur historique.

 Un tel livre nous donne-t-il

l’histoire vraie de l’époque qu’il prétend nous faire connaître ? Événements, personnages, institutions, tout en un mot est-il bien conforme à la réalité ? La question s’impose d’autant plus que la partie de beaucoup la plus considérable du livre des Nombres, histoire aussi bien que législation, est tenue pour venir du Code sacerdotal ; or celui-ci est formé d’éléments dont, pour la plupart, la rédaction ne remonte pas au delà de 500 et descend même parfois jusqu’aux environs de 300. Si un tel éloignement des faits rapportés n’implique pas nécessairement l’erreur, il invite du moins à un contrôle rigoureux pour reconnaître dans la description d’un passé déjà lointain des traits et des couleurs qui pourraient provenir d’époques plus récentes, afin de ne pas les retenir dans la reconstitution historique d’une période plus ancienne.

En fait, il y a lieu de distinguer pour les Nombres, comme d’ailleurs pour le reste du Pentateuque, une double valeur historique, l’une qu’on peut appeler directe, car elle s’applique à la période même dont traitent les récits du livre en question, et une autre, indirecte, qui vise les différentes époques où furent en fait composés ces récits.

Pour la première, on est bien obligé d’admettre qu’elle n’est pas bien grande. Sans doute, on peut accorder une certaine confiance aux grande lignes de l’histoire, telle qu’elle se dégage des documents J et E, surtout si, avec quelques critiques récents, on en reporte la rédaction aux premiers temps de la monarchie, avant même le schisme des dix tribus (Sellin) ; c’est ainsi qu’on admettra, par exemple, le fait lui-même de la sortie d’Egypte, sans prétendre toutefois qu’il ait intéressé la nation dans son ensemble ; il pourra en être de même pour le voyage dans le désert, attesté par d’autres témoignages anciens ou pour l’œuvre réalisée par un grand chef et un prophète tel que Moïse ; d’autres faits de moindre importance, telle la révolte de Dathan et Abiron, ne sont pas non plus, semble-t-il, sans lien avec la réalité ; mais il n’en restera pas moins que notre connaissance de l’histoire authentique de la période de l’Exode demeure bien incomplète et incertaine.

Quant à ce qui est rapporté dans le Code sacerdotal, d’époque bien plus récente, il apparaît difficile d’y trouver des données vraiment historiques sur cette même période. A l’impression générale qu’il y manque ce qui caractérise une relation authentique, s’ajoute le fait, maintes fois constaté, de détails, surtout dans les statistiques ou les textes des lois, qui sont incompatibles avec l’âge mosaïque ou même irréels ; ainsi en est-ii du nombre d’Israélites donné aux c. x-xv ; des listes de personnages, malgré la présence de noms vraiment anciens ; de l’organisation des lévites, de leur situation, de leurs fonctions et du système fiscal élaboré en vue de leur entretien et de celui des prêtres ; ainsi en est-il encore de la chronologie qui ne laisse qu’une durée de dix-neuf jours pour les événements rapportés du c. i, 1 au c. x, 11, ou de cinq mois seulement pour tout ce qui est survenu depuis le départ du mont Hor jusqu’au dernier discours adressé au peuple par Moïse. Cf. Gray, Op. cit.,

p. XUV-XLV.

Ce n’est donc pas l’Israël de l’Exode qui s’offre à nous dans le Code sacerdotal, mais bien plutôt celui de la période postéxilienne avec ses institutions, ses croyances, son organisation ; les parties narratives de ce document n’étant d’ailleurs que le cadre imaginé pour amener les prescriptions législatives qui s’impo saient à la communauté juive après le retour de la captivité. Production tout à fait artificielle, le Code sacerdotal entrevoit le passé au travers des préoccupations du présent, projetant dans cette époque reculée, l’origine de lois, d’institutions relativement récentes. « A l’époque où le Document sacerdotal fut rédigé, dit un critique moderne, Israël avait déjà plus ou moins longtemps pratiqué des institutions qui lui étaient devenues chères et, semblait-il, indispensables. Sans doute, elles n’avaient pas atteint d’un seul coup la forme qu’elles eurent soit au moment de l’exil, soit dans les siècles qui suivirent ; sans doute encore, elles étaient susceptibles de modifications et de développements ultérieurs. Elles n’en formaient pas moins un ensemble que le judaïsme était tout naturellement conduit à accepter et à vénérer en bloc. De là à se représenter que la forme existante était la forme antique et permanente, il n’y avait qu’un pas à franchir. Et même il était naturel d’attribuer à l’état de choses initial un caractère de perfection, d’en faire un idéal, un modèle accompli, de reporter ainsi aux origines mêmes, non seulement le développement déjà obtenu, mais encore celui auquel on aspirait et qu’on espérait réaliser. » L. Gautier, Op. cit., p. 146.

Tout autre serait la valeur historique des Nombres, qu’on appelle indirecte. Si, en effet, les différents documents dont il est constitué sont un reflet de l’époque de leur rédaction, ils deviennent ainsi une source d’information précieuse pour les époques respectives auxquelles on les attribue, surtout pour la connaissance de leurs lois et de leurs coutumes, de leur état de développement et de leur caractère général ; ainsi l’histoire d’Israël, à ses sources ordinaires d’information pour la période qui va des premiers temps de la royauté jusqu’à ceux d’Esdras et de Néhémie, pourra joindre dans une large mesure le Pentateuque. D’une telle conclusion, il n’y a pas lieu de s’étonner car, après tout, ce qui importe c’est la leçon morale et religieuse bien plus que le souvenir de quelques faits anciens ; l’inspiration, remarque un des récents commentateurs du livre des Nombres, n’a pas été donnée aux auteurs ou aux rédacteurs de la Bible pour en faire de simples chroniqueurs ou annalistes ; par le choix des matériaux et leur mise en œuvre, ils cherchaient à imprimer dans l’esprit des lecteurs les leçons que Dieu voulait leur faire parvenir. Cf. Binns, Op. cit., p. xl.

Si les conclusions littéraires et historiques de la critique indépendante prévalent encore en dehors du catholicisme, il faut pourtant signaler une évolution réelle vers une méthode et des résultats qui s’éloignent de plus en plus de l’hypercritisme de l’école wellhausienne. B. Kittel, « l’un des biblistes protestants les plus universellement et les plus justement estimés », paraît bien avoir donné le signal d’un changement de front, dans un discours sur l’avenir de la science de l’Ancien Testament, lu au premier congrès allemand d’Orientalistes, Die Zukunft der altlestamentlichen Wissenschaft, dans Zeitsehrijl fur A. T. Wissenscliaft, 1921, Giessen, p. 84-99, tiré à part. Tout en reconnaissant les services rendus par le wellhausisme au point de vue littéraire, il constate que bon nombre de ses conclusions sont de plus en plus bouleversées de fond en comble par les découvertes archéologiques et les études orientales. Il paraît en somme, avoir fait son temps. C’est désormais par une méthode plus historique qui s’efforce de comprendre la religion d’Israël en s’aidant des découvertes orientales et de la science comparative des littératures et des religions qu’il importe d’aborder l’étude de la Bible. L’excessif rajeunissement des écrits bibliques et leur interprétation à base d’évolutionnisme naturaliste n’apparaît plus guère soutenable.