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    1. NOMINALISME##


NOMINALISME. LA PUISSANCE DIVINE

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Plutôt que par le terme confus de volontarisme, nous définirions la théologie d’Occam par les idées de perfection et surtout de simplicité divines poussées à fond.

2. La connaissance envisagée de potentia Dei absoluta.

Notre intellect saisit d’abord l’individu, donné au sens : c’est la connaissance intuitive, qui porte, d’après Duns Scot, sur ce qui existe réellement et nous est présent :

[notitia ] abstractiva potest indifferenter esse existentis et non existenlis, præsentis et non pressentis, intuiliva autem pressentis et existentis realiter Sent., prol., q. i, AA. Que devient cette définition de la connaissance intuitive par la présence réelle de l’objet, lorsque, se souvenant que toutes choses sont œuvre d’un Dieu libre, on les place dans la perspective de sa toute-puissance ?

a) Les principes.
La foi en un Dieu tout-puissant conduit à deux principes qu’Occam n’invente pas : son originalité tient dans l’application systématique qu’il fait de ces principes traditionnels :

Premier principe. — Dieu pourrait réaliser seul ce qu’il accomplit avec le concours de causes secondes, in illo arliculo (se. Credo in Deum Patrem omnipotentem) (undatur illa propositio famosa iheoloç/orum : Quicquid Dens producit medianlibus causis secundis, potest immédiate sine illis producere et conservare, Quodl., VI, q. vi ; cf. Sent., prol., q. i, BB : Quicquid potest Deus per causam efficientem mediatam, hoc potest immédiate. Dieu possédant la plénitude de la puissance n’a besoin d’aucune aide.

Second principe. — Si deux choses n’existent ni dans le même sujet, ni dans le même lieu, Dieu peut faire exister l’une sans l’autre, omnis res absoluta distincta loco et subjecto ab alia re potest per potentiam divinam existere alia re absoluta destructa, Quodl., VI, q. vi ; cf. Sent., prol., q. i, HH. C’est le point de vue auquel se placent ceux qui réalisent la matière à part de toute forme, illud principium commune : ubi quodlibet aliquorum convenil alicui contingenter, si non sil conlradictio, Deus potest lacère ipsum sine omnibus simul. Sic enim probatur potissime materiam posse esse sine omni forma, Quodl., VI, q. v.

Appliquons ces principes à la connaissance intuitive :

d’une part, la même connaissance dont l’objet est cause, Dieu peut en être la cause ;

d’autre part, la connaissance, qualité de l’âme, et l’objet sont deux choses, dont la première peut exister à part.

De ce point de vue, on aperçoit toutes les formes de la connaissance intuitive :

b) Les formes de la connaissance intuitive.
On peut les classer d’après la nature de leur objet :

a. Objet existant et présent. — Nous avons un objet réel, assez proche, debilo modo approximatum, præsens in débita distanlia, pour agir sur le sens et l’intellect selon l’ordre de la nature ; ici se vérifie la définition de Duns Scot : Cognilio intuiliva est præsenlis et existentis ut pressens et existens est ; c’est la forme naturelle de la connaissance intuitive, cognitio intuiliva qnæ naturaliter causatur, II Sent., q. xv, E.

b. Objet existant. — Supposons que l’objet s’éloigne, mais que Dieu conserve, par sa seule puissance, ce que l’objet avait d’abord causé (naturelle par son origine, la connaissance est surnaturelle par sa conservation ; cognitio nalundis quantum ad cuusationem et supernaturalis quantum ad conservalionem), — ou encore que l’objet soit à tel point éloigné qu’il ne puisse agir, mais que Dieu agisse à sa place (la connaissance est surnaturelle dès son origine : cognitio supernaturalitcr causata), — l’esprit verrait alors, grâce à Dieu, ce que naturellement il ne voit pas : nous avons une connaissance surnaturelle, qui se moque de la distance, atteint tout l’existant, et pas seulement ce qui nous est assez proche, présent, per istam possum judicare rem esse quando est quantumcumque distet objectum cognitum, II Sent., q. xv, E.

c. Objet non existant. — Supposons que l’objet se corrompe, ou qu’il n’existe point. Dieu peut en conserver, ou en créer, la connaissance intuitive. Ainsi peut-il y avoir connaissance intuitive d’un objet qui n’existe point, intuiliva nolitia tam sensitiva quam intellectiva potest esse de re non existente, Sent., prol. q. i, HH, par laquelle l’esprit connaît évidemment cette non existence, per notitiam intuitivam rei potest evidenler cognosci res non esse quando res non est, Loc. cit., ZZ.

De l’objet présent, nous sommes allés à l’objet simplement existant, puis à l’objet qui n’existe point ; en mettant le fait de la connaissance intuitive dans la perspective de la toute-puissance divine, nous nous sommes étendus à tout le possible ; nous reconnaissons alors que cette connaissance ne s’arrête pas de soi à ce qui existe, notitia intuiliva per se et necessario non plus est existentis quam non existentis, loc. cit., BB, qu’elle peut apporter les termes et faire l’évidence de tout jugement d’existence, affirmatif ou négatif, per istam [cognilionem ] possum judicare rem esse quando est… et non esse quando non est, II Sent., q. xv, E.

Hochstetter a insisté sur ce lien de la connaissance intuitive avec les jugements d’existence, Studien zur Metaphijsik und Erkennlnislehre Wilhem von Ockham, Berlin, 1927, p. 29 et 32 ; mais il ne faut pas oublier que l’affirmation et la négation d’existence n’ont pas, dans la doctrine, la même place : l’affirmation d’existence, l’évidence du fait sont la donnée première ; la négation évidente d’une réalité n’est qu’une possibilité ouverte devant l’esprit.

C’est la possibilité d’une vision dont l’objet n’est rien, illud quod ego intueor est purum nihil, II Sent., q. xv. E. Cela paraît contradictoire, conlradictio est quod visio sit et objectum visum non sit, Quodl., VI, q. vi. Occam distingue entre deux néants, le néant de l’impossible, et celui du possible non réalisé, dico quod conlradictio est quod visio sit et quod illud quod videtur non sit in effectu nec esse possil, ideo conlradictio est quod chymera videatur intuitive. Sed non est conlradictio, quod id quod videtur nihil sil in actu extra animam, dummodo possit esse in effectu vel aliquando fuerit in rerum natura, Quodl., VI, q. vi. La connaissance intuitive du non-existant est vision de ce qui n’est pas, mais pourrait être, nous sommes partis de la vision du réel, nous avons considéré que la réalité de la vision était séparable de la réalité de son objet ; mais cet objet, ayant perdu sa réalité, demeure possible, ne devient jamais vain comme une chimère.

La plénitude de la connaissance intuitive se réalise en Dieu, Deus habet notitiam intuitivam omnium sive sint. sive non sint, qui voit ce qui est et ce qui n’est point, quia ita cognoscit creaturas non esse quando non sunt sicut cognoscit esse quando sunt, Sent., prol., q. i, HH, qui connaît tout ce qu’il peut faire, avant que ce soit fait, Deus vidit ab œterno omnes res factibiles et tamen tune nihil fuerunt, Quodl., VI, q. vi.

Voilà ce que devient la connaissance intuitive, vision intellectuelle, quand on l’élargit à la mesure du Dieu tout-puissant.

c. La vérité de la connaissance.
Qu’elle trouve sa cause en son objet ou en Dieu seul, la connaissance intuitive est toujours vraie ; elle nous fait juger qu’une chose est quand elle est, qu’elle n’est pas quand elle n’est pas ; jamais elle ii, e nous abuse : la puissance même de Dieu ne peut faire intuitivement paraître présent un objet absent, Deus non potest causare in nobis cognilionem talem per quam evidenler apparcal nobis res esse præsens quando est absens, Quodl., Y. q. v.

Lue évidence trompeuse est chose contradictoire, impossible à Dieu même. En voici la raison : c’est la