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NOMS DIVINS

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gique, à la fois à Dieu et aux créatures, et les termes dont on se sert pour désigner les attributs divins et les qualités créées sont purement équivoques. Pour les scotistes, la vérité des noms divins implique en Dieu une multiplicité antérieure à la considération de notre esprit. C’est par un subterfuge verbal qu’on pense conserver encore la simplicité divine, et la signification des termes semble impliquer entre Dieu et les créatures une réelle uniocité.

Intermédiaire entre ces deux solutions extrêmes, se présente la solution thomiste, basée sur l’analogie des noms divins. Elle évite, d’une part, l’agnosticisme des nominalistes, sans verser, d’autre part, dans l’erreur anthropomorphiste.

2. Exposé de la solution thomiste. —

a) Contre l’agnosticisme, saint Thomas affirme que certains termes s’appliquent en toute propriété à Lieu, quant aux perfections qu’ils désignent, mais non quant au mode selon lequel notre esprit est obligé de concevoir ici-bas ces perfections, Sum. theol., P, q. xiii, a. 3. Ces termes sont ceux qui marquent les perfections absolues, lesquelles ne comportent essentiellement aucun élément d’imperfection propre aux créatures. Exemple : être, sagesse, bonté, etc. Les termes désignant des perfections mixtes, lesquelles sont toujours conçues suivant un mode propre aux créatures, ne peuvent s’appliquer à Dieu qu’improprement, c’est-à-dire métaphoriquement. Qu’on n’objecte pas que la propriété du terme suppose la connaissance propre de l’objet. Autre chose, en effet, est la connaissance propre qui ne peut exister que si elle atteint son objet selon le mode même de son existence, autre chose l’attribution en propre d’un terme à cet objet, cette attribution en propre existant chaque fois que ce terme signifie d’une manière indéterminée une perfection réelle qui d’ailleurs peut exister en des êtres différents selon des modes différents. Les perfections absolues sont conçues et exprimées par nous sans mélange de défauts : comme telles, nous les attribuons formellement à Dieu, et les termes par lesquels nous les exprimons conviennent donc en propre à Dieu. Mais nous ne les pouvons concevoir ici-bas que d’après le mode qu’elles possèdent dans les créatures, et ce mode ne saurait être transporté en Dieu. Aussi, comme l’enseigne le pseudo-Denys, les termes de ce genre peuvent-ils être, en toute propriété, affirmés et être niés de Dieu, affirmés en raison de leur signification, niés en raison du mode de leur signification. Car, en Dieu, les perfections exprimées par eux n’existent que selon un mode de suréminence, et notre langage ne peut exprimer ce mode qu’en recourant à la négation, par exemple dire de Dieu qu’il est infini ou immatériel, ou immuable, ou encore en recourant à la relation que Dieu possède vis-à-vis des choses créées, par exemple le proclamer souveraine cause ou souverain bien. Cf. Sertillanges, Les grandes thèses de la philosophie thomiste, Paris, 1929, p. 73-74 ; S. Thomas, Sum. cont. Gentes, t. I, c. xxx. Selon notre mode de concevoir, nous sommes obligés d’affirmer la simplicité divine en « composant » un sujet avec un attribut : Dieu est bon. Ce n’est pas pour autant, affirmer que Dieu soit composé. L’affirmation renfermée dans les termes que nous employons reste donc objectivement vraie quant à la réalité des perfections affirmées. Cf. S. Thomas, Sum. theol., f a, q. xiii, a. 12.

b) Les termes qui s’appliquent en toute propriété à Dieu ne sont cependant pas synonymes.

Cette affirmation répond à la préoccupation de tenir le juste milieu entre Scot et Maimonide. Sont synonymes les termes qui, tout en différant verbalement entre eux, expriment néanmoins des réalités identiques, identiques non seulement dans leur être, mais encore dans leur concept Si les « noms divins » étaient synonymes, il faudrait nier en Dieu ce que les théologiens appellent les distinctions de raison raisonnée. Les termes qui s’appliquent à Dieu proprement ne sont pas synonymes pour autant, parce que précisément, quoique désignant la même réalité, ils ne la désignent pas avec le même concept.

Il y a une double distinction de raison raisonnée, la majeure et la mineure. La distinction majeure porte sur des concepts formels adéquatement différents : en Lieu, c’est la distinction qui existe entre la relation et les propriétés personnelles d’une part, et la substance et les propriétés essentielles d’autre part. Voir plus loin et l’art. Notion. La distinction mineure porte sur des concepts formels qui se contiennent implicitement les uns les autres, mais diffèrent dans leurs notes explicites. C’est, en Dieu, la distinction qui existe entre les attributs essentiels, comparés les uns aux autres. En Dieu, en effet, l’attribut essentiel se réfère à l’être absolu, c’est-à-dire à la substance. Or, la substance divine est l’être subsistant par soi, donc l’être infini et d’une plénitude totale de perfection. Donc, en exprimant un seul des attributs essentiels de Dieu, nous exprimons implicitement tous les autres, parce qu’ils s’identifient en réalité tous dans la même substance. Mais, comme il ne nous est pas possible d’exprimer en un seul concept toute la perfection divine, notre esprit est obligé de concevoir la substance très simple de Dieu à l’aide de notions multiples et différentes, lesquelles ont ainsi pour double fondement, d’une part l’éminence de la divine perfection, d’autre part la faiblesse de notre intelligence. S. Thomas, Sum. theol., Ia, q. xiii, a. 4. Ainsi, dans la solution thomiste, les noms divins signifient que « les perfections absolues sont en Dieu formellement et éminemment et ne sont pourtant distinctes les unes des autres que virtuellement. Elles y sont formellement, c’est-à-dire selon leur raison formelle ; éminemment, c’est-à-dire selon un mode infiniment supérieur au monde créé, qui ne nous est connaissable que d’une façon négative et relative, et qui leur permet de s’identifier sans se détruire dans la raison formelle de la Déité. De la sorte, elles sont en Dieu formellement et ne se distinguent pourtant les unes des autres que virtuellement, ou autrement dit selon une distinction de raison raisonnée fondée en réalité, mais postérieure à la considération de notre esprit. » Garrigou-Lagrange, op. cit., p. 521.

c) Les termes qui s’appliquent proprement à Dieu et aux créatures ne sont ni équivoques, ni univoques, mais analogues, S. Thomas, q. xiii, a. 5. —

L’univocité ne saurait exister, puisque les termes employés pour désigner les perfections divines et les perfections créées ne peuvent impliquer, entre ces perfections, une réelle participation à une notion vraiment et directement commune. Saint Thomas juge une telle univocité « tout à fait erronée », Voire « ridicule ». De veritate, q. ii, a. 1. « Et la raison en est qu’il n’y a pas en Dieu de qualités, qu’il n’y a pas en Dieu de distinction de sujet et d’attribut, qu’il y a encore moins de distinctions qualitatives exprimables au moyen de nos noms. Ce que nous appelons en Dieu sagesse est identique à ce que nous appelons en Dieu bonté ou puissance, identique à ce que nous appelons son être, identique à ce que nous appelons Dieu. » Sertillanges, 'op. cit., p. 71. L’équivocité ne peut également être retenue puisqu’entre les perfections divines et les perfections créées désignées par le même nom, il existe un rapport réel soit de dépendance soit de similitude. Ce rapport réel de dépendance ou de similitude fonde l'analogie des noms divins. Voir Analogie, t. I, col. 1146.

Cette analogie est double. Il y a tout d’abord l’analogie d’attribution ou de proportion. Ici, l’analogie