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OCCAM ET L’UNIVERSITÉ DE PARIS


tion fausse et erronée, remarquent les censeurs. — Ils sont plus indulgents, d’ailleurs, pour une déduction qui n’est pas sans analogie et se rapporte à l’amour de Dieu dans l'état de terme : Videns essentiam divinam et carens per potentiam divinam absolutam dilectione Dei poiest nolle Deum (art. 4(5). La réponse des censeurs est à signaler, peut-être pourrait-elle s’appliquer à bon nombre des articles visés : Dicimus quod artieulus iste potest iransire sicut disputabilis, accipiendo « nolle Deum » sub aliqua speciali ratione, si lamen suppositio sit vera. — Même modération dans l’examen de l’art. 35 : Exislens in caritate potest habere habitum odiendi Deum. A quoi les censeurs répondent : « S’il s’agit d’un habilus (odiendi Deum) qui ait précédé l’infusion de la charité (ou de la grâce), il peut y avoir discussion ; mais s’il s’agissait d’un habitus s’installant dans l'âme après ladite infusion, habitus qui ne peut être engendré que par des actes mauvais, dont chacun détruit la charité, la proposition est hérétique.

(5. Conclusion. — De cette revue des articles incriminés et des qualifications portées sur eux, une conclusion paraît se dégager. La commission pontificale a soigneusement fait le départ entre les doctrines strictement philosophiques d’Occam et les opinions théologiques avancées par celui-ci. Si elle ne dissimule pas l’aversion que lui causent beaucoup des premières, elle reste fidèle néanmoins à la théorie de la distinction des domaines et s’abstient d’infliger aux propositions de ce genre aucune censure théologique. Pour ce qui est des allégations d’Occam touchant aux questions de dogme ou de théologie, la commission distingue aussi, avec beaucoup de finesse, entre ce qui est enseigné par l’auteur, et ce qui est simplement proposé par lui à titre d’hypothèse, ou encore concédé au cours de l’argumentation. De ces suppositions beaucoup sont écartées par les censeurs comme incompatibles avec l’enseignement courant, plusieurs néanmoins reçoivent un transeat qui n’est pas sans intérêt. Pour ce qui est des affirmations précises d’Occam, on aura remarqué que la commission a retenu surtout et censuré celles qui étaient relatives à la connaissance de Dieu, de son essence, de ses attributs, des relations personnelles dans la Trinité, et d’autre part à la doctrine des habitus. Encore sur ce dernier point évite-t-elle les qualifications extrêmes, réservant ses sévérités pour le pélagianisme larvé qu’elle croit découvrir en l’auteur. En définitive, il faut en rabattre quelque peu de l’affirmation d’A. Pelzer : « La commission d’Avignon, dit-il, atteint, au lendemain de son apparition, le principal ouvrage théologique du novateur et réprouve une cinquantaine de ses affirmations, la plupart du chef d’erreur ou d’hérésie. » Op. cit., p. 248. A coup sûr, la commission s’est montrée surprise de cette dialectique souvent intempérante et des propositions parfois effarantes qui en découlaient. Elle s’est alarmée du péril que ces méthodes, qui n'étaient pas nouvelles, pouvaient créer. Mais c’est sur un assez petit nombre de points qu’elle est arrivée à prendre en défaut le subtil dialecticien. Le fait qu’aucune condamnation précise n’a suivi ce rapport, si défavorable somme toute à l’accusé, n’inviterait-il pas à penser que le bachelier d’Oxford a su se défendre et justifier par de sagaces argumentations les positions qu’il avait adoptées ? En toute hypothèse, l’historien de la théologie médiévale doit tenir compte de ce fait, tout extraordinaire qu’il paraisse, que, malgré les désirs de plusieurs, l’ensemble du système occamisle n’a pas été atteint, lors de son apparition, d’une réprobation catégorique, qui nous semblerait aujourd’hui avoir dû aller de soi.

L’université de Paris et la doctrine occamiste.


Nous n’avons pas de renseignements précis sur les débuts de l’agitation occamiste à Oxford ; nous n’en

avons guère plus sur le moment où la doctrine d’Occam a pénétré dans l’université de Paris. On sait le succès triomphal qu’elle devait finalement y remporter. Or ce succès n’a été acquis qu’après des luttes assez vives.

La première résistance vint de la faculté des arts. C’est auprès des jeunes logiciens que la dialectique subtile du bachelier d’Oxford avait le plus de chances de trouver accueil. Quatre-vingts ans plus tôt, c'était dans la rue de Fouarre qu’on s'était passionné pour les argumentations dont les doctrines d’Averroès faisaient les frais ; c'était maintenant autour des subtilités de la logique occamiste que l’on bataillait. Les jeunes bacheliers, au cours de ces disputes, perdaient aisément le sens du respect qu’ils auraient dû témoigner aux maîtres. In disputationibus quæ fiunt in vico Straminum talis abusus inolevit quod bachellarii et alli in disputationibus diclis exislentes propria auctoritate arguere præsumunt minus reverenier se habentes ad magistros, qui disputant, tumultum faciendo adeo et in lantum quod haberi non potest conclusionis disputandse Veritas, née dictée disputaliones in aliquo sunt scolaribus audientibus fructuosæ. Denifle et Châtelain, Chartularium universitatis Parisiensis, n. 1023, t. ii, p. 485.

1. Le décret de 1339. - Plus encore que ces désordres, le caractère de nouveauté de la logique occamiste avait alarmé les dirigeants. Ils décidèrent de proscrire celle-ci, pour autant qu’elle était justiciable de la faculté des arts. C’est le sens du décret rendu par la faculté le 25 septembre 1339. Chartul. univ. Paris., loc. cit. Il va à faire respecter les anciens statuts relatifs à l’admission des livres destinés aux leçons publiques ou privées : atiquos libros per ipsos (se. prsedecessores nostros) non admissos vel alias consuetos légère non debemus. Or, il est arrivé que plusieurs ont répandu la doctrine de Guillaume, dit Okam : nonnulli doclrinam Guillermi dicti Okam dogmatizare preesumpserunt publiée et occulte, super hoc in locis privatis conventicula faciendo. Cette doctrine n’a pas été admise régulièrement par les dirigeants (ordinantes), par ailleurs elle n’est pas une doctrine courante, elle n’a été examinée ni par la faculté, ni par les autorités que ce soin regarde, toutes raisons qui la rendent suspecte, propter quod non videtur suspicione carere. En conséquence, la faculté décide que nul dorénavant ne devra enseigner ladite doctrine : nullus de cœtero preediclam doctrinam dogmatizare præsumat audiendo vel legendo publiée vel occulte, nec non conventicula super dicta doctrina disputanda faciendo vel ipsum (il s’agit d’Occam) in lectura vel disputationibus allegando. Des peines sévères étaient prévues à l’endroit des contrevenants.

Jean Buridan, qui avait été recteur de l’université en 1328, et qui continuait pour lors à régenter à la faculté des arts, était-il spécialement visé par cette condamnation. On l’a pensé, cf. dans Duplessis d’Argentré, Colleclio judiciorum, t. i a, p. 337. K. Michalski conteste ce joint, estimant que Buridan a fort bien pu contresigner le décret ; il y a une nuance importante entre le nominalisme du docteur parisien et celui du bachelier d’Oxford. Art. cit., p. 76-77 ; cf. Crilicisme et scepticisme dans la philosophie du XIVe siècle, même recueil, année 1928, p. 118 sq.

2. Le décret de 1340. — L’année suivante, la faculté fut amenée à renforcer ses prescriptions. Voici en quelles circonstances. Le 21 novembre, le pape Benoît XII avait cité à comparaître en curie plusieurs membres de la faculté de théologie, pour répondre de diverses propositions avancées par eux, et qui touchaient à des points de foi, catholicam fidem tangentia. Chartul. univ. Paris., n. 1041, t. ii, p. 505. Parmi eux se trouvait Nicolas d’Autrecourt, sur lequel nous : iurons à revenir. Les dites propositions reflètent, au moins en partie, l’enseignement d’Occam. Il est vrai-