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OCCAM ET L’UNIVERSITÉ DE PARIS

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Siège accorde, à ce moment, aux agitations plus ou moins profondes des docteurs parisiens.

Nouvelles instances de l’université.

1. L’affaire

de Jean de Mirecourt. — Le dernier document cité nous apprend qu’en 1345, c’était le bachelier Jean de Mirecourt qui « lisait », à Saint-Bernard, le Livre des Sentences. Or, ce jeune moine, qui avait été préféré à Richard de Lincoln, allait se trouver impliqué, à Paris tout au moins (nous ignorons si l’affaire eut un retentissement en curie) dans un procès dogmatique qui se termina par une condamnation. De ce procès nous ignorons le détail, possédant seulement les Articuli Johannis de Mirecuria, baccalarei in theologia Ordinis Cislerciensis, aliorumque Parisiis per 43 magistros in theologia reprobati tanquam erronei. Chartul., n.1147, t. ii, p. 610-613. La date même de la condamnation n’est pas absolument certaine ; c’est vraisemblablement l’année 1347. Les articles censurés se retrouvent, comme l’avait déjà montré Duplessis d’Argentré, Collectio, t. i a, p. 345-355, dans un commentaire inédit sur les Sentences, contenu dans les mss. actuels, lat. 15 882 et 15 883 de la Bibliothèque nationale. En attendant de plus amples travaux sur ce personnage, voir K. Michalski, dans les deux articles cités précédemment, p. 78-81 du premier, p. 46-47 du second.

Il ne faudrait pas s’empresserde voir, dans l’ensemble des articles attribués à Jean de Mirecourt, un reflet exact de la doctrine occamiste. Déjà Duplessis d’Argentré avait remarqué que plusieurs idées de Thomas Bradwardine (né avant 1290, f 1349) se retrouvaient dans notre cistercien. C’est Pantipélagianisme de Bradwardine qui inspire les théories si nettement déterministes que trahissent les art. 9-19, 32-40. Mais l’influence d’Occam et, à l’estimation de K. Michalski, celle de Robert Holkot, se manifestent également. Et tout d’abord les art. 47-50 énoncent une doctrine de la prédestination qui paraît contradictoire au déterminisme ci-dessus dénoncé : art. 48. Aliguis prsedestinatur ab sterno propter bonum usum liberi arbitrii quem Deus scivit ipsum esse habiturum, doctrine que les autres articles reprennent sous une forme légèrement différente. Les huit premiers articles, relatifs à la christologie ne sont guère qu’un développement de l’art. 36 relevédans Occ.imparles censeurs de 1326. Cf. ci-dessus, col. 892 sq. Les art. 20-23, sur les habitus, bien qu’ils aboutissent à des conclusions diamétralement opposées à celles du bachelier d’Oxford, se réfèrent visiblement à une idée analogue ; cf. aussi l’art. 30, qui semble aboutir à la suppression du lumen gloriæ, dans la vision intuitive. Le « voluntarisme » occamiste se retrouve dans des formules comme celles-ci : Odium proximi non est demeritorium nisi quia prohibitum a Deo temporaliter, art. 27 ; ponentes, ut communiter tenetur, quod intellectio, volitio, sensatio sint qualitates subjective exislentes in anima, quas Deus potest creare se solo et ponere ubi vult, habent ponere seu concedere, quod Deus se solo potest facere quod anima odiret proximum et Deum non demeritorie, art. 31. Cet article fait allusion, comme à une opinion commune, à la non-distinction de l’âme et des facultés. Cette doctrine est expressément enseignée à l’art. 28 : Probabiliter potest sustineri cognilionem vel volitionem non esse distinctam ab anima, iino quod est ipsa anima. Et sic sustinens non cogeretur neyare proposilionem per se nolam nec negare aliquid uuctoritalem admillendo. L’art. 29 s’apparente aussi plus ou moins étroitement à la doctrine occamiste : Probabile est in lumine naturali non esse accidenlia, sed omnem rem esse substantiam, et quod nisi esset fides, twe esset ponendum et potest probabiliter poni. "Voir ci-dessus, la doctrine eucharistique d’Occam, col. 893. On en dira autant de l’art. 44 qui tend à effacer, et c’est bien là une idée occamiste, la distinction précise entre naturel et surnaturel : Suscitare aut vivifi care morluos seu eliam transsubslantiare panem in Christi carnem et cetera similia divina opéra sunt rébus creatis naturalia, non potius supernaturalia et mirabilia opéra Altissimi. — Bref, si les thèses soutenues par Jean de Mirecourt ne sont pas toutes, il s’en faut, des thèses occamistes, elles témoignent néanmoins que l’influence du bachelier d’Oxford s’exerçait profondément à Paris, vers le milieu du xive siècle’, et que cette influence préoccupait les autorités universitaires. A la fin du xve siècle, on considérait le Cistercien (c’est-à-dire notre Jean de Mirecourt) comme un des représentants de la doctrine nominaliste. Ci-dessous, col. 901.

2. Autres condamnations.

Faut-il attribuer à la même préoccupation le verdict prononcé, le 12 octobre 1348, par les maîtres parisiens contre plusieurs articles d’un frère mineur, Jean Guyon ? Chartul., n. 1158, t. ii, p. 622 ; cf. Duplessis d’Argentré, t. i a, p. 293, qui date cette condamnation de 1318. Les propositions du franciscain se rapportent à la Trinité. La 4e nous paraît bien rendre un son occamiste : Generare et generari in divinis accepta notionaliter sunt idem inter se in divinis. Les autres sont à l’avenant et tendent à nier l’existence des relations dans la Trinité.

Dans les articles que le franciscain Louis de Padoue est obligé de rétracter à Paris en 1362, se retrouve un écho des propositions avancées par Jean de Mirecourt. Chartul., n. 1270, t. iii, p. 95-97 ; comparer art. 41 de Jean et art. 8 de Louis. Mais nous n’avons point affaire ici à une doctrine spécifiquement occamiste.

Ces condamnations répétées témoignent du moins que l’université n’entendait pas laisser prescrire les interdictions faites dès 1339 et 1340. La faculté des arts, tout au moins, avait inscrit, sans doute à partir de 1339, parmi les articles que les bacheliers devaient jurer d’observer, la prohibition de la doctrine occamiste : jurabitis quod statuta facta per facultatem artium contra scientiam okamicam observabitis, neque dictam scientiam et consimiles sustinebitis quoquomodo, sed scientiam Aristotelis et sui Commentatoris Averrois et aliorum commentatorum antiquorum et expositorum dicti Aristotelis, nisi in casibus qui sunt contra fidem. Chartul. , t. ii, p. 680.

5° Les prohibitions universitaires de la fin du XVe siècle. — Toutes ces mesures devaient demeurer inefficaces. De très bonne heure, des hommes de la valeur de Buridan et de Marsile d’Inghen avaient, à Paris, adhéré au nominalisme, sinon à l’occamisme intégral. Le ralliement d’un Pierre d’Ailly et d’un Jean Gerson, à la fin du xive et au début du xve siècle, avait fait de l’université de Paris la principale forteresse de ce qu’on appelait désormais la nouvelle logique, la via moderna. L’adoption de cette logique amenait jusqu’à un certain point l’adoption de la métaphysique et de la théologie qui en découlaient. Ce triomphe n’alla pas sans des résistances du parti attaché à la via antiqua.

Nous n’avons pas à décrire ici les diverses phases de la lutte ; signalons au moins qu’une vive réaction antinominaliste se manifeste vers 1465. Le 12 mars de cette année, la faculté de théologie censure comme erronées trois propositions nominalistes d’un certain Jean Fabri, qui touchaient à la foi. Quant à d’autres thèses et propositions ne relevant pas directement de la théologie, elles sont renvoyées à l’assemblée générale de l’université. Duplessis d’Argentré, op. cit., t. i b, p. 255. Les facultés furent unanimement d’avis de renvoyer pour examen ces propositions à la faculté des arts, avant d’en saisir à nouveau les théologiens. Du Boulay, Hist. univers. Paris., t. v, p. 678. Nous ne connaissons pas l’issue de cette affaire.

Le parti hostile au nominalisme continuait d’ailleurs à s’inquiéter. En 1466, des visites des collèges sont