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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 11.1.djvu/470

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OCHIN


ressources de son imagina lion, toute la puissance de son style et toute la subtile amertume de son aversion pour Rome. Maigre les longueurs et le ton de basse flatterie (fui déparc les scènes finales, l’intérêt est assez bien soutenu ; certaines scènes, comme celle du conseil infernal présidé par Lucifer (i) et celle du concile (v), sont empreintes de grandeur et révèlent une aptitude indiscutable pour le drame religieux. Sans doute cette œuvre aura reçu bon accueil à la cour d’Edouard VI ; mais il est à présumer que la plupart des exemplaires en auront été détruits au cours de la réaction catholique inaugurée dès 1553 par Marie Tudor. Notons encore, comme indice de l’influence exercée par Ochin durant son séjour à Londres, la traduction anglaise de plusieurs de ses sermons, faite a différentes reprises entre 1518 et 1580, par R, Argentine, la princesse Elisabeth, Anna Cook et William Phiston.

Ayant dû quitter Londres en tout hâte, il se remit de ses émotions à Genève en publiant les Apologues, recueil de 101 anecdotes satiriques ou plaisantes sur le compte de l’Église romaine et’de ses institutions (1554). D’après le titre, ces Apologues devaient étaler au grand jour les abus, les superstitions, les erreurs, l’idolâtrie et l’impiété de la synagogue du pape, et spécialement de ses prêtres, moines et frères. En réalité, ce sont des contes assez inoffensifs, dont les visées temporelles des papes, les abus du culte des reliques, les vices attribués aux moines et la naïveté des braves gens font a peu près tous les frais. Pour les composer, il aura suffi à Ochin de faire appel aux souvenirs de ses. récréations d’antan. Car la plupart de ses Apologues ne sont que l’expression tour à tour malicieuse et grossière du droit de libre critique qu’au Moyen Age et à la Renaissance clercs, moines et laïcs exerçaient allègrement les uns sur les autres. Il est probable que, se trouvant sans emploi à cette époque, Ochin aura escompté, en publiant les Apologues, un succès facile de librairie afin de se faire des ressources. Il semble, en effet, que le public protestant leur ait fait bon accueil, surtout en Allemagne et dans les Pays-Bas, où il en parut plusieurs traductions. Dès 1559, Rome mit les Apologues à l’Index, moins sans doute à cause de leur contenu qu’en vue de l’intention méchante de leur auteur.

Celui-ci, ayant trouvé une situation de prédicant italien à Zurich (1555), se sentait en verve et publiait en 1556 son Dialogo del Purgalorio, qui paraissait simultanément en italien, en latin et en allemand ; la première version française date de 1559. Dans ce Dialogue, Théodidacte, qui représente Ochin, soutient contre cinq religieux que le seul purgatoire véritable est Jésus qui, par son sang, a purgé les âmes de leurs péchés.

La même année 1556, il entrait en polémique avec Joachim de Westphalie, ministre luthérien à Hambourg, au sujet de la cène, et lui opposait sa Syncera et verse doctrinal de cœna Domini defensio, dans laquelle il présente ce sacrement comme le souvenir de la mort expiatoire de Jésus-Christ, sans y voir à l’encontre des théologiens réformés d’alors, un gage du pardon des péchés. D’après lui, l’Esprit-Saint est ce gage. Dès ce moment Ochin, déjà suspect à Calvin pour son indépendance, devint l’objet de critiques ouvertes qui se feront de jour en jour plus vives | jusqu’à entraîner la réprobation unanime des consisj toires de Zurich, de Genève et de Bàle. Ochin ne paraît : pas s’en être inquiété beaucoup et continua à traiter librement les sujets controversés, soi-disant pour concilier les théories divergentes des Églises réformées, ainsi qu’il le déclare dans sa Tractalio de eonciliatione controversiæ inter reformatas Ecclesias (Bâle, 1561). En cette même année 1561, la plus féconde de sa

vie de prédicant, il fit paraître trois autres ouvrages : Disputa intorno alla preseuza del corpo di Gesù Christo nel sacramento délia cena ; — Prediche nomate Laberinti del libero o vero servo Arbitrio, Prescienza, Predestinatione e Libéria divina, e del modo per uscirne ;

— // (Mechismo, o vero Institutione christiana in forma di dialogo. Dans sa Disputa, il rejette, au sujet de la présence réelle, tant la doctrine catholique de la transsubstantiation que l’enseignement luthérien d’après lequel, dans la cène, le Christ se communique vraiment au fidèle, quoique seulement par sa force et en esprit. D’après Ochin, un homme peut être élu, juste, saint, et par conséquent se sauver, sans adhérer ni à l’une ni à l’autre de ces deux croyances. Il fait ensuite une charge à fond contre la misse, qu’il traite d’institution diabolique. Les Prediche nomate Laberinti, qui, comme la Disputa, furent traduites aussitôt en latin, sont consacrées à un examen approfondi du problème de la liberté humaine et reprennent, dans un esprit de détachement voisin du scepticisme, la discussion qui jadis avait mis aux prises Érasme et Luther. Dans les quatre premiers Labyrinthes, où se trouvent ceux qui croient être libres, l’auteur développe les arguments qui plaident contre le libre arbitre. Il conduit ensuite le lecteur dans les quatre Labyrinthes où se fourvoient ceux qui croient ne pas être libres ; après quoi il expose l’opinion de ceux qui soutiennent qu’il ne faut s’engager ni dans les Labyrinthes qui postulent la nécessité, ni dans ceux qui présument la liberté, et, pour finir, propose le moyen de sortir des Labyrinthes. La solution d’Ochin cherche à concilier les partisans des deux théories et se réfugie finalement dans la voie de la docte ignorance, en recommandant le pragmatisme des bonnes œuvres sans aucune spéculation doctrinale. Il affirme que l’homme est libre dans les choses humaines par nécessité morale, mais que sa liberté est rattachée à la volonté de Dieu, dont la prescience voit les actions où il nous a voulu libres non comme déterminées par lui, mais comme des faits. Le péché n’en reste pas moins inévitable, et ici Ochin incline en faveur du serf arbitre ; mais, comme le pécheur rejette la grâce de Dieu et abuse de la liberté suffisante, il est responsable de sa faute et par conséquent mérite la punition que Dieu lui inflige. D’autre part, l’homme n’a pas le mérite des œuvres morales, car le pouvoir de les faire ou de s’en abstenir lui a été conféré par Dieu. En somme, toute l’argumentation d’Ochin au sujet du libre arbitre, pour subtile et originale qu’elle soit, oscille constamment entre le pour et le contre pour aboutir finalement au doute. Ni la raison, ni la sagesse humaine, ni la philosophie ne peuvent rien nous apprendre à ce sujet. Seule la foi en la révélation et et en la grâce divine doit dicter au fidèle son attitude pratique, qui est celle de l’accomplissement des bonnes œuvres, sans qu’il ait l’obligation de se croire ou de ne pas se croire libre. Connaissant le vif intérêt qu’Elisabeth d’Angleterre éprouvait pour ces questions, le novateur lui dédia ses Labyrinthes et, dans sa dédicace, lui rappela leurs entretiens de jadis sur la prédestination.

Son Catéchisme est composé sous forme de dialogue : les deux interlocuteurs, le ministre et l’illuminé, y traitent de la vie du vrai chrétien et des moyens d’atteindre le salut et commentent, en suivant l’ordre des manuels protestants de ce genre, le décalogue, le symbole des Apôtres, l’oraison dominicale, le baptême et la cène. C’est là qu’on trouve la déduction qui conclut de l’impression plus ou moins consciente de l’être à la réalité de l’être, déduction que Descartes érigerait en système au siècle suivant. « Il me semble en effet que je suis, dit l’illuminé, mais il est possible que je me trompe. — Il est impossible, ré-