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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 11.1.djvu/481

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ODORIC DE PORDENONE


en Provence, dans un ermitage, au fond d’une forêt, sans jamais vouloir accepter aucune charge supérieure. Ces longs mois de solitude, entre la vingt-cinquième et la trentième année, avec les aspirations qu’elle provoque, furent le préliminaire spirituel de ses voyages. Tout à coup, vers 1297 — il a dépassé la trentaine — nous le trouvons, sans transition, dans le fourmillement humain, sous la lumière froide de la Tartarie septentrionale, au milieu du monde épais de ces infidèles qui, quelques décades auparavant, débordaient les frontières de la Bohême. Il connaît non seulement leur langue, mais leurs dialectes. Il sert d’interprète à son supérieur. Il le stupéfie par sa virtuosité de polyglotte. Au milieu du peuple mongol qui n’est, somme toute, qu’une vaste caravane armée, toujours en marche, ignorant aujourd’hui le ciel qui l’éclairera demain, il vit, lui, l’ancien ermite, en pays vague, la vie errante. Il parcourt sans relâche le monde informe et sans limite de la steppe, cela pendant dix-sept ans. En 1314, il est de retour à Venise. Il a cinquante ans. Il semble qu’il soit un vieux missionnaire, un missionnaire honoraire, que sa vie active soit close. Mais pour nous, elle va seulement commencer. La volonté lui vint de passer la mer une seconde fois. En cette même année 1314, Odoric quitte Venise et débarque à Trébizonde, sur les côtes asiatiques de la mer Noire, un des points de suture entre l’Occident et l’Asie moyenne et, par celle-ci, avec l’Extrême-Orient. De là, il se met en route dans la direction du Sud et se dirige d’abord sur Erzeroum. Après une halte pittoresque à Zigana, il gravit péniblement les montagnes d’Arménie, arrive à Erzeroum, puis descend en Chaldée, puis arrive à Tauris. Dix jours de marche l’amènent à Sultanieh, . capitale de la Perse mongole. De Sultanieh par Kashan, Odoric, marchant toujours vers le Sud, gagne Yezd, la capitale des sables. Au sortir des passes de Perse, il rencontre la cité morte de Persépolis et, de là, il vient en Chaldée. Son voyage, jusqu’ici, n’a été qu’une série de séjours apostoliques. Partout, le long de sa route, il s’arrête, prêche, enseigne, convertit et baptise.

Odoric resta quelque temps en Chaldée et ce n’est qu’en 1323 ou 1324 qu’il la quitta. Entre temps, il avait repris la direction de l’Arménie, d’où il était parti et était revenu en arrière. Il avait gagné Bagdad et il n’était plus qu’à quelques journées de Tauris, à moins encore de Sultanieh. C’était le chemin de retour presqu’achevé et aussi l’écroulement de son grand rêve : gagner la Chine. Mais tout à coup il s’arrête et recommence, mais en sens inverse, la longue et douloureuse pérégrination. Il marche une seconde fois vers le Sud, il s’engage une fois encore dans la triste solitude de la Mésopotamie et arrive enfin à Ormuz, le premier port de l’Inde. Il s’y embarque et, après vingt-huit jours, arrive à Bombay, à la fin de 1323 ou au commencement de 1324. A Tana, Odoric échappe miraculeusement à la mort ; il quitte cette ville persécutrice des chrétiens, en emportant avec lui les corps de trois franciscains, martyrisés en cet endroit peu de temps auparavant : Thomas de Tolentino, Jacques de Padoue et Démétrius de Géorgie. A partir de cette époque, il ne voyage plus seul, mais est accompagné d’un frère de son ordre. Il descend toute la côte occidentale de l’Inde, et en remonte ensuite la côte orientale jusqu’à Méliapour, près de Madras.

A Méliapour, il reprend la mer et visite Ceylan, Sumatra, Java et Bornéo. Odoric, avec son compagnon, étaient les premiers européens qui mettaient les pieds sur le sol de cette dernière île. De Bornéo il passe en Cochinchine, et de là, il arrive finalement, dans le courant de 1325, à Canton, en Chine, hanté toujours par la généreuse passion de gagner le vaste monde à l’empire de la croix. Tout, dans ce monde nouveau, lui semble singulier et extraordinaire. Odoric reprend ensuite la

mer pour Zeïtoum, où il débarque après avoir lentement caboté le long de la côte pendant vingt-sept longues journées. A Zeïtoum, Odoric est à un des points culminants de son voyage. Zeïtoum est l’actuel Tchinan-tchou-fou du Fo-Kien, en face de l’île Formose. A l’époque d’Odoric, son port était le plus important de l’Empire -du Milieu. Il se retire dans le couvent des frères mineurs, qu’y avaient fondé, en 1310, des missionnaires franciscains, envoyés par Jean de Mônt-Corvin, O. F. M., archevêque de Pékin. Il dépose les reliques des martyrs de Tana dans la belle et vaste cathédrale, construite par une riche dame arménienne. Peu après, il se met en route pour Pékin, afin d’y rejoindre Jean de Mont-Corvin, encore en vie. Il traverse la Chine du Sud, passe par Fou-Tcheou, Hang-Tcheou, Nankin et arrive enfin, par Yang-Tcheou et le Grand Canal, à Pékin, où les frères mineurs avaient déjà trois églises.

Après y avoir séjourné, prêché et évangélisé pendant trois années, Odoric quitte Pékin, en 1328, pour regagner l’Italie, y recruter cinquante nouveaux missionnaires, et revenir mourir sous le ciel lumineux de la Chine. Tel était le vœu de son cœur, mais Dieu en disposa autrement. Après deux ans de voyage, après la traversée de l’Asie parle Tangut et les solitudes glacées du Thibet, il revit en 1330, 1 es quais de Venise, Padoue et son couvent d’Udine, où il s’arrêta pour y mourir le 14 janvier 1331. Odoric fut mis au rang des bienheureux, le 2 juillet 1755, par Benoît XIV.

Odoric a raconté ce long voyage à travers l’Asie, et décrit les pays et les provinces qu’il a traversés dans son célèbre ouvrage, intitulé Itinerarium, ou Liber de mirabilibus mundi ou Descriptio lerrarum, qui donne un vaste panorama de l’Asie, au début du xive siècle. Odoric y fait entrevoir sobrement la mesure et le relief du continent dont l’Europe n’est qu’une annexe. Il en ébauche la géographie dans ses grands linéaments. Après l’avoir parcouru pendant trente-trois années, il nous en fait deviner les splendeurs et les faiblesses, les vertus latentes de ses habitants, leurs misères et leurs crimes. Il jette des éclats de lumière sur l’Orient, sur les races qui y exercent la primauté, sur les hommes, sur les mœurs atroces ou louables, sur les coutumes, sur les temples, sur les pagodes, sur les routes, sur les ports, sur les villes innombrables. L’ethnographie, l’histoire et la géographie lui doivent des acquisitions magistrales, encloses dans une langue familière.

Odoric fit l’astronomie de l’Inde, de Java, de la Chine. Il parla, le premier, des ruines de Persépolis, des murs de Lhassa encadrés de noir, de Bornéo, des indigènes ignobles de telle île malaise et des Chinois impassibles. En phrases simples et nues, il écrivit un des plus vastes poèmes de la route qui existe. Certes, dans ses allées et venues, il y a des tâtonnements, des doutes, des désarrois ; mais il y a surtout des constatations aux conséquences lointaines. La véritable ligne de démarcation entre 1’âge de l’ancienne géographie et celui de la nouvelle, passe en partie par Odoric. Ses apports contribuèrent pour une bonne part à différencier l’époque périmée de celle qui vint après lui.

La plus grande circonspection dans le choix du texte s’impose à qui veut étudier l’Itinerarium du bienheureux Odoric. Étant d’une extrême brièveté, il était, plus que tout autre, exposé à être grossi par l’imagination ou par la demi-érudition des copistes ; c’est ce qui ne manqua pas d’arriver. Ceux-ci interpolèrent dans son texte des notions étranges, tirées des œuvres des géographes anciens ou de voyageurs crédules et superficiels et toutes sortes de fables bizarres. Il arriva bien souvent qu’on amalgamât les trois narrations de Marco Polo, d’Odoric et de l’ineffable Mande-