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ONTOLOGISME. INTERVENTIONS ROMAINES


d’une manière éloignée, la doctrine ontologique… Or, qu’on les examine dans leur ensemble ou chacune d’elles à part, et l’on se convaincra sans peine que ce ne sont pas des propositions ontologiques et qu’elle n’ont aucun rapport avec l’ontologisme… En ellet, considérées en elles-mêmes et indépendamment de tout rapport avec les autres, trois de ces propositions sont évidemment absurdes, et quatre sont manifestement panthéistes. » Cité par Annales de plut, chrét., mars 1862. p. 167. — On trouvera la formule du « pseudoontologisme », condamnée par le Saint-Siège et qui le méritait bien, dans les Annales, décembre 1863, p. 442. Le piquant de l’affaire c’est que les ontologistes découvrirent dans l’ouvrage du P. Ramière, De l’unité…, un passage sur la création qui ressemblait assez fort à la théorie du P. Moigno, que le P. Ramière lui-même retrouvait dans les sixième et septième propositions condamnées ; cf. ibid., p. 443-444.

Si l’on pressait les ontologistes, si on leur montrait qu’ils avaient réellement enseigné des doctrines conformes aux cinq premières propositions, il leur restait un dernier retranchement : c’était de déclarer que la condamnation du Saint-Offlce tombait sur l’ensemble des sept propositions et non sur chacune d’elles prise à part. Cf. Revue du monde calh., 1863, t. vii, p. 267268 ; Ber Katholik, juin 1867, p. 659. Mais alors, eût-on pu leur répondre, rien n’indique, dans le décret, que seules les deux dernières propositions soient répréhensibles, et pourquoi, dès lors, ne serait-il pas loisible de les soutenir à condition de rejeter les autres ? Mais n’insistons pas.

Dans son numéro d’avril 1862, le Correspondant apportait aux ontologistes une bonne nouvelle : c’était une lettre de l’archevêque de Tours à l’évêque de Nantes, en date du 13 mars 1862, où l’on pouvait lire ceci : « Malgré les grandes préoccupations du moment, les controverses soulevées sur le sens des 7 propositions condamnées le 18 septembre dernier par le Saint-Office ont attiré l’attention des esprits à Rome même, surtout parmi les hommes qui s’appliquent aux études philosophiques. J’ai interrogé un grand nombre de prélats les plus instruits et les plus compétents sur ces matières, ceux en particulier qui étaient le plus en mesure de connaître le sens et l’objet du jugement qui a été rendu. Ils m’ont tous exprimé la conviction que l’intention du pape et de la Sacrée Congrégation n’a point été de toucher aux opinions enseignées dans les écoles et connues sous le nom d’ontologisme. C’est le panthéisme qu’on a eu en vue et qu’on a voulu atteindre, ainsi que vous l’avez pensé tout d’abord. Voilà, Monseigneur, sur la question capitale que vous vouliez avant tout éclaircir, ce que j’ai recueilli aux sources les plus sûres et les plus autorisées… Je crois que Votre Grandeur peut être tranquille sur l’enseignement philosophique donné dans son séminaire, qui est du reste celui d’un grand nombre d’établissements ecclésiastiques. » Cf. Annales, avril 1868, p. 276-277 ; mai 1862, p. 325-327. — Une lettre de l’évêque de Nantes au P. Ramière, citée par le P. Burnichon, op. cit., t. iv, p. 50, mettait en cause le pape lui-même : « L’archevêque a interrogé le pape en personne ; Pie IX a répondu qu’il n’était nullement dans son intention, non plus que dans celle des cardinaux, de toucher aux opinions que l’on désigne sous le nom d’ontologisme. Et vous devez comprendre pourquoi le nom du pape n’a pas paru dans la lettre publiée par le Correspondant. » — Et le P. Burnichon de conclure : « Telle’était donc la vérité objective sur la question de fait. On avait visé les panthéistes allemands, non les ontologistes catholiques. »

C’est aller vite en besogne. Le P. Ramière croyait qu’on pouvait expliquer autrement le langage des

prélats, et sans doute aussi celui du pape, rassurant l’archevêque de Tours sur la portée du décret de 1861. S’appuyant sur le discours du P. de Rignano, prononcé en août 1863, cf. supra, col. 1035, il croit « que les ontologistes romains réprouvent aussi énergiquement que nous la seule chose que nous ayons cru devoir signaler comme contraire à la foi dans l’ontologisme (français et belge), la vision immédiate de l’être même de Dieu. On comprend, dès lors, comment les personnes consultées à Rome par Mgr l’archevêque de Tours sur le sens des propositions censurées par le Saint-Office, ont pu lui dire que l’ontologisme n’était pas l’objet de cette censure. Non, sûrement ce que le Saint-Office a condamné ce n’est pas l’ontologisme tel qu’il est compris et soutenu à Rome. » Revue du monde cath., 1864, t. x, p. 190. En d’autres termes, les prélats et le pape auraient usé à l’égard de l’archevêque de Tours de la restriction mentale I

Quoi qu’il en soit de cette explication, ce n’est pas dans ces déclarations verbales des prélats romains, ou même du pape, qu’il nous faut chercher le sens général et la portée du décret de 1861. Il y aurait un moyen d’en avoir le cœur net : ce serait de consulter, aux archives du Saint-Office, le dossier de cette affaire, de voir dans quels livres ou quels cahiers manuscrits on a pris chacune des 7 propositions ; mais ce moyen n’est pas à notre disposition. Le P. Kleutgen paraît assez bien renseigné sur les dessous de l’affaire : n’ayant pas rencontré textuellement les quatrième et cinquième propositions dans les ouvrages publiés par les ontologistes, il affirme qu’elles se trouvent mot pour mot dans certains cahiers manuscrits qui circulaient et servaient à l’enseignement dans les séminaires de France, et il insinue que c’est là sans doute qu’on les a prises. Cf. Der Katholik, mai 1867, p. 533.

Le Saint-Siège lui-même, par trois déclarations, bien authentiques celles-là, nous renseigne suffisamment sur la nature des doctrines que le décret de 1861 a voulu proscrire de l’enseignement des écoles catholiques : nous voulons parler des déclarations relatives aux ouvrages de Branchereau, d’Ubaghs et d’Hugonin. — Nous avons dit ci-dessus, col. 1016, que, peu rassuré par les indications données verbalement à l’archevêque de Tours sur les intentions du Saint-Siège à l’égard de l’ontologisme, Branchereau avait fait présenter au Souverain Pontife un résumé de sa doctrine en 15 propositions, avec prière de déclarer si le jugement du 18 septembre 1861 s’appliquait aussi à ces propositions. « Or, à la fin de septembre 1862, Mgr l’évêque de Nantes reçut une lettre du cardinal Patrizzi, dans laquelle le secrétaire du Saint-Office disait « que les propositions soumises, différant à peine des 7 précédemment improuvées, tombaient sous la même improbation ; qu’en conséquence, elles ne pouvaient être enseignées, etjque les Prœlectiones qui n’étaient que le développement de ces propositions, ne pouvaient être mises entre les mains des jeunes élèves du sanctuaire. » Kleutgen, L’ontologisme jugé par le Saint-Siège, trad. Sierp, cité par Annales de philo, chrét., avril 1868, p. 267.

Le 2 mars 1866, le cardinal Patrizzi adressait à l’archevêque de Malines une lettre où l’on pouvait lire les déclarations suivantes : « Les éminentissimes cardinaux, tant duJSaint-Office que de l’Index, s’étant réunis pour tenir conseil le 21 février dernier, ont examiné avec le plus grand soin les livres philosophiques de Gérard-Casimir Ubaghs et particulièrement la dernière édition de ses traités de Logique et de Théodicée, achevée par lui-même en 1865, quoique non encore publiée… Ils n’ont pu s’empêcher de voir qu’on professe dans ces livres des doctrines tout à fait semblables à quelques-unes des 7 propositions,