tôv ôcptv Xsyoucuv xrjv ùypàv oùaîav, mais c’est tout aussi bien un principe de vie, d’ordre et de beauté, une sorte de logos (le mot n’est pas prononcé), immanent au monde. Et Hippolyte de citer, pour conclure, une hymne de la secte, qui est encore ce qu’il y a de plus clair dans cette farrago. On y voit paraître la loi éternelle des choses, la toute première intelligence, et d’autre part le chaos, puis Psyché (l’âme) qui, ayant quitté le monde supérieur, se débat dans le chaos. Alors intervient Jésus : « Vois, Père, dit-il, tous ces maux sur la terre… On cherche à fuir l’amer chaos, et l’on ne sait comment en sortir. C’est pourquoi envoie-moi. O Père, muni des sceaux je descendrai, je traverserai tous les éons, je découvrirai tous les mystères, je montrerai les formes des dieux et les secrets de la sainte route, cette gnose je la ferai connaître. »
Si l’on essaie maintenant de reconstituer à l’aide de ces matériaux passablement’hétéroclites l’idée générale du système naassénien, on arrive à peu près au résultat suivant. Au point de départ une mythologie nettement païenne et dont les adeptes n’ont point cherché à dissimuler le caractère syncrétiste ; c’est une des nombreuses transformations du mythe d’Anthrôpos, être suprême d’où dérive, par voie d’émanation, tout ce qui existe (y compris même le chaos au moins d’après l’hymne). A la suite de catastrophes dont le détail n’est pas donné ici, des parcelles de vie divine sont tombées dans le monde chaotique ; les ramener vers le premier principe, c’est l’œuvre du rédempteur, de Jésus. Par la connaissance qu’il apporte aux hommes, par les talismans aussi qu’il leur communique (cf. cçpayïSaç &x<ùv de l’hymne), il leur rend possible le salut. Le mythe païen s’achève en un mystère chrétien. Car les adeptes de ce culte qu’Hippolyte a connus se réclament du titre de chrétiens : « De tous les hommes, nous seuls, les chrétiens, nous savons exécuter le rite mystérieux à la troisième porte, oints que nous sommes de l’ineffable onction. » ix, 22.
Une remarque finale s’impose : On ne voit pas bien la place que tient le serpent dans les mythes et dans les observances cultuelles de ces naasséniens. A deux reprises, vi, 3, et ix, 11, Hippolyte déclare qu’ils tirent leur nom de vàaç, et que vàaç est l’équivalent d’ôçiç ; la seconde fois il ajoute qu’ils n’adorent ( ?) rien d’autre que ce vàaç : ti[iû>ai 8è oùx <XXXo -u ïj tôv vàaç, qu’à leurs yeux, d’ailleurs, vàaç est le nom générique de la divinité, car tout vàoç, tout temple tire son nom du vàaç. Nous sommes en pleine fantaisie. Mais qui est ce naas ? Il ne fait pas figure, comme chez les ophites décrits ci-dessus, de personnage mythologique, il est bien plutôt l’un des principes du cosmos, générateur de vie, de beauté, d’ordre, sorte de logos immanent. On remarquera également que les noms étrangers des divers archontes cosmiques que nous avons rencontrés dans Origène et Irénée ne se retrouvent pas ici. A la vérité les premiers éditeurs avaient cru lire le nom de Jaldabaoth dans vn, 30, ïva SooXeùacoat. tco tcvjtt^ -njç XTtæwç 8/)y.<.oupyco 'IaX8a6aa>8 (voir Cruice, p. 153, et cf. P. G., col. 3135). En fait il faut lire’HaaXSatw, et ce Dieu est qualifié de Dieu du feu, le quatrième en nombre. Rien qui rappelle le Jaldabaoth des ophites ci-dessus édudiés.
Pour cette double raison il ne semble pas qu’il faille identifier sans plus les naasséniens ici décrits avec les ophites. Cela ne veut pas dire qu’il n’y ait pas entre les deux sectes des traits de ressemblance ; la conception générale d’un monde supérieur et d’un chaos où viennent sombrer des éléments échappés au premier monde, lesquels sont rachetés par une intervention d’un être du monde d’en haut, cette conception est commune à une foule de systèmes
gnostiques et crée entre eux des parentés plus on moins vagues. Mais il y aurait abus à forcer les rapprochements. En des sectes où chacun philosophait un peu à sa manière, où le contrôle de l’autorité dirigeante était assez lâche, pour ne pas dire inexistant, il faut bien s’attendre à retrouver les plus grandes diversités.
Une chose néanmoins reste surprenante, c’est que le prêtre romain, après avoir, dans le Syntagma, signalé et caractérisé une secte d’ophites, n’en dise plus un mot dans les Philosophoumena et s’étende aussi largement sur une confrérie dont le nom est étroitement apparenté avec celui de la première. Chose plus curieuse encore, il signale, à la suite des naasséniens, des sectaires qu’il appelle les pérates, d’autres qu’il nomme les séthiens. Or, chez les uns et les autres, le serpent revient sinon dans le culte, au moins dans la mythologie. Chez les pérates, il est intermédiaire entre le Père et la matière, il est le logos, il est Jésus, il est le pouvoir sauveur. Cf. Philos., V, xvi, 5-15, p. 112-113, col. 3171-4. La mythologie des séthiens a quelque chose d’analogue : le créateur est un dieu serpent ; sous cette forme il pénètre dans la matrice impure, qui est proprement le chaos ; il crée l’homme. Or, pour délivrer l’étincelle divine prisonnière en cette matrice, le Verbe de la lumière d’en haut se déguise lui aussi en serpent, pénètre dans l’antre impur, y délie les liens de l’élément divin. Voir les références dans E. de Faye, op. cit., p. 207 ; la principale est V, xix, 18-21, édit.Wendland, p. 120, P. G., col. 3183. Enfin dans le système de Justin le gnostique, dont la description termine le t. V, on voit figurer un vàaç dont l’aspect rappellerait plutôt le serpent des mystères ophites. D’ailleurs tout l’ensemble de la mythologie de ce docteur s’apparente à celle des mêmes sectaires. Voir V, xxvi, p. 126-133, col. 3194-3203.
Pour expliquer cette omission des ophites, alors que sont mentionnées de nombreuses sectes faisant une place au serpent dans leur mythologie, ne pourrait-on faire l’hypothèse suivante ? Quant il rédigeait le Syntagma, Hippolyte n’avait des ophites qu’une connaissance indirecte, empruntée soit au texte d’Irénée, soit à des conversations qu’il avait eues jadis avec celui-ci. Plus tard lui vinrent en main les différentes pièces qu’il a si largement utilisées dans les Philosophoumena. Il s’aperçut alors qu’il existait bien des variétés parmi les sectes qui, d’une manière ou de l’autre, prêtaient attention au serpent. La secte de Justin, par exemple, lui rappelait, malgré d’assez graves divergences, les ophites d’Irénée, mais chez les. autres il s’agissait de concepts assez différents. Dès lors il se décida à supprimer la rubrique générale des ophites et à faire un sort à chacune des confréries dont l’existence lui avait été révélée. Le fait qu’il les. énumère à la suite l’une de l’autre montre d’ailleurs, que, dans sa pensée, il existe un lien au moins logique entre ces diverses aberrations. Le court chapitre du Syntagma sur les ophites serait ainsi devenu l’interminable livre V des Philosophoumena.
Conclusions. — En définitive, si l’on veut récapituler toutes les données ainsi rassemblées, on arrive au résultat suivant. Dès le iie siècle de l’ère chrétienne, et déjà sans doute dès le I er, on rencontre des sectes plus ou moins frottées de christianisme, qui mélangent à un vieux culte où le serpent jouait un rôle, quelques idées empruntées à l’Ancien et même au Nouveau Testament. Ces sectes ont pour point de départ des confréries ou thiases strictement païennes et dont l’origine remonte très haut. Le culte du serpent est en effet l’un des plus anciens des cultes d’animaux. Voir à ce sujet quelques indications dans J. Mæhly, . Die Schlange im Mythus und Cultus der classischen Vôlker, Bâle, 1867. Ce n’est pas ici le lieu d’étudier