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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 11.1.djvu/77

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NESTORIUS, JUGEMENTS PORTÉS SUR LUI


mots historiques » forgés après coup, mais souvent plus vrais que l’histoire authentique. Celui-ci ramasse admirablement ce que les monophysites de toute nuance ont pensé de Nestorius, et de ses rapport savec l’orthodoxie chalcédonienne. Depuis la première comparution d’Eutychès jusqu’aujourd’hui, les monophysites n’ont cessé d’identifier la christologie de Nestorius et celle que proclamaient le Tome de Léon et la définition de Chalcédoine. Le concile « maudit », ont-ils déclaré dès la première heure, a anathémalisé la personne de Nestorius et canonisé sa doctrine. Pour massive que soit cette déposition, pour passionnée qu’elle se révèle, elle doit figurer au dossier de l’affaire. Il appartiendra à la sagacité des critiques d’y percevoir l’âme de vérité qu’elle peut contenir, et d’en faire état dans la mesure convenable.

Les amis de Nestorius.

Originaire de la région

antiochienne, en relation de bonne heure avec les plus remarquables des personnalités ecclésiastiques du « diocèse » d’Orient, Nestorius a compté parmi elles, avec quelques amis, un bon nombre de partisans.

Tout ce monde, héritier de la pensée et de la doctrine des maîtres de l’école d’Antioche. Diodore de Tarse et Théodore de Mopsueste, professe une christologie dont les éléments essentiels, débarrassés de certaines formules très fâcheuses, et surtout de certaines comparaisons particulièrement regrettables, se retrouvent dans la doctrine officiellede l’Église. Nous avons dit, col. 123. les origines et la signification de l’Acte d’union de 433 ; nous avons montré comment le Tome de Léon se rapproche beaucoup de cette profession de foi, col. 133. Même après les interminables querelles autour des Trois-Chapilres, la mémoire de Théodoret demeure respectée dans l’Église et, si le Ve concile a condamné celles de ses productions littéraires qui attaquent saint Cyrille, il n’a pas mis en cause l’orthodoxie générale de sa doctrine.

Or, que pensent nos « Orientaux » de la doctrine de Nestorius ? Jean d’Antioche, dès le premier éclat, a trouvé que l’archevêque a eu bien tort de soulever, de la manière qu’il l’a fait, la question du Théolokos ; il lui conseille la modération, lui représente que l’emploi du mot litigieux n’a rien que de défendable, qu’entendu correctement, il correspond en somme à la pensée même de Nestorius. Jean ne doute pas de l’orthodoxie de son collègue. Dès qu’il a connaissance desanathematismescyrilliens.il est d’accord avec l’archevêque de Constantinople pour les déclarer irrecevables, il en presse la réfutation, en poursuit la condamnation, n’aura de cesse que Cyrille ne les ait, sinon désavoués, au moins expliqués. Comment pourrait-il condamner dans son ami le fait de les avoir rejetés ?

Pourtant le patriarche d’Antioche a fini par abandonner celui-ci : plus que cela, il l’a anathématisé et, au risque de provoquer le schisme dans son ressort, il a exigé de ses suffragants, de Théodoret lui-même, pareille condamnation. Et ce dernier, malgré ses premières déclarations, malgré son amitié sincère pour Nestorius, s’est finalement incliné, bien avant d’y être contraint par le concile de Chalcédoine. Ce qui est arrivé pour Théodoret est arrivé pour beaucoup d’autres ; on a vu fondre peu à peu, comme neige au soleil, le chiffre d’abord imposant des défenseurs de Nestorius ; une quinzaine seulement lui resteront fidèles jusqu’à la déposition, jusqu’à l’exil. Cet abandon du condamné de 431 par ses plus chauds partisans, par quelques-uns de ses meilleurs amis, est chose considérable. Si grande que l’on fasse la part qui revient dans cet abandon à l’action du bras séculier, on ne peut accuser en bloc l’épiscopal « oriental » d’avoir sacrifié sa conscience aux menaces du pouvoir, ou même au désir de conserver la paix à l’Église ; certaines paix sont plus désastreuses que la guerre même.

Pour rendre compte de l’attitude finale des » Orien" taux, il faut bien admettre qu’ils ont reconnu dans les propos de Nestorius, sinon dans sa doctrine de fond, quelque danger. A première apparence, ils n’avaient vu en lui que le représentant persécuté de la christologie antiochienne ; à plus ample examen, ils ont perçu, plus ou moins obscurément, sous la pression d’arguments qui n’étaient pas fous d’ordre dialectique, ce qu’il y avait de profane (pé6ï)Xoç), de mauvais (cpaûXoç), traduisons de regrettable, de suspect (l’Orient est moins nuancé que nous en ses termes) dans les paroles de l’archevêque déposé. Et ce dernier jugement rejoignait en somme le premier que Jean d’Antioche avait exprimé s’adressant à Nestorius lui-même. Il ne semble pas qu’ils aient prononcé à son sujet la qualification d’hérétique ; l’eussent-ils fait, que le mot ne serait pas à prendre avec la rigueur théologique que nous lui donnons aujourd’hui (voir t. vii, col. Il !), les explications que nous avons données sur la qualification d’hérétique appliquée au pape Honorius). En d’autres termes, les Orientaux n’ont pas explicitement déclaré que Nestorius s’était écarté, dans le fond, de la doctrine exprimée par V Acte d’union ; leur pensée semble plutôt que cette doctrine, il l’a compromise par de vains et regrettables propos.

Or, chose à noter, cette déposition des Orientaux rejoint celle d’un témoin contemporain, le seul qui, en ce procès semble garder son sang-froid, l’historien Socrates. Nous avons cité, col. 94, son mot si curieux, sur la peur enfantine qu’a prise Nestorius devant le mot Théolokos, ajoutons aussi, sur l’ignorance de la tradition antérieure qui a été cause de cette peur. El Socrates écrit quelques années à peine après le dénouement de la tragédie ; il a pu entendre de ses oreilles Nestorius, il s’est donné le mal, en tout cas, de lire les écrits de l’archevêque encore en circulation. Sans doute il est laïque, il veut ignorer les subtilités de la théologie ; mais sa foi religieuse est orthodoxe, elle se serait choquée d’affirmations qui l’auraient directement contredite. Le témoignage si indépendant, si éclairé de l’historien byzantin, est doncà retenir.

Si nous voulons résumer et classer l’ensemble de ces dépositions, nous aboutissons au résultat suivant : Pour un grand nombre des témoins, Nestorius est un adoptianiste plus ou moins larvé. Cette accusation s’exprime d’ailleurs en des termes assez différents : samosalénisine, doctrine des deux Fils, hérésie des deux personnes. II y a plus qu’une nuance entre ces trois termes ; mais ils expriment fous trois l’idée que Nestorius aurait nié l’unité foncière du Sauveur. — Pour les monophysites, la doctrine de Nestorius n’est pas différente de la doctrine chalcédonienne des deux natures. La condamnation dont la personne de l’archevêque a été frappée, en 451, dissimule à peine l’identité foncière deladoctrinedyophysilequeron retrouve dans le Tome de Léon, et de celle que professent les écrits de Nestorius. — Plus nuancés, les derniers témoins ne font pas difficulté de reconnaître l’identité de fond, entre le dyophysisme nestorien et l’orthodoxie catholique ; mais ils conviennent que colle identité a pu être masquée par de regrettables abus de langage et par l’ignorance des tenants et aboutissants de la question. — Il nous faut entendre maintenant la déposition même de l’accusé.

II. I.A CBR18TOLOGIE DE NESTORIUS D’APRÈS SES PROPRES ÉCRITS. — Remarques préliminaires. La médiocre conservation de l’œuvre de Nestorius est un obstacle considérable à une étude vraiment objective de sa pensée. En dehors du Livre d’Hérarlide (lequel lui-même ne laisse pas toute sécurité), il ne subsiste guère que des fragments misérables, cités en forte proportion par des adversaires, qui ont pu.