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1883
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PAPE. LA REFORME GREGORIENNE


pénétrèrent officiellement dans l’empire francavec l’exemplaire que le pape I ladrien remit à Charlemagne. Là, elles connurent bientôt, dans les ateliers des faussaires tourangeaux, le miracle de la multiplication. Sans doute, les auteurs des textes pseudo-isidoriens ne poursuivaient pas le but d’affermir le prestige de la papauté ; mais en se servant de ce prestige, ils contribuèrent à l’augmenter. Dans leur louable désir de lutter contre les abus dont ils étaient les témoins, et sentant l’inefficacité de décrets qui n’auraient eu pour eux que l’autorité précaire d’obscurs synodes locaux, ils imaginèrent d’attribuer la paternité de leurs lois aux papes les plus anciens et les plus vénérés. Sur des points de discipline qu’il n’était pas encore d’usage de soumettre à l’évêque de Rome dans les premiers siècles, on eut l’avis d’Anaclet, d’Éleuthère, de Télesphore ou de Zéphyrin. L’on a probablement exagéré la fortune desFausses Décrétâtes, qui aurait été immense, d’après certains historiens : les recherches les plus modernes établissent que d’autres collections, contenant uniquement des textes authentiques, furent plus répandues qu’elles. Au moins reste-t-il qu’on les utilisa beaucoup, et qu’elles renforcèrent chez les contemporains l’idée d’une présence originelle et constante de la papauté dans toutes les affaires administratives de l’Église entière. Les partisans de la réforme du clergé, aux xe et xie siècles, s’appuyèrent sur ces lettres apocryphes, et les papes eux-mêmes en invoquèrent l’autorité pour bien montrer qu’ils n’innovaient point, mais ne faisaient que reprendre la plus vénérable des traditions. Il est intéressant de relever, par exemple, le parti que tire Grégoire VII d’une décrétale du pseudo-Anaclet pour régler les attributions primatiales de l’archevêque de Lyon. Cf. A. Fliche, La réforme grégorienne, t. ii, Louvain-Paris, 1925, p. 230. Mais, en outre, les compilateurs du ixe siècle n’avaient pas ménagé, sous la plume des soi-disant papes des premiers âges, les revendications utiles au but qu’ils poursuivaient eux-mêmes ; le moment venu, ces affirmations des prérogatives de l’Église romaine, des droits exclusivement réservés aux papes, seront alléguées : les Dictalus papæ de Grégoire VII empruntent au pseudoIsidore une bonne partie de leur substance. Hinschius, Décrétâtes pseudo-isidorianse et capitula Angilramni, Leipzig, 1863 ; cf. l’aul Fournier, Le />remier manuel canonique de la réforme du XIe siècle, dans Mélanges d’archéologie et d’histoire publiés par V École française de Home, t. xiv, 1 894, p. 147 ; Étude sur les Fausses Décrétâtes, danalievue d’histoire ecclésiastique de Louvain, t. vii, 1906, p. 33, 301, 543, 761 ; t. viii, 1907. p. 19 ; A. Fliche, La réforme grégorienne, t. ii, p. 190.

IV. LA RÉFORME GRÉGORIENNE.

Occasion.


La centralisation, telle que l’Église latine la connaît aujourd’hui, implique deux éléments essentiels : tout d’abord, un contrôle universel de la part du Saint-Siège, contrôle méthodique, auquel des moyens de contrainte appropriés assurent une efficacité quasi certaine ; en second lieu, une limitation de l’autorité des chefs locaux, qui impose à ceux-ci l’obligation de recourir à Rome, même pour l’exercice normal et courant de leur charge.

Le contrôle pontifical, dont nous avons vu quelques manifestations ëpisodiques dejtt au xsiècle, s organisa au xi p. Il fut l’oeuvre de Grégoire VII, impérieusement exigée, du reste, par l’état moral lamentable où l’Église était alors tombée. La mainmise du pouvoir Laïque sur la provision des évêchés, au temps des Mérovingiens et des Carolingiens, avait progressivement ouvert la porte à la simonie : les sièges épiscopaux ne se donnaient pas aux plus méritants, mais aux plus offrants, ou à ceux qui disposaient des protecteurs les plus forts. Ayant déboursé, les évêques tâchaient de rentrer dans leurs fonds : ils trafiquaient des charges

dont ils disposaient, ils vendaient l’ordination, nécessaire elle-même pour accéder à ces charges. Ainsi pourvus de leurs fonctions par voies simoniaques et préoccupés de leurs revenus beaucoup plus que de leur responsabilité spirituelle, les gens d’Église n’éprouvaient que peu de goût pour l’austérité du célibat : la seconde plaie de cette époque est l’incontinence des clercs, ce que l’on appelle parfois le « nicolaïsme ». Au xe siècle, la plupart des diacres, des prêtres, des évêques même ont des épouses ou des concubines, et les biens de leurs offices servent en partie à faire vivre leurs bâtards. La situation n’est pas plus brillante dans les monastères. Et il ne s’agit point d’un mal local, affectant quelques provinces : il ravage tout l’Occident, pour ne parler que de lui ; l’Espagne en souffre comme l’Italie, la France comme l’Allemagne.

Ces désordres étaient d’autant plus difficiles à extirper qu’on n’en rougissait pas et qu’on essayait, au contraire, de les légitimer par raisons spéculatives. L’évêché entrait dans la catégorie des fiefs ; à ce titre, il exigeait l’investiture suzeraine. Or, disaient les prélats simoniaques, nous n’achetons pas la consécration épiscopale ; nos offres et nos manœuvres n’ont pour objet que le domaine féodal, la terre et ses revenus. En faveur du mariage, les clercs invoquaient des nécessités d’ordre social, faisaient appel à des textes scripturaires. A. Fliche, La réforme grégorienne, t. I er. La formation des idées grégoriennes, c. i". La crise religieuse du Xe siècle ; id., Ulrich d’Imola. Étude sur l’hérésie nicolaïte en Italie au milieu du Xe siècle, dans Revue des sciences religieuses, t. ii, 1922, p. 127.

Une réaction contre cette terrible décadence s’ébaucha bien dès le début du xi° siècle et même la fin du xe, avec les abbés de la jeune congrégation cluni sienne, avec certains évêques comme Atton de Verceil, Ratifier de Liège, Ulrich d’Augsbourg, Conrad de Constance, Gérard de Toul, Fulbert de Chartres, et d’autres. Mais ces efforts isolés et sans lendemain, puisque les successeurs de ces prélats exceptionnels ne leur ressemblaient pas, ne donnèrent que des résultats insignifiants. L’on ne pouvait attendre grand’chose du pouvoir séculier. En Allemagne, les Othon, puis Henri II, encouragèrent les tentatives réformatrices, mais ensuite Conrad II les entrava. De même en France : au zèle louable de Robert le Pieux succédèrent les mauvaises dispositions d’Henri I er. Seule la papauté, gardienne traditionnelle de l’ordre chrétien, aurait eu qualité pour coordonner et soutenir les bonnes volontés dispersées. Mais, diminuée par l’oppression de l’empire germanique, affaiblie par les luttes locales, elle a perdu momentanément son prestige et son autorité. Il faut attendre l’avènement de Léon IX, en 1048, pour la voir essayer de secouer ses chaînes et intervenir contre les abus ecclésiastiques. Et encore le saint évêque de Toul, issu d’une noble famille alsacienne, apparenté avec l’empereur et élevé par lui sur la chaire de saint Pierre, n’ira-t-il pas jusqu’au bout de son programme de libération et d’assainissement. Cf. A. Fliche, La réforme grégorienne, t. i". C’est Grégoire VII seulement qui réalisera la réforme, et il emploiera pour cela des moyens qui feront faire à la centralisation de considérables progrès.

2° Moyens : 1. Les légats. — Le célèbre moine Hildebrand, qui succéda à Alexandre II en 1073, avait eu l’occasion d’exercer les fonctions de légat, et il avait compris tout le parti que le Saint-Siège pouvait tirer de cette institution ancienne, à condition de la rajeunir, d’en élargir les bases, et d’en faire un usage intensif. Déjà Léon IX s’était servi des légats avec une fréquence inaccoutumée ; sous le pontificat de Grégoire VII, ceux-ci deviennent un des instruments les plus importants de la réforme, et à la fois du gouvernement papal et de la centralisation. Ils se divisent en