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2107 PASCAL. QUESTIONS POSÉES PAR LES PROVINCIALES

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procédé qui a ses inconvénients, Pascal se contente, en effet, de citer quelques phrases détachées, sans résumer la doctrine de Sirmond sur la question. — Ibid., p. 363 ; Maynard, ibid., p. 40, n. 1 et 2 : il s’agit de la théorie de Vasquez sur l’aumône qu’a exposée la 6'e Provinciale loc. cit., p. 30 (cf. Maynard, t. i, p. 255, n. 1), et où Nouët a relevé la 7 re Imposture. « Je n’ai fait, répond Pascal à Nouët, que tirer du texte de Vasquez les conclusions qu’en tire Diana. Mais vous approuvez Diana, parce qu’il traite "Vasquez de phénix et vous me condamnez parce que je ne professe pas la même admiration. » Or, il fait dire à Diana : « Si les riches sont obligés de donner l’aumône de leur superflu, il n’arrive jamais ou presque jamais qu’ils s’y voient obligés dans la pratique, sentiment très commode pour les riches. » Maynard fait remarquer, d’une part, que Diana a écrit « sentiment très commode pour les confesseurs des riches », et, d’autre part, que Diana ne parle que des nécessités communes. Mais ces correctifs ne changent rien à l’idée générale.

On pourrait ergoter encore contre Pascal ; mais ces inexactitudes, peu nombreuses, étant donnée la quantité des citations, — le seul Escobar est cité 67 fois, — ne sont pas telles « qu’elles altèrent la portée de l’argumentation », Chevalier, loc. cit., et « si Pascal eût voulu faire ses Provinciales plus fortes, dit Brunetière, loc. cil., p. xi, Escobar et les autres lui en eussent fourni de toutes les façons. »

Où se montre surtout sa volonté de pamphlétaire, c’est que « il tire légèrement à lui ; il dégage l’opinion de l’adversaire plus nettement qu’elle ne se lirait dans le texte complet ; …il aide volontiers à la lettre » SainteBeuve, loc. cit., p. 125. En d’autres termes, il fait rendre aux textes tout ce qu’ils peuvent rendre contre leurs auteurs ; consciemment il présente les opinions des casuistes dans un raccourci où elles apparaissent dans leurs derniers excès et non dans leur progrès lent et insensible. Cꝟ. 15' Provinciale, p. 33. Enfin, il met une certaine malice à citer les casuistes, Lessius, par exemple, non d’après son propre texte, mais d’après l’exposé qu’en fait Escobar qui n’est pas toujours exact. Il se fait même de cette pratique une arme contre les jésuites. « Vous m’accusez d’imposture, dit-il dans la 12e Provinciale, à propos de Lessius que j’ai cité. Mais je l’ai cité textuellement d’après Escobar. Je ne suis donc responsable en rien. S’il y a un imposteur, c’est celui de vos Pères qui m’attaque, ou bien c’est Escobar. » 12° Provinciale, p. 383.

b. Pascal a-t-il calomnié la Compagnie de Jésus ? — a) « Le livre portait sur un fondement faux. On attribuait à toute la société les opinions extravagantes de plusieurs jésuites espagnols ou flamands », a dit Voltaire, reprenant à sa façon un grief de la première heure exposé déjà par Nouët, par Bourdaloue et par le Père Daniel. Cf. Siècle de Louis XIV, c. xxxvii. Ainsi pense éga’ement J. de Maistre, Del' Église gallicane, t. I, c. ix. Pour le P. Brucker, les errements que condamne Pascal sont le fait « d’une demi-douzaine de docteurs, justement censurés parmi des centaines d’autres qui sont sans reproche et même en honneur dans l'Église ». Donc injustice envers l’ensemble. Cf. La Compagnie de Jésus en France, Paris, 1919. Brunetière n’accepte pas cette accusation : « Il y a plus de cinq ou six jésuites compromis dans les Provinciales, et plusieurs sont des lumières de l’ordre », dit-il. Loc. cit., p. xiv. Dans le mouvement général qui entraîne les casuistes, il est i névitable que tous soient plus ou moins entraînés.

Pascal, il faut le reconnaître, cite plus volontiers les casuistes déconsidérés comme Bauny, ou « incomplets et infidèles » comme Escobar. Cf. Maynard, loc. cit. t. i, p. 261, n. 1. Mais il se justifie de rendre la Compagnie responsable de tels personnages, en affirmant qu’une société est responsable des membres qu’elle n’a

pas désavoués, surtout celle-là. « Un si grand corps, dit-il, 5° Provinciale, p. 299, cꝟ. 9e, p. 195-196, ne subsisterait pas sans une âme qui règle tous ses mouvements, outre que tous ses membres ont un ordre particulier de ne rien imprimer sans l’aveu de leurs supérieurs. »

P) Si Voltaire exagère quand il dit : « On tâchait dans ces Lettres de prouver qu’il y avait, dans la Compagnie de Jésus, un dessein ferme de corrompre les mœurs ; dessein qu’aucune secte, aucune société n’a jamais eu et ne peut avoir », car Pascal a dit tout le contraire, 5e Provinciale, p. 298, Pascal est injuste quand il prête à la Compagnie « l’unique but de gouverner les consciences », autrement dit, de l’ambition et de l’intérêt. Ibid., p. 299. Comme on l’a vii, la Compagnie poursuivait un dessein tout autre : adapter le catholicisme aux hommes du temps. « La pensée très juste de Molina, était que, si la religion a été donnée aux hommes pour les sauver, il faut la rendre hospitalière… » Stapfer, loc. cit., p. 313. « Dans leur va-et-vient empressé et conciliateur entre les désirs de l’individu et la règle des mœurs, dit P. Lasserre, loc. cit., p. 657, pourquoi supposer que les casuistes, prêtres et religieux, aient été surtout mus de complaisance envers l’individu ? Celui-ci s'égayerait bien sans leur permission ; c’est du côté des mœurs de la société, de la religion qu’est tourné leur sens. Seulement, ils ne se donnent pas le ridicule de systématiser des principes pour une humanité idéale, abstraite. Ils acceptent l’immense moyenne des hommes, telle qu’elle est. » Pascal « a beau jeu, avait-il dit, p. 645. Il spécule dans la solitude comme Kant : Agis toujours de manière que la maxime de ton action puisse être érigée en règle universelle. C’est se donner à bon compte un air de vertu rigide. Je défie qu’il n’y ait pas tout de suite de distinction à faire », comme si, par exemple, l’intention n’avait aucune influence sur la moralité.

Y) Il est injuste encore de ramener l’idéal et le rôle des jésuites à être des casuistes relâchés, ou même simplement des casuistes. « Les jésuites ont eu, comme tous les autres ordres, des casuistes, dit Voltaire, répétant le P. Daniel … ; mais, de bonne foi, est-ce par la satire ingénieuse des Lettres provinciales que l’on doit juger de leur morale ? C’est assurément par le P. Bourdaloue, par le P. Chaminade, par leurs missionnaires. Rien de plus contradictoire que d’accuser de morale relâchée des hommes qui mènent en Europe la vie la plus dure et qui vont chercher la mort au bout de l’Asie et de l’Amérique. » Lettre au P. Latour, du 7 février 1746. Œuvres, édit. Beuchot-Garnier, t. xxvi, p. 428-429.

Peut-on d’ailleurs, a-t-on dit aussi, juger de la doctrine d’un auteur, à plus forte raison, d’un nombre considérable d’auteurs sur quelques citations choisies à dessein : « Quelle tête un peu réfléchie, dit P. Lasserre, à propos du traité De jure et justilia de Molina cité par Pascal, se croira en droit d’apprécier l’esprit, la méthode et les dessous d’un in-folio de deux mille pages, à deux colonnes, texte serré, sur huit à dix fragments dont le total ne fait pas même la moitié d’un alinéa de l’auteur ? Qui voudra juger une doctrine qui embrasse tout le droit, toute la morale, sur une douzaine de courtes formules, choisies par des adversaires passionnés. » Loc. cit., p. 644. L’on peut répondre cependant que, s’il faut vérifier les dires d’adversairts passionnés et s’il est injuste de conclure sans raison de quelques-uns à tous, il ne l’est pas de juger d’une doctrine morale par certaines conclusions auxquelles elle aboutit.

S) Injustice encore, a-t-on dit, de laisser croire que les excès de la casuistique fussent des seuls jésuites. C’est cependant logique, réplique Brunetière. Reprenant à son compte la pensée du Père casuiste à qui