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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 11.2.djvu/508

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PASCAL. LES PENSEES, IIe PARTIE


uit les miracles et la doctrine suspects d’un même côté », ce fut le cas de Jésus-Christ, « alors il faut voir quel est le plus clair ». Fr. 843. Jésus-Christ était suspect, ibid. ; mais « ses miracles étaient convaincants ». Fr. 829. « Les miracles discernent la doctrine et la doctrine discerne les miracles. » N’y a-t-il pas là une contradiction ? Pascal ébauche l’objection immédiatement : « Si la doctrine règle les miracles, les miracles sont inutiles pour la doctrine. Si les miracles… » Fr. 803. Évidemment, il y a cercle vicieux à dire comme les ennemis de Port-Royal : « Qu’avez-vous pour vous faire plutôt croire que les autres ?… Si vous aviez des miracles, bien. » Puis, quand sont venus les miracles : « Les miracles ne suffisent pas sans la doctrine », fr. 843, ou, comme le disait le Rabat-joye, p. 6 : « C’est blasphémer de dire que Dieu fera des miracles pour autoriser des erreurs condamnées par l’Église. » Ces gens-là, dit Pascal, « blasphèment tour à tour la doctrine et les miracles ». Ibid. En vérité, « les miracles sont pour la doctrine et non pas la doctrine pour les miracles », fr. 843, en d’autres termes : Si chaque miracle confirme la doctrine, la question de doctrine n’intervient pas en chaque miracle. Puis il ajoute : « Règle, fl faut juger de la doctrine par les miracles ; il faut juger des miracles par la doctrine. Tout cela est vrai, mais ne se contredit pas : il faut distinguer les temps. » Ibid. « Autre règle durant Moïse, autre règle à présent ». Un miracle n’est pas un fait isolé. îl s’insère dans la trame des faits surnaturels, et il trouve des choses acquises, comme il a été dit. Au temps de Jésus-Christ, dont la doctrine était suspecte aux Juifs, « le miracle discernait la doctrine ». Aujourd’hui, il discerne encore les choses douteuses dans l’Église même. Mais, en face de doctrines nettement impies ou hérétiques, l’autorité de l’Église étant acquise et les prophéties accomplies étant un miracle subsistant, les miracles proprement dits n’ont plus le même rôle et c’est la doctrine qui discerne entre les faits dont on veut faire des signes divins.

Mais, étant donnés les miracles dans l’Église, comment tous ne sont-ils pas croyants ? « Si j’avais vu un miracle, disent-ils, je me convertirais. » Fr. 470. Erreur. îl ne s’agit pas seulement de constater un fait, ou même de l’interpréter ; il s’agit d’y sentir Dieu. Or, Dieu ne se révèle qu’à ceux qui le cherchent humblement. On peut arriver à la foi sans avoir vu de miracles, comme sans connaître les autres preuves de la religion, fr.287 ; enrevanche, de vrais miracles peuvent laisser leurs témoins indifférents. Il en est, en effet, du miracle comme « des prophéties et des preuves de notre religion » ; il y a en eux « de l’évidence et de l’obscurité, pour éclairer les uns et obscurcir les autres ». Fr. 564. On est ici dans l’ordre de la charité. On voit le fait ; on peut l’interpréter justement et conclure à Dieu ; celui-là seul y sent Dieu qui a la charité. « Ce qui fait qu’on ne croit pas les miracles, c’est le manque de charité. » Fr. 826. Et, conformément à l’économie du salut telle qu’il la conçoit, pensant peut-être à ces Juifs qui « n’auraient pas péché, en ne croyant pas Jésus-Christ, sans les miracles », Pascal écrit : « Les miracles ne servent pas à convertir, mais à condamner. » Fr. 825.

e) La perpétuité de la religion, des origines à nos jours, prouve sa divinité. — Le christianisme se présente comme une religion, non pas née au cours des siècles, mais contemporaine de l’homme, et qui s’est maintenue dans sa pureté malgré tous les obstacles. Bossuet dira au Grand-Dauphin : « C’est la même religion dès l’origine du monde. Que si l’antiquité de la religion lui donne tant d’autorité, sa suite continuée sans interruption et sans altération, durant tant de siècles et malgré tant d’obstacles survenus, fait voir

manifestement que la main de Dieu la soutient. » Discours sur l’histoire universelle, II" partie, La suite de la religion, c. i. Pascal « ouvrant, selon le mot de Sainte-Beuve, loc. cit., p. 447, des perspectives que Bossuet parcourra et remplira », avait avant lui signalé le même fait et en avait conclu à l’intervention divine : « Cette religion qui consiste à croire que l’homme est déchu d’un état de gloire et de communication avec Dieu, en un état de tristesse, de pénitence et d’éloignement de Dieu, mais qu’après cette vie nous serons rétablis par un Messie qui devait venir, a toujours été sur la terre. Toutes choses ont passé et celle-là a subsisté pour laquelle sont toutes choses. » Fr. 613, cf. fr. 737. « Que cette religion se soit toujours maintenue et inflexible, cela est divin. » Fr. 614. Or, et Pascal insiste sur cette idée, cette religion est de plus « la seule contre la nature, contre le sens commun, contre les plaisirs », fr. 605 et 604, et elle a subsisté au milieu d’un monde entraîné dans « l’idolâtrie » et « en mille sectes » philosophiques. Fr. 613 et 618.

Ce qui fait principalement l’unité de cette religion à travers les siècles, c’est la croyance à un Messie. « Depuis le commencement du monde, l’attente ou l’adoration du Messie subsiste sans interruption. Des hommes ont dit que Dieu leur avait révélé qu’il devait naître un rédempteur qui sauverait son peuple… ; Moïse et les prophètes sont venus ensuite déclarer le temps et la manière de sa venue, ils ont dit que la loi qu’ils avaient n’était qu’en attendant celle du Messie, mais que celle-ci durerait éternellement ; enfin est venu Jésus-Christ dans toutes circonstances prédites. Cela est admirable. » Fr. 617.

f) Et la conduite du monde et l’évolution des empires en fonction de la religion. Le christianisme explique l’histoire et lui donne un sens. — Cela est non moins admirable. Pascal ne fait qu’indiquer la chose : « Qu’il est beau de voir par les yeux de la foi Darius et Cyrus, Alexandre et les Romains, Pompée et Hérode agir sans le savoir pour le triomphe de l’Évangile. » Fr. 701. « C’était tout un programme », dit Sainte-Beuve, loc. cit., pensant à la IIIe partie, Les empires, du Discours sur l’histoire universelle, « que le génie impétueux de Bossuet dut à l’instant embrasser, comme l’œil d’aigle du grand Condé parcourait l’étendue des batailles ».

g) Le peuple juif, Moïse et l’Écriture, preuves vivantes de la divinité de Jésus-Christ et de son Église. — Jésus-Christ, le Messie venu, partage en deux l’histoire du monde, et « la religion chrétienne est fondée sur une religion précédente », fr. 619, dont la venue du Messie était l’âme et la raison d’être. Fr. 618. Cette religion est celle d’un peuple « qui attire l’attention par quantité de choses admirables et singulières ». Fr. 620 ; cf. Filleau, Discours sur les Pensées, t.xii, p. ccvu. « Visiblement ce peuple est fait exprès pour servir de témoin au Messie. » Fr. 641. Il est ainsi « un des fondements de cette religion chrétienne qui sont indubitables et qui ne peuvent être mis en doute par quelque personne que ce soit ». Fr. 619. C’est là un fait devant lequel il faut bien s’arrêter, — celui de ce peuple sans importance politique, mais d’une telle importance religieuse, — et un fait qui a tous les caractères du divin.

Ses caractères, en effet, et son histoire sont choses « merveilleuses et uniques ». Filleau, loc. cit. « Sorti d’un seul homme et composé de frères » à l’origine, « au lieu que tous les autres sont formés de l’assemblage d’une infinité de familles », fr. 620, ce peuple a composé « un État puissant d’une seule famille ; cela est unique ». Ibid. « Ce peuple est le plus ancien qui soit, et ses histoires précèdent de plusieurs siècles les plus anciennes que nous en ayons », ibid., et fr. 619, si bien que, « si Dieu s’est de tout temps révélé aux