Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 11.2.djvu/522

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
2177
2178
PASCAL. APOLOGÉTIQUE


Arme appartenant à la nature, tout ce qu’il y a de puissant appartenant à la grâce. » Ibid.

La vertu que nous enseigne et nous donne Jésus-Christ : « J’aime la pauvreté parce qu’il l’a aimée. J’essaie d’être juste, véritable, sincère. Voilà quels sont mes sentiments, et je bénis tous les jours mon Rédempteur qui les a mis en moi. » Fr. 550. « Nos prières et nos vertus sont abominables devant Dieu, si elles ne sont les prières et vertus de Jésus-Christ », fr. 668, cf. fr. 546, cette vertu est un milieu, comme la vérité, en ce sens qu’elle s’oppose également à deux vices opposés entre eux et nés « de cet orgueil et de cette paresse », dont il vient d’être parlé, et « qui sont les deux sources de tous les vices ». Fr. 435. Si elle n’était opposée qu’à un vice, conduite à l’extrême, elle ferait tomber dans le vice opposé. Fr. 357. Elle apparaît comme un entre-deux entre des sommets qu’elle unit. « On ne montre pas sa grandeur pour être à une extrémité, mais bien en touchant les deux à la fois et en remplissant tout l’entre-deux. » Fr. 353 ; cf. Rauh, loc. cit., p. 322-323.

5. L’amour-propre, motif de toute l’activité humaine, sans la grâce. — Dans l’état d’innocence, l’homme était libre de la liberté d’indifférence. Dans l’état de nature déchue, l’homme suit toujours « la délectation victorieuse », sans cesser cependant d’être libre et responsable ; cf. Fragments d’une lettre de Pascal sur la possibilité des commandements, viii, dans Écrits sur la grâce, t. xi, p. 226-229. Suit-il les inspirations de la grâce du Sauveur, c’est qu’il y trouve une délectation supérieure. Mais, en dehors de ces inspirations, il ne peut agir que pour l’amour de soi directement et de soi dans les créatures ; autrement dit, il n’agit que par concupiscence : « La concupiscence est la source de tous nos mouvements », fr. 41, « de toutes nos actions volontaires », fr. 334 ; elle est en effet « devenue la seconde nature des hommes ». Fr. 430. « Nous naissons donc injustes car tout tend à soi. Cela est contre tout ordre. » Fr. 477. Et la victoire morale peut se formuler ainsi : « Il faut n’aimer que Dieu et ne haïr que soi. » Fr. 476.

Tous nos actes sont donc moralement homogènes ; par cette intention fondamentale ils sont d’une seule et même espèce. Cf. Baudin, Le panhédonisme psychologique de Pascal, dans Revue des sciences religieuses, avril et juillet 1925.

Sur le caractère janséniste de cette doctrine, cf. Jansénisme, col. 355 sq. : Les peines du péché originel, et col. 460 sq. : La délectation victorieuse ; L& porte, La doctrine de Port-Royal, p. 64 sq. Sur les rapprochements possibles entre cette doctrine et celle des Maximes de La Rochefoucauld, cf. Sainte-Beuve, Port-Royal, t. ii, p. 140, et Portraits de femmes, p. 296 ; sur les rapprochements avec Kant, cf. Laporte, loc. cit., n. 13, p. 69 ; avec Freud et les psychiatres, cf. id., ibid., -p. 70.

6. Les choses ont un sens mystique.

Comme « le Vieux Testament », la nature est « un chiffre », fr. 691. « Les personnes destituées de foi et de grâce », fr. 242, ne verront jamais dans la nature que les lois auxquelles elle obéit. Quand elles l’auront enfermée, comme fit Descartes, par un travail « inutile, incertain et pénible », dans un système de lois, elles seront satisfaites. Fr. 79. Ces esprits « ont vu les effets, mais ils n’ont pas vu les causes ; ils sont à l’égard de ceux qui ont découvert les causes comme ceux qui n’ont que des yeux à l’égard de ceux qui ont de l’esprit ; car les elïets sont comme sensibles, et les causes sont visibles seulement à l’esprit. Et quoique ces effets-là se voient par l’esprit, cet esprit est à l’égard de l’esprit qui voit les causes comme les sens corporels à l’égard de l’esprit. » Fr. 234.

Mais les choses ont un sens spirituel. « Toutes choses couvrent quelque mystère ; toutes choses sont des

DICT. DE THÉOL. CATH.

voiles qui couvrent Dieu. » IVe lettre à Mlle de Roannez, t. vi, p. 89. « La nature est une image de la grâce et les miracles visibles sont images des invisibles. » Fr. 675. « La distance infinie des corps aux esprits figure la distance infiniment plus infinie des esprits à la charité, car elle est surnaturelle. » Fr. 793. Et, « comme le monde ne subsiste que par Jésus-Christ et pour Jésus-Christ et pour instruire les hommes de leur corruption et de leur rédemption, tout y éclate des preuves de ces deux vérités. » Fr. 556. L’histoire même peut s’interpréter du même point de vue symbolique ; car, « si tout l’univers apprend à l’homme ou qu’il est corrompu ou qu’il est racheté, l’abandon de Dieu paraît dans les païens, la protection de Dieu paraît dans les Juifs. » Fr. 560 bis. Mais, comme pour le sens spirituel du Vieux Testament, ceux-là seuls perçoivent le sens mystique des choses qui ont « l’inspiration ». Cf. fr. 242.

Conclusion. — « Ce qui caractérise cette philosophie, dit Rauh, loc. cit., p. 341, c’est d’être la première tentative faite, au moins dans les temps modernes, pour mettre à leur vrai rang les puissances réputées inférieures de l’homme : la volonté et le sentiment. C’est la première fois que la sagesse pratique, la raison incarnée, vivante, est mise au-dessus de la pensée spé culative… ; la première fois surtout que la volonté est posée comme le principe de l’intelligence même et que la certitude fondamentale est identifiée à la certitude pratique. Jamais une philosophie des contraires, du milieu n’avait été ainsi associée à une philosophie de la volonté, enveloppant aussi dans une synthèse universelle, toute l’inquiétude, tout l’obscur des choses. »

VI. L’apologétique de Pascal. — 1° Le christianisme est démontrable. — Acquise par le cœur, il est de toute nécessité que la religion se démontre. « SI on choque le principe de la raison, notre religion sera absurde et ridicule. » Fr. 273. « Je n’entends pas que vous soumettiez votre créance à moi sans raison », fait dire Pascal à Dieu. Fr. 430, p. 335. « C’est avec notre raison, dit Vinet résumant la pensée de Pascal, que nous devons reconnaître la véritable religion. Dieu a donc dû entourer sa révélation de preuves qui fussent accessibles à notre raisonnement. Ce que je puis exiger, si Dieu a parlé, c’est qu’il soit possible à la raison humaine de se procurer sur ce point une certitude égale à celle qu’il peut se procurer sur d’autres points. » Loc. cit., p. 38.

Voltaire ne s’y est pas trompé : l’effort de Pascal va bien à donner au christianisme eette forte position de défense, qu’il est raisonnable. « Ma grande dispute avec Pascal roule précisément sur le fondement de son livre. Il prétend que, pour qu’une religion soit vraie, il faut qu’elle rende raison de tout ce qui se passe dans notre cœur. Je prétends que ce n’est point ainsi qu’on doit examiner une religion et que c’est la traiter comme un système de philosophie. » Lettre au P. Tournemine, 1735. Et dans une Lettre à La Condamine du 22 juin 1734 : « A l’égard de Pascal, le grand point de la question roule visiblement sur ceci, savoir si la raison humaine suffit pour prouver deux natures dans l’homme. » Cf. Sainte-Beuve, loc. cit., p. 402.

Évidemment, Pascal n’entend pas, comme l’a tenté Raymond Sebond, démontrer rationnellement toutes les vérités de la foi. « La véritable religion renfermera des choses au-dessus de la raison. Une religion qui n’en renfermerait pas ne serait pas révé ; ée. » Vinet, ibid., cf. fr. 574 et 273. II ne prétend même pas convaincre des vérités religieuses qui se démontrent l’incrédule qui ne se serait pas mis dans un certain état d’âme. Fr. 233. Enfin il ne prétend pas davantage qu’une démonstration bien conduite et reçue par une âme dans l’état voulu puisse conduire à la foi sans l’inspiration : cela est d’un autre ordre : « On n’entre

T. — XI

69