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PAUL (SAINT). INFLUENCE DE LA PENSÉE JUIVE


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tre, car, lui, il fait son apologie au détriment de la vérité.

Les deux affirmations de ce raisonnement sont contestables au plus haut point. — a) Saint Paul ne se défend pas d’être helléniste, il affirme seulement qu’il était autrefois très attaché à la Loi. D’ailleurs, beaucoup de Juifs de la « dispersion » étaient dans ce cas. Les « hellénistes » de Jérusalem, auxquels saint Paul s’était adjoint et qui lapidèrent saint Etienne, n’étaient pas précisément des libéraux. On pouvait donc être à la fois Juif helléniste et très attaché aux traditions des « pères ». C’est le cas de saint Paul et c’est pourquoi il s’appelle « hébreu, fils d’hébreux ».

— b) En outre, les adversaires de l’Apôtre ne lui font pas d’autre grief que celui d’avoir abandonné les éléments essentiels du judaïsme, et de regarder la Loi comme un obstacle au salut des païens. Ce n’est point à cause de sa conduite passée, mais pour son attitude présente, que les judaïsants le combattent ; ils s’efforçaient de le discréditer, spécialement auprès des Galates, en racontant sa vie d’une façon tendancieuse. Nous n’avons donc pas de motif suffisant pour suspecter les renseignements fournis par les Actes et confirmés par les épîtres. Saint Paul, bien qu’originaire de la « dispersion », fut élevé dans les traditions phari siennes et resta jusqu’à sa conversion fermement attaché à la Loi.

L’éducation de saint Paul et les milieux qu’il avait fréquentés avant sa conversion avaient donné à sa pensée une physionomie ou une orientation bien déterminée. Il avait étudié l’Ancien Testament et la théologie juive, il avait pris contact avec le monde païen et la pensée hellénique. Quel est l’apport de chacune de ces causes dans la formation de sa doctrine ? Avant de répondre à cette question, il importe d’abord d’écarter une équivoque. Ne nous imaginons pus la pensée de saint Paul fixée de tout point ne varietur à un moment précis de sa vie. Cette pensée est pour ainsi dire en marche. Elle se développe au fur et à mesure des circonstances pendant toute la carrière de l’Apôtre. Sans doute, la révélation du Fils de Dieu, sur le chemin de Damas, fixe une fois pour toutes dans son âme la théologie du salut, ou le sens de 1’ « Évangile ». Mais les autres facteurs qui se sont exercés sur sa pensée ne l’ont point fait, pour la plupart, seulement une fois ; on peut dire qu’ils n’ont jamais cessé de s’exercer d’une façon ou d’une autre, et que la pensée de l’Apôtre s’est développée avec son œuvre même.

Par suite, si nous rattachons à ce moment de sa vie l’influence de l’Ancien Testament, de la théologie juive, celle des milieux païens et de la pensée hellénique, c’est donc à la fois pour indiquer le point de départ de sa pensée et signaler déjà des influences qu’elle pourra subir, à des titres divers, au cours de son apostolat après sa conversion. D’ailleurs, les épîtres ou les Actes ne nous permettent de préciser que le moment où il a exprimé ses doctrines, non celui où il les a conçues pour la première fois dans son esprit.

3° Influence de l’Ancien Testament et de la théologie juive ; l’exégèse. — Saint Paul, comme tout Juif, voyait dans VAncien Testament une autorité divine. Il y puisait une partie de ses idées surTJîeu, créateur, maître, fin de toutes choses ; sur la chute originelle, le péché, la résurrection des morts, l’existence et le rôle des anges et des démons. La conception de la transcendance et de la paternité de Dieu, de la providence ou gouvernement divin des choses, du monde futur, récompense des justes, lui était également fournie par l’Ancien Testament. Le monothéisme moral des « prophètes » a profondément marqué sa pensée ; c’est à eux qu’il doit, en partie, la conception universaliste de la religion.

Par suite, saint Paul invoque l’Ancien Testament comme une autorité pour démontrer sa doctrine, el il le fait même en s’adressant aux païens convertis. Il y fait spécialement appel pour démontrer le caractère messianique de Jésus, la doctrine de la justification par la foi en dehors des œuvres légales, l’unité du plan divin mise en lumière par l’histoire d’Abraham, le rejet au moins temporaire des Juifs, la vocation des païens, la déchéance universelle. Les chapitres Gal., m, iv ; Rom., iii, iv, ix-xi nous en fournissent de nombreux exemples.

De plus, l’influence de l’Ancien Testament se fait sentir dans le style de l’Apôtre. Si saint Paul n’a point la manière ou la tournure d’esprit sémitique, il emprunte du moins à l’Écriture de nombreux « biblismes », surtout lorsqu’il traite des questions concernant l’Ancien Testament ou le judaïsme.

Pharisien et disciple de Gamaliel, saint Paul do il à la théologie juive, les procédés de la méthode rabbinique dans l’usage de l’Écriture. Les commentaires rabbiniques s’appelaient midrasehim, c’est-à-dire recherches. Les plus anciens qui nous soient parvenus, le Mekhilta (mesure, règle : commentaire d’une partie de l’Exode), le Sifra (livre : commentaire du Lévitique ) et le Sifrè ou Sifri (livres : commentaire des Nombres et du Deutéronome) ne remonten t pas au delà du iiie siècle de notre ère. (On les trouvera dans Ugolini, Thésaurus antiquitatum sacrarum. Venise. 1741-1769, t. xiv, xv, et dans les éditions spéciales : Mekhilta, édition Weiss, Vienne, 1865 ; Sifra, édition Malbim, Bucarest, 1860 ; Sifrè. édition Friedmann, Vilna, 1864.) Mais les règles de l’exégèse rabbinique remontent beaucoup plus haut. Le célèbre rabbi Hillel, le grand-père de Gamaliel, en avait fixé les principes d’après la tradition et les avait réduits à sept règles. Voir le baraïla qui est au commencement du Sifra ; Abbot de rabbi Natan, xxxvii. éd. Schechter, Vienne, 1887. Dans la suite, rabbi Ismaël avait développé en treize règles les sept règles de Hillel. Enfin, rabbi Eliézer ben José Ha-Gelili au iie siècle aurait formulé trente-deux règles d’interprétation. Mais aucun de ces rabbins n’avait entendu donner une énumération complète des règles d’interprétation en usage de leur temps ; ils n’avaient voulu donner qu’une méthode, ou des principes (middot, mesures). Toutes ces règles furent incorporées dans les Talmuds. Les treize règles de rabbi Ismaël ont été publiées par Schechtcr dans Bet Talmud, iv, 437 sq.

Les sept règles de « recherches » pour l’interprétation de la Bible étaient les suivantes : 1. L’argument a minori ad ma jus, ou a majori ad minus. On en distinguait deux sortes : le raisonnement proprement dil, et la simple suggestion. — 2. L’argument d’analogie.

— 3. Le rapprochement des lextes : un passage pris pour base et déjà expliqué servant de règle pour beaucoup d’autres. — 4. La même méthode que dans la règle précédente, mais en partant de deux textes déjà expliqués, au lieu d’un. R. Ismaël avait unifié les règles 2 et 4. — 5. La conclusion du général au particulier, ou du particulier au général. — 6. L’analogie des passages entraînant l’analogie des explications. Cette règle ne fait pas double emploi avec celle du n. 2 ; cette dernière ne s’appliquait qu’à l’interprétation de la Loi, tandis que le n. 6 est une règle générale pour toute la Bible. R. Ismaël supprimait la règle n. 6 et la remplaçait par une autre, à savoir : si deux passages se contredisent, cette contradiction doit être résolue par la comparaison avec un troisième passade.

— 7. La septième règle consistait à déterminer le sens d’un passage par son contexte. Pour résoudre une difficulté on changeait parfois les lettres ou les voyelles dans la lecture : Nlpn 7N ne lis pas ainsi, mais ainsi ».