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PÉCHÉ. CAUSES INTÉRIEURES, LA MALICE


énorme une satisfaction moins tolcrable ; qui se livre aux voluptés sensibles achète un plaisir plus naturel d’un péché moins redoutable. L’écart grandissant entre les deux termes ici engagés mesure le funeste progrès de la malice humaine.

La gravité proportionnellement accrue du péché de malice ressort assez de ce qui précède. Il est plus volontaire que le péché de passion, plus volontaire que le péché d’ignorance. Étendant même le sens de la gravité, et la considérant comme désignant la durée d’un péché, celui-ci l’emporte encore, car la passion se produit en secousses intermittentes, la malice tient le plus souvent à des dispositions permanentes. Et, si la gravité devait enfin signifier un péché plus dangereux et de guérison moins certaine, le péché de malice serait encore le plus grave, puisqu’on y a perdu jusqu’au goût d’écouter la raison et de faire le bien. I a -II », q. lxxvii, a. 4.

Le péché de malice n’est pas sans affinité avec le péché contre le Saint-Esprit. Ce vocable est, on le sait, d’origine évangélique : Matth., xii, 31-32 ; Marc, iii, 28-30 ; Luc, xii, 10. Il a donné lieu, dans la tradition chrétienne, à un grand nombre d’interprétations. Saint Thomas les a groupées sous trois chefs. De malo, q. iii, a. 14 ; Sum. theol., Ila-II 3 *, q. xiv, a. 1. Selon la plupart des Pères, et qui se fondent sur le contexte de l’Évangile, ce péché est le blasphème contre le Saint-Esprit ou la Sainte-Trinité. Selon saint Augustin, il signifie l’impénitence finale. Les théologiens scolastiques y voient le péché de malice. Saint Thomas, entre trois opinions vénérables, ne tranche pas ; mais il inclinerait vers la dernière. Cependant, il entendrait exactement sous le nom de péché contre le Saint-Esprit celui que l’on commet quand on rejette les sentiments ou considérations qui retiennent de pécher, et d’où procède ce que nous avons appelé proprement le péché de malice. Cf. In IIum Sent., dist. XLIII, q. i, a. 2, ad 1um, ad 3um. Ainsi compris, le péché contre le Saint-Esprit constitue un genre, et qui se répartit en six espèces, selon les empêchements du péché qu’il exclut : en quoi saint Thomas assume l’énumération que lui offrait Pierre Lombard. // Sent., dist. XLIII. Un tel péché est irrémissible, en ce sens qu’il n’a de soi rien qui appelle la rémission ni celle de la peine, ni celle de la faute. Mais, ajoute saint Thomas, la voie n’est pas fermée pour autant à la miséricorde et à la toute-puissance de Dieu par lesquelles sont opérés quelquefois de véritables miracles spirituels. Le plus souvent, ce péché ne vient qu’après beaucoup d’autres ; mais il peut être aussi le premier. Sur le sens littéral des versets évangéliques : Lagrange, Évangile selon saint Matthieu, Paris, 1923, p. 244-245 ; Galtier, De psenilentia, Paris, 1931, n. 198-199.

Le péché de malice, et spécialement le péché d’habilus, représente le point d’insertion en notre système des considérations relatives aux Habitudes mauvaises et aux Habitudinaires, qui ont pris une si grande importance dans la théologie morale des modernes. Voir ces mots. Il serait utile qu’on n’oubliât point la doctrine ici rappelée dans l’étude casuistique de ces questions.

4. Conclusions.

Au terme de cet exposé, on peut vérifier premièrement si les trois causes que nous venons de recenser comprennent toutes celles d’où le péché peut procéder dans l’âme. L’énumération s’en inspire de la psychologie commune qui reconnaît dans l’âme la volonté, l’intelligence et les facultés sensibles. Elle jouit donc de la même autorité. Elle ne semblerait incomplète que si l’on songeait au premier péché de l’ange ou de l’homme que l’on ne peut attribuer apparemment ni à la malice, ni à la passion, ni à l’ignorance. Il faut dire que ce péché, qui, selon son espèce, fut pour l’ange comme pour l’homme un péché

d’orgueil, appartient, selon son origine, à la catégorie des péchés d’ignorance : car il y eut au principe de cet acte déréglé une inconsidération, qui était le seul défaut par où le péché pût s’insinuer en ces créatures intègres. Voir Orgueil ; Salmanticenses, q. lxxviii, a. 1.

On peut demander deuxièmement si les trois membres que nous avons recensés s’excluent l’un l’autre, en sorte que l’on pèche ou par malice, ou par passion, ou par ignorance, mais non jamais selon plusieurs de ces causes à la fois. Il faut dire que la passion et l’ignorance ne s’excluent pas nécessairement comme causes d’un péché. Puisque la passion peut induire à pécher, tandis que l’on sait par ailleurs que l’action est mauvaise, on ne voit pas qu’elle ne puisse le faire alors qu’on l’ignore. Le péché de malice, au contraire, par définition même, exclut le concours de toute ignorance et de toute passion comme principes. Mais il se peut qu’un seul et même péché, inauguré comme péché de passion ou d’ignorance, ne se poursuive, la passion apaisée et l’ignorance éliminée, que par la seule perversion de la volonté. Pour le péché commencé par malice, il ne deviendrait en son développement péché de passion ou d’ignorance que dans le cas où celles-ci le viendraient affecter de l’extérieur, mais non pas si elles sont sorties du péché lui-même. Il est d’ailleurs difficile qu’un seul et même péché passe par tant de vicissitudes. Salm., ibid.

Faut-il déclarer que cette triple division des péchés n’emporte aucune signification spécifique ? Elle ne concerne que les causes. Et la même cause peut l’être de péchés spécifiquement distincts, comme une même espèce de péchés procède selon les occasions de diverses causes.

Nous sommes, à cet endroit, en mesure de mieux comprendre comment tout péché comporte, ainsi que le dit maintes fois saint Thomas, et ses commentateurs après lui, une ignorance ou une erreur. Il arrive que l’ignorance et l’erreur désignent l’espèce du péché : voir ci-dessus. Il arrive qu’elles en désignent la cause, constituant la condition grâce à quoi le péché est entré dans l’âme, lequel est en ce cas dû à l’ignorance, ex ignorantia. En tout autre péché, il y a bien ignorance ou erreur, mais qui ne sont du péché ni l’objet, ni la cause. Dans le péché de passion, tel que l’a décrit saint Thomas, l’ignorance et l’erreur sont actuelles et concernent tant la proposition universelle que son application particulière à l’action ; mais, habituellement, on sait, en vérité, et que tel genre d’action est défendu et que cette action tombe sous le genre ; la | passion apaisée, ces connaissances, qu’elle avait ré duites à l’état habituel, reparaîtront. Si l’on suppose que la passion n’exclut pas la connaissance actuelle du mal que l’on fait, reste que l’on souffre d’une ignorance et erreur pratiques : autre est le jugement vrai de la conscience, autre le jugement d’élection, qui est faux. Dans le péché de malice, l’ignorance et l’erreur sont pratiques : mais elles ne sont point dues au trouble éphémère de la passion, elles tiennent au désordre permanent de la volonté. Elles sont donc plus grandes que dans le péché de passion que nous venons de dire. Elles sont plus grandes même que dans le péché de passion allégué par saint Thomas : en celui-ci, il est vrai, on ignore actuellement de toute façon que l’on fait mal, on le sait en celui-là : néanmoins, le sachant tel, on l’estime préférable au bien reconnu, ce qui est une erreur plus grande que de prendre ce mal pour un bien. Cf. Cajétan, In I am -II’B, q. lxxviii, a. 4. Où l’on voit quelles précisions demandait la théorie de Socratc. mais aussi que tout péché comporte bien une imprudence, comme l’enseigne formellement la II » - II", q. lui, a. 2. On peut voir làdessus Billuart, op. cit., diss. V, a. 8, qui ajoute que,