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PÉCHÉ ORIGINEL. LA CONTROVERSE PÉLAGIENNE


nécessaire pour éclairer le progrès du dogme et de la théologie du péché originel.

Avec Pelage et Augustin, s’avivent et s’opposent entre elles, au sein du christianisme, deux tendances fondamentales de l’esprit humain, en face de la révélation : l’une, traditionnelle, profondément religieuse, celle de saint Augustin, qui s’appuie sur l’Ancien Testament, l’Évangile, saint Paul et l’ensemble des Pères, qui insiste sur l’absolue souveraineté de Dieu, sur la conscience de la faiblesse humaine et l’incapacité du libre arbitre laissé à ses seules forces, et qui dès lors affirme la primauté de la grâce et du choix divin dans l’ordre du salut ; l’autre, celle de Pelage, naturaliste, rationalisante, qui voit surtout et met en relief la libre activité morale de l’homme et tend à émanciper, plus ou moins complètement, la volonté de l’emprise divine.

En opposition avec l’ensemble de la tradition chrétienne, qui proclame la déchéance coupable de tout le genre humain en Adam, particulièrement avec Augustin qui présente cette doctrine sous l’expression sévère de la théorie de la massa damnata, Pelage va nier radicalement la doctrine du péché, de la mort et de la faiblesse morale héréditaire. Cette opposition fondamentale va s’exprimer au cours de la controverse dans les axiomes antithétiques suivants :

Avec la tradition, Augustin a toujours dit : Adam a été créé immortel ; Dieu n’a pas voulu la mort ; celle-ci revêt dans l’humanité déchue un caractère pénal. Pelage, Célestius et Julien d’Éclane répliqueront tour à tour : Adam a été créé mortel ; qu’il péchât ou ne péchât pas, il devait mourir. Si le genre humain meurt, ce n’est point à cause de la mort ou du péché d’Adam ; de même, si nous ressuscitons un jour, nous ne devons pas ce privilège à la résurrection du Christ.

Augustin affirmait que le péché d’Adam n’a pas nui qu’à lui seul, mais au genre humain tout entier. Pelage lui opposait ceci : le genre humain n’a été nullement lésé par le péché d’Adam. Les enfants qui viennent au monde sont dans l’état où se trouvait Adam avant son péché. De gestis Pet., xi, 23, P. L., t. xliv, col. 334 : De peccato or/<L, xi, 12, t. xliv, col. 390. Cf. Marius Mercator, Liber subnot., præꝟ. 5, P. L., t. xlviii, col. 114.

Augustin affirmait dans l’homme déchu, à la suite de saint Paul, la puissance formidable de la concupiscence : celle-ci, débridée depuis le péché originel, rend sans cesse possible le péché renouvelé et en même temps propage, comme par contagion, le péché héréditaire. Pelage, au contraire, dans ses directives morales, enseignait l’énergie du libre arbitre, la confiance dans la permanence des forces dont Dieu l’avait doté à l’origine ; à la formule de saint Augustin : Da quod jubés, et jubé quod vis, il opposait l’axiome qui distingue dans l’acte libre trois choses : Posse in natura, velle in arbitrio, esse in ejjectu locamus. Il voulait bien faire hommage de la première au Dieu créateur, mais il revendiquait comme dépendant de l’homme seul le pouvoir et la gloire de vouloir efficacement le bien et de le faire : Primum illud, id est posse, ad Deum proprie pertinet, qui illud creaturæ suæ contulit ; duo vero reliqua, hoc est velle et esse, ad hominem referenda sunt, quia de arbitrii fonte descendunt. Ergo in voluntate et opère bono laus hominis est. De gratia Christi, I, iv, 5, t. xliv, col. 362. Julien d’Éclane, enfin, en arrivait à définir le libre arbitre comme une émancipation de la volonté humaine par rapport à Dieu, en vertu de laquelle l’homme a la possibilité de commettre ou de repousser le péché : Liberlas arbitrii qua a Deo emancipatus homo est, in admittendi peccati et abstinendi a peccato possibililale consistit. Contra Julian. opus imperf., i, 78, t. xlv, col. 1102.

Tandis qu’Augustin affirmait avec la tradition que

les enfants non régénérés par le baptême étaient exclus du droit am bonheur du ciel, les pélagiens, avec leur distinction nouvelle entre le royaume des cieux et la vie éternelle, en arrivaient à dire que le baptême n’était pas nécessaire pour obtenir la seconde, mais seulement pour entrer dans le premier. De gestis Pel., xi, 23-21, t. xliv, col. 333-334.

Tandis qu’Augustin proclamait l’absolue nécessité de la grâce pour former la bonne volonté, les pélagiens prétendaient qu’avec le secours purement extérieur de l’instruction et de l’exemple, les hommes pouvaient être sans péché, s’ils le voulaient. Avant la venue du Christ, il y avait des hommes sans péché et la Loi conduisait au royaume des cieux comme l’Évangile. Ibid.

Pour nier ainsi la déchéance et la culpabilité du genre humain à la suite de la faute d’Adam, Pelage osait en appeler aux épîtres de saint Paul ; il entendait la mort qui est entrée dans le monde à la suite du péché d’Adam de la mort spirituelle. Adam n’a causé la mort corporelle pour personne. Il n’a causé la mort spirituelle que pour ceux-là seuls qui imitent sa prévarication. Il n’a d’influence sur ses descendants que par son mauvais exemple. Cf. Alex. Souter, The earliest lai. commentaries on the Epistles o/ St. Paul, Oxford, 1927, et Pelagius’expositions of thirteen Epistles oj St. Paul, dans Texts and sludies de J.-A. Robinson, t. ix, fasc. 1, introduction, 1922 ; fasc. 2, texte, 1926.

De ce coup d’oeil rapide sur les articulations maîtresses de la pensée de saint Augustin et de celle de Pelage, il résulte que, en face du danger que faisait courir au christianisme le naturalisme du moine breton, l’Église, pour défendre son dépôt, « ne pouvait trouver un organe mieux préparé que saint Augustin, ni plus apte à sentir ce qu’avait de faux la nouvelle hérésie. Contre ce naturalisme dur et orgueilleux, tout son être devait se révolter, lui dont l’âme était si humble, chez qui le sentiment de la corruption humaine et la conscience de ce que la grâce avait fait pour son salut étaient si profonds et dont le coeur aspirait avec tant de force à s’unir intimement à Dieu. Tixeront, op. cit., t. ii, p. 449. De là son rôle hors de pair dans le développement du dogme du péché originel, de là encore la signification unique, dans l’histoire de ce dogme, de son entrée en lutte contre Pelage. Cf. J. Mau>bach, Die Ethil ; des hl. Augustinus, t. ii, Fribourg, 1906, p. 139. Il n’a pas eu, comme on l’a prétendu à diverses reprises, à inventer le dogme du péché de nature, mais à trouver les formules et les arguments convenables. Il a senti et réalisé, avec une maîtrise incomparable, la tâche providentielle qui s’imposait : démontrer par une argumentation en forme la perpétuité de la foi au dogme contesté, en la rattachant à ses sources profondes, Écriture, témoignage des Pères et des liturgies, données de l’expérience ; faire consacrer par l’autorité des papes et des conciles les précisions doctrinales qui s’imposaient, s’employer enfin à étudier le rôle obscur et discuté de la concupiscence dans ses rapports avec la constitution même du péché originel, sa transmission et ses funestes conséquences. Au moment où les intuitions révélées de saint Paul sur l’universalité du péché et sa source en Adam, sur l’absolue gratuité de la grâce et sa nécessité pour le salut étaient gravement menacées par l’hérésie, il lui fut donné de revivre génialement les expériences de l’Apôtre et de les formuler avec une force et une puissance inégalées jusque-là dans l’Église. Voyons sous quelle forme s’est développé le témoignage d’Augustin, de 412 à la fin de sa vie, dans la controverse pélagienne.

2° Précisions doctrinales des conciles et des évêques (412-418). — Dès 411, le pélagien Célestius était condamné par un concile plénier de Carthage ; il s’obsti-