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PÉCHÉ ORKiINKL. DOCTRINE DE S. AUGUSTIN


en possession de la justice et de l’immortalité. » Contra iliius epist. pelag., i, H, 5, t. xi.iv, col. 552. Sur l’objection d’après laquelle saint Augustin aurait enseigné dans ses derniers ouvrages que l’homme dans la chute a perdu le libre arbitre, cf. art. AUGUSTIN, t. i, col. 2404. Sur le caractère et la capacité du libre arbitre dans l’homme déchu, voir les pages lumineuses d’Ét. Gilson, op. cit., p. 190, 191, 198-210.

Ainsi l’homme déchu est dans l’incapacité de recréer par ses seules forces les choses divines qu’il a perdues : la justice et la sainteté. De lib. arb., II, xx, 54, t. xxxii. col. 1270 ; III, xvii, 17-58, col. 12941295 ; De natura et gratin, xxiii, 25, t. xuv, col. 259 ; Enarr. in psal., xciv, 10, t. xxxvii, col. 1224 : Noli pulare quia potes a le refici. A te deficere potes, tu teipsum reficere non potes ; Me refait qui te fecit.

Pour rétablir l’ordre et recréer la puissance du mérite, il faut la grâce, et la foi elle-même est déjà le fruit de la grâce. Aussi, « sans la foi, les œuvres qui paraissent bonnes se changent en péché, attendu qu’il est écrit : tout ce qui ne vient pas de la foi est péché ». Conl. duas epist. pelag., III, v, 14, t. xliv, col. 598.

Est-ce à dire que les bons sentiments, les actions vertueuses quelconques, même les sentiments héroïques, sont absents de l’âme des infidèles ? Non ; mais ces vertus, d’ailleurs stériles, quoiqu’elles ne soient pas faites sous l’influence de la grâce « des fds », sont encore un don de Dieu. Sur cette question, cf. art. Augustin, t. i, col. 2386-2387, et Mausbach, op. cit., t. ii, p. 258-294. D’ailleurs, ces actions qui paraissent des vertus, à raison de leur objet matériellement bon, deviennent autant de vices du fait que l’homme n’a pas, en les faisant, l’intention qu’il devrait avoir et ne les rapporte pas à Dieu. Cf. De civ. Dei, XIX, xxv, t. xli, col. 656 : quod non possint ibi verse esse virtutes, ubi non est vera religio ; ibid.. XXI, xvi, col. 730 ; De spiritu et litt., xxviii, 48, t. xliv, col. 230 ; De nupt., i, ni et iv, col. 415 ; Cont. Jul., IV, iv, 33, col. 755 : Omnia proinde cœtera quæ videntnr inter homines habere aliquid laudis… scio quia non ea facit voluntas bona ; voluntas quippe infidelis atque impia non est bona.

b) Cette transformation en mal de la nature déchue n’implique point la complète destruction de celle-ci. — En condamnant la nature, Dieu ne lui enlève pas tout ce qu’il lui a donné, autrement elle cesserait d’être. L’image imprimée dans l’âme du premier homme n’est pas à restituer, mais à restaurer par la grâce. Puisqu’effacée, viciée, déformée, infirme, elle n’est pas détruite, mais à réparer : « Si grande nature soit-elle, l’âme a pu être altérée, parce qu’elle n’est pas la nature souveraine ; mais, tout altérée qu’elle soit, parce qu’elle est capable de la nature souveraine et peut en devenir participante, c’est une grande nature. » De Trinit., XIV, iv, 6, t. xiii, col. 1040 ; cf. A. Gardeil, La structure de l’âme et l’expérience mystique, t. i, Paris, 1927, p. 207-213. Voir l’éloge de cette grande et belle nature toujours rationnelle, quoique entachée parce que déchue, De civ. Dei, XXII, xxiv, 2, t. xli, col. 789 : Non in eo tamen penitus extincta est quædam velut scintilla rationis, in qua factus est ad imaginem Dei, et tout le développement qui suit, col. 789-792. Il faut voir là comme autant de vestiges d’un ordre détruit, des ruines dont la subsistance rend une restauration possible, et que Dieu conserve à cette fin. Et. Gilson, op. cit., p. 190. Mais, pour accomplir cette restauration, il faut au libre arbitre déchu le secours de Dieu : Ex qua miseria libérât Dei gratia quia sponte homo, id est libero arbilrio, cadere poluit, non eliam surgere : ad quam miseriam juslæ damnationis perlinel ignorantia et di/Jicultas, … nec ab isto malo, nisi Dei gratia, quisquam liberatur. Retract., i, ix, 6, t. xxxii, col. 598.

En résumé, nécessité de mourir, ignorance, souffrances de la vie, concupiscence, libre arbitre incapable de se relever et de mériter, telles sont les tristes conséquences que la faute d’Adam a introduites dans le monde présent et dont seule la miséricorde divine peut nous relever par sa grâce, tout en nous laissant l’infirmité de la concupiscence et l’ignorance comme épreuve salutaire.

c) Dans l’autre vie : La faute originelle a pour suite à elle seule, en principe, de faire du genre humain, une massa damnationis condamnée aux supplices de l’enfer ; seuls sont sauvés ceux que la miséricorde divine sort de cette masse et qui sont baptisés.

A affirmer la condamnation dans le sens de privation du ciel, pour tous ceux qui n’ont point été régénérés, et ainsi soustraits aux conséquences du péché d’origine, saint Augustin n’est qu’un écho de la tradition catholique : mais il lui appartient en propre d’avoir inclus en cette damnation, à raison du seul péché originel, des peines positives. Ceci apparaît dans ce qu’il dit des enfants morts sans baptême. Par réaction contre Pelage qui mettait ceux-ci dans un lieu de repos et de salut, il affirma que, puisqu’ils étaient exclus du ciel, et n’étaient point arrachés à la puissance des ténèbres, il fallait qu’ils allassent au feu éternel. Op. imperL, III, 199, t. xlv, col. 1333 ; de même, Cont. Jul., VI, iii, 6, 7, col. 824 ; Serm., ccxciv, 3 ; De pecc. mer., i, xxviii, 55. Déjà du fait de la privation du ciel, ces enfants souffriront une grande peine, car c’est une très grande souffrance à une image de Dieu que d’être exilée loin de lui. Contra Jul., III, iii, 9, t. xliv, col. 706. Relativement aux peines de ceux qui auront ajouté d’autres péchés au péché originel, leur peine sera « la plus douce de toutes ». Ench., 93, t. xl, col. 275. Augustin n’oserait pas dire que ces enfants doivent subir une peine telle qu’il serait préférable pour eux qu’ils ne fussent pas nés, attendu que le Seigneur n’a dit cela que des grands pécheurs. Cont. Jul., V, xi, 44, t. xliv, col. 809.

De cette théorie, on a dit justement qu’elle est vraiment trop dure. Elle est la conséquence logique d’une conception encore confuse et exagérée de la nature et du degré de notre culpabilité originelle. Il faudra les analyses de saint Thomas sur le caractère purement privatif du péché originel pour ramener les conséquences de celui-ci dans l’autre vie à la privation de la vision béatifique. Cf. art. Limbes, col. 761 sq. ; J.-B. Kors, op. cit., p. 22.

En attendant, si l’on veut un tableau synthétique des conséquences du péché d’origine, dans cette vie comme dans l’autre, d’après saint Augustin il faut la demander au passage classique de l’Enchiridion (421) : « Exilé à cause de son péché de ce lieu de délices, le premier homme, par sa faute, a souillé en lui toute sa race comme dans sa racine et l’a entraînée avec lui dans la mort et dans la damnation. Ainsi, tous les hommes qui, par la voie de la concupiscence charnelle, devaient naître de lui et de sa compagne, instrument de son péché et compagne de sa condamnation, comme elle avait été complice de sa désobéissance, tous les hommes devaient contracter en naissant le péché originel par lequel, à travers des erreurs et des douleurs de toutes espèces, ils seraient entraînés au dernier supplice sans fin, avec les anges déchus, leurs corrupteurs, leurs maîtres et les compagnons de leur malheureux sort. C’est ainsi, dit l’Apôtre, que, par un seul homme, le péché est entré dans le monde, et par le péché, la mort, et que cette mort est passée à tous les hommes par celui par qui tous ont péché. » Ench., 26-27, t. xl, col. 2-15.

Conclusion. — De cette analyse du témoignage de saint Augustin touchant la doctrine du péché originel, il résulte que le rôle du grand docteur fut hors de pair