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PÉCHÉ OH [GINEL. SAINT THOM s


eux-mêmes ont conservé les biens naturels qu’ils avaient avant le péché. Il est donc manifeste que cette première soumission <le la raison à Dieu était un don Mil liai II ici..i I a ; q, XCV, a. 1.

Aussi ne s’étonne-t-OIl point de lire. In II"’" Seul., dist. XXXI, ([. i, a. 2, ad : ’.'"", le passage suivant : " Dieu aurait pu, au commencement, quand il créa l’homme, taire un autre homme du limon de la terre et le laisser à la condition de sa nature, en sorte qu’il fût mortel, passible, exposé aux luttes de la concupiscence contre la raison : cet homme n’aurait été lésé dans aucun de ses droits, car tout cela découle de ses principes constitutifs. »

C’est inspiré par ces mêmes principes que saint Thomas soutient que la fonction génératrice, avec le plaisir qu’elle comporte, n’était nullement en opposition avec la perfection que comportait l’état d’innocence : Absolute loquendo, major delectatio coïtus fuisset in primo statu quam etiam modo sit ; sed secundum proportionem ad ratio ne m fuisset mullo minor : quia ratio in suo actu fortiter persistens delectationi penitus dominaretur et ideo non fuisset superabundans vel jervens delectatio sicut modo est. In 1 Ium Sent., dist. XX, q. i, a. 2, ad 2um.

Il est donc manifeste, pouvons-nous conclure d’après ces principes, avec J.-B. Kors, « que saint Thomas ne connaît pas une nature pure sans la concupiscence ; celle-ci est une imperfection naturelle ; la concupiscence ne pourrait être dite contre nature qu’improprement, en ce sens qu’une domination totale de la partie inférieure de l’âme par la raison et la volonté serait plus convenable et plus juste. Mais elle ne découle pas des propres principes de la nature. » Op. cit., p. 109.

C’est dans le même sens qu’il faut parler, selon lui, de la mort et de l’ignorance. Si l’une et l’autre peuvent être dites par lui contre nature, c’est improprement, en ce sens qu’il convient mieux à la nature complexe de l’humanité à raison de sa partie supérieure de ne point connaître ces défauts naturels. De malo, q. v, a. 5.

Tels sont les principes d’un sage optimisme qui dominent toute la doctrine thomiste de la justice primitive et du péché originel. Ils ne sont point contredits par certaines expressions comme languor naturee et habitus corruptus : celles-ci doivent s’entendre relativement à la nature concrète telle qu’elle est sortie des mains de Dieu. A côté du langage philosophique très précis, saint Thomas continue parfois à employer le langage concret de saint Augustin. Le contexte montre toujours clairement dans quel sens on doit entendre les mots ; il n’y a de ce chef aucune incohérence.

La nature du péché d’Adam et d’Eve.

Pour saint

Thomas comme pour saint Augustin et ses disciples, la chute s’explique par un péché d’orgueil.

Étant donné l’état de justice primitive, la concupiscence était totalement soumise à la volonté aussi longtemps que celle-ci restait ordonnée à Dieu ; la faute originelle ne pouvait donc d’abord consister dans la poursuite désordonnée d’un bien sensible : il reste qu’elle consistât dans la recherche désordonnée d’un bien spirituel que Dieu avait défendu à nos premiers parents d’atteindre. Cette recherche excessive, démesurée pour eux, c’était un péché d’orgueil. II a -IIæ, q. clxiii, a. 1.

Saint Thomas se demande ensuite en quoi consiste le bien spirituel indûment poursuivi par Adam. Ce que celui-ci désira, ce fut d’acquérir par lui-même une ressemblance avec Dieu. Il ne pouvait être question d’une similitude d’égalité (similitude omnimodæ wquiparantiie ) car un tel désir eût été le fait d’un insensé ; il désira seulement la similitude d’imitation (similitudo imitationis). Il voulut ressembler à Dieu d’abord par le discernement du bien et du mal, en croyant

pouvoir, par les forces de sa propre nature, déterminer ce qu’il est bon et mal de faire. Il voulut aussi lui ressembler sous le rapport de la puissance en se donnant lui même, comme I >ieu, par s ; i propre force, le bonheur. Il lui était impossible d’ailleurs d’obtenir cette double ressemblance par lui-même en dehors de Dieu. Son péché, comme celui du démon, fut un péché d’indépendance absolue à l’égard de la raison éternelle, de Dieu législateur et un relus d’appel a sa toute-puissance aimante, toujours nécessaire cependant pour nous faire partager son bonheur éternel. Ibid. a. 2.

Ce premier péché d’orgueil, en séparant la volonté de Dieu, détruisit l’harmonie originelle et permit à la concupiscence de s’affirmer : peccatum guise derivalum est ex peccato superbis. Ibid., a. 1, ad 2 uni.

De la nature de ce péché d’orgueil découli vite, immense en raison de la perfection de l’état d’où Adam et Eve sont tombés, à raison aussi des conséquences qu’il a entraînées pour la nature tout entière. Voir ibid., a. 3. Ce péché d’orgueil commun a Adam et à Eve offre cependant, au point de vue de la gravité, des nuances notables dans chacun de nos premiers parents. Ibid., a. 4.

Cette explication de saint Thomas interprète magistralement la parole de la Genèse : Eritis sicut dii ; elle fait écho au commentaire profond qu’en avait donné saint Augustin. De civ. Dei, XIV. xiii. 2, P. L., t. xli, col. 421. Aussi est-elle devenue classique dans la théologie postérieure. C’est, dans la ligne de la tradition, l’explication théologique qui nous donne l’idée la moins inadéquate, semble-t-il, de la gravité du péché d’origine.

La transmission du péché d’Adam et d’Eve.


1. Ses preuves.

a) Les révélations précises de la foi.

— Pour saint Thomas comme pour la tradition catholique tout entière, le fait de la transmission du péché d’Adam est une vérité de foi. Aussi en cherche-t-il la preuve dans les sources de la révélation, la grande réaction doctrinale de l’Église contre l’erreur pélagienne, et dans l’usage révélateur de l’administration du baptême aux petits enfants : « Selon la foi catholique, il faut admettre que le premier péché du premier homme passe originellement à la postérité. C’est à cause de cela que les petits enfants eux-mêmes, aussitôt nés, sont portés au baptême comme devant être lavés de la souillure d’une faute. C’est la d ailleurs le contraire de l’hérésie pélagienne, comme on le sait par saint Augustin dans un très grand nombre de ses livres. » I a -Ilæ, q. lxxxi, a. 1.

C’est dans le Contra génies, t. IV, c. L, que l’on trouvera rassemblées et mises en valeur par saint Thomas, selon les ressources de l’époque, les preuves traditionnelles tirées de l’Écriture ou des usages de l’Église en faveur de la transmission du péché originel.

Il en appelle d’abord au texte de la Genèse portant sentence de mort sur l’humanité. Gen.. H, 15-17. De la nécessité de mourir qui n’est pas d’institution divine, il déduit l’existence en ceux qui sont soumis ;  : la mort, d’un état pénal, et donc aussi coupable. Puis il en vient aux textes plus significatifs de l’épître aux Romains, v, 12, où il montre qu’il ne peut être question d’une propagation par imitation. Il en appelle enfin aux textes devenus traditionnels : Ps. i.. 7 : Job, xiv, 4, qu’il cite d’après la Vulgate ; à l’usage du baptême aussi dont il éclaire le sens par le texte de Joa., ni, 5 : Nisi quis renatus fuerit ex aqua et Spiritu sancto non potest introire in regnum Dei. « Manifestement, remarque R. Bernard, op. cit., p. 326, il rapporte là les principes mêmes de sa théologie, les choses qui font autorité aux yeux de sa foi. Et, comme ces documents ne sont pas seulement énumérés, mais interprétés par lui, il nous est loisible de voir là l’ébauche de la théologie positive sur laquelle