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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 12.1.djvu/255

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PÉCHÉ ORIGINEL. LE DÉBUT DU XlVe SIÈCLE

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n’est pas autre ehose que de le tenir comme indigne d’entrer dans cette familiarité surnaturelle que possèdent ceux qui le voient.

Ainsi, Pierre Auriol donne-t-il celle notion descriptive du péché originel : habitualis rebellio appetitus sensitivi universaliter ad rectam rationcm, privation justitiee et obedientiæ ejusdem appetitus n Deo primis parentibus generose rollatie, offensiva, displicens et odibilis divinæ majestati. Truclutus Pétri Aureoli, c. 11, ibid., p. 15.

4e conclusion. — La cause du péché originel ce n’est pas la génération naturelle comme telle, c’est la concupiscence qui accompagne cette génération. Repère., p. 118.

5e conclusion. — La justice originelle avait son siège là où est maintenant la rébellion, dans l’appétit sensible. La raison en est que la justice originelle ce n’était pas la grâce sanctifiante qui soumettait la volonté à Dieu, mais un liabitus qui produisait l’obéissance d’un appétit inférieur à la volonté : elle ne pouvait donc résider que dans cet appétit. Ibid., p. 125.

6e conclusion. — Le péché originel est imputé à tous ceux qui descendent d’Adam par voie de concupiscence, parce que toute la nature existant en lui, au moment où il a péché, a en quelque sorte consenti au péché avec lui. Après avoir défini, dans la 7e conclusion, ce qu’est la conception, notre auteur déclare intactes et raisonnables les conclusions de son premier livre. Il y affirmait que Dieu, de potentia ordinata, a pu préserver la vierge Marie de la contagion du péché originel, qu’il y avait une très haute convenance à ce qu’il le fît, qu’en fait, sans péril pour la foi, on pouvait tenir qu’il l’a préservée ; mais qu’à croire cela il n’y avait aucune nécessité de foi, jusqu’à ce que l’Église ait défini ce qu’il fallait tenir. Tractatus, c. ni, iv et v, p. 35-78.

On remarquera la sagesse de la note théologique qu’il donne à la pieuse croyance au moment où il la défend de toute son âme.

Par l’ensemble de sa doctrine sur le péché originel, Pierre Auriol est un continuateur de la théologie augustinienne dans la forme qu’elle avait prise alors avec Henri de Gand. Encore va-t-il plus loin que le Docteur solennel dans la façon exclusive dont il définit le péché originel par un état de l’appétit sensible. Celui-ci avait mis le siège de ce péché dans la volonté ; Pierre Auriol ne veut le voir que dans la partie sensible de la nature déchue où il retentit davantage par ses mouvements contraires à la raison ; aussi ne définit-il l’état d’opposition à la volonté divine, en quoi il place l’essence de ce péché, que par la souillure positive de la concupiscence. Malgré ce caractère positif, le péché originel n’entraîne pourtant, à ses yeux, qu’une peine privative : la perte de la vision béatifique. Tract., c. ii, p. 45.

5. Les ermites de Saint-Augustin.

Plus encore que

dans la famille franciscaine, qui devait se rallier à la conception anselmienne et thomiste avec Duns Scot et les « modernes », les idées augustiniennes sur le péché originel allaient surtout pénétrer et se répandre dans la famille des ermites de Saint-Augustin. On les trouve fortement accusées chez les deux maîtres de l’ordre, tous deux théologiens, en vue de l’école égidienne au milieu du xive siècle ; Thomas de Strasbourg († 1357), et Grégoire de Rimini, « le Docteur authentique » († 1358).

Pour Thomas de Strasbourg, dans son Commentaire des Sentences, le péché originel est bien une culpa naturalis et non simplement un reatus pœnic ; la privation de la justice originelle n’en constitue pas l’essence, mais plutôt une conséquence. L. II, dist. XXXII-XXXIII, a. 1. Le péché naturel, transmis par les sources de la vie à tout enfant d’Adam, c’est la

concupiscence, le /ornes, cause de chaque péché actuel. Ibid., dist. XXXV-XXXVI, a. 2.

C’est la même doctrine que l’on retrouve chez son successeur comme maître de l’ordre, Grégoire de Rimini : par réaction contre les modernes », qui font, selon lui, la part trop large aux forces de la nature déchue, dans la poursuite de la moralité et du salut, il prône le retour à saint Augustin et tient que le pélagianisme est toujours l’erreur fondamentale à redouter, dont il faut attentivement se garder.

Le péché héréditaire est plus qu’un reatus, plus qu’un dommage ou une peine, c’est une mauvaise habitude positive de l’âme qui naît en celle-ci, non de Dieu, mais par le fait de la concupiscence qui accompagne la génération. C’est la carnalilas, le vilium concupiscibilitatis per quod homo inclinatur ad aclualiter concupiscendum. In 7/um Sent., dist. XXX-XXXIII, q. i, a. 2. Elle a son siège dans l’âme, s’y manifeste par de multiples désirs ou actes mauvais, mais elle ne vient pas de l’âme : causatur in ea ex carne. Telle est l’essence du péché originel : libido, est vitium illud, quod dicitur peccalum originale. Ibid., q. ii, a. 3. Grégoire en appelle à Paul et à Augustin pour le prouver.

Sous le règne de ce péché héréditaire, personne, selon lui, ne peut, par ses propres forces, faire un acte moralement bon. Thomas de Strasbourg l’avait déjà redit. In II™ Sent., dist. XXVI-XXVII, a. 3 : dist. XXVIII-XXIX, a. 1. Avec lui. contre les « modernes », Grégoire affirme que, pour un acte bon, il faut plus que l’inlluence générale de Dieu, le pécheur ne peut mériter ni de congruo, ni, à plus forte raison, de condigno, ni la grâce sanctifiante, ni une grâce actuelle. C’est l’enseignement des Pères. Ibid., dist. XXVI-XXVIII, q- i, a. 1 ; l’affirmation du contraire serait du pélagianisme. Ibid., a. 2. Avec Augustin on doit dire : Talia opéra inftdelium, opéra, qux virtuosu et laudabilia videntur, vere esse peccala et punienda. …esse viciosa et mata moraliter. Voir Seeberg, Lehrbuch der Dogmengeschichte, t. iii, 4e éd.. Leipzig, 1930, p. 771-774 et 734-736. Avec le docteur d’Hippone. aussi, Grégoire de Rimini maintient que le péché originel entraîne un supplice sensible pour l’enfant dans la géhenne. On le dira pour cela sans doute torlor parvulorum. Voir Noris, Vindiciæ augustinianæ, ni. 5, P. L., t. xlvii, col. 630, 652. Il n’admet point, en vertu de la théorie de la propagation du péché par la libido, l’immaculée conception. Ibid., dist. XXX-XXXIII, q. ii, a. 1. Enfin, avec le Maître, il déclare que la grâce, loin de nuire à la liberté, lui donne son efficacité : In qua tamen actione ipsa (voluntas) mm necessitatur, sed instrumentum liberuni existens, in cujus potestate est sequi motionem primi agentis. juratur, ita ut agat quod non sic adjuta nequaquam agere potuisset. Ibid., dist. XXIX, q. i, a. 3. C’est ainsi qu’au milieu du xive siècle, en face des > modernes », qui faisaient très large la part des forces de la nature dans la question du salut, Grégoire de Rimini se faisait le témoin de l’augustinisme strict : il rappelait ainsi fortement la faiblesse de l’homme déchu sous le règne de la concupiscence, et aussi la nécessité de la grâce pour rendre à la volonté sa vraie et efficace liberté.

La critique rationalisante.

 A l’opposé du courant

augustinien, au sein même de l’ordre dominicain, à côté du large courant thomiste, apparaît au début du xive siècle, un courant de criticisme aventureux qui reçoit son impulsion de Durand de Saint-Pourçain († 1334) : « L’énorme écart entre la théorie de Durand et celle de saint Thomas d’Aquin a suffi aux admirateurs et fidèles disciples de ce dernier pour s’opposer de toutes leurs forces aux doctrines du novateur dans le but de maintenir et de faire prévaloir renseignement de Thomas. Il a surgi de cette manière dans l’ordre dominicain, en matière de doctrine sur le