Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 12.1.djvu/261

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
507
508
PÉCHÉ ORIGINEL. LA FIN DU XV « SIÈCLE


la privation de la justice dans le péché originel. Biel tient ces trois définitions comme substantiellement identiques, différentes seulement d’expression. Ibid., q. ii, a. 1, DE.

Ce qu’il y a de certain et d’admis par tous les docteurs, c’est l’existence du fomes ou concupiscence, qui est lié, de fait, à celle du péché originel ; toute la question est de savoir s’il est la partie matérielle de ce péché ou s’il en est seulement la suite : l’une et l’autre alternative sont également probables. Ibid., dist. XXX, q. ii, concl. 5.

Comme Biel, Altenstaig ne voit, dans les divergences d’opinion de saint Anselme et du Maître des Sentences, touchant la définition du péché originel, qu’une différence verbale et non fondamentale : magis disputatio de nomine quam de re. Op. cit., art. Peccatum originale, fol. 235 v°. Pour ces deux interprètes de la théologie commune, à la veille de la Réforme, le péché originel consiste essentiellement, dans les fils d’Adam, en la privation de la justice, c’est-à-dire de l’harmonie intérieure qu’ils devraient posséder, et dans la condamnation, de ce chef, aux peines de la vie et à la privation de la vision béatifique.

Les forces et les faiblesses de la nature déchue.


1. Dans la vie présente.

Ici comme ailleurs, le théologien de Tubingue, soucieux de rester fidèle aux décisions de l’Église, a soin de marquer ce qui est défini et ce qui est objet de libre discussion. II sait que l’erreur à éviter sur ce point est le pélagianisme qui negavit grattée neccessilatem et libero arbitrio tribuit gratiam et vitam eeternam merendi facultatem. In II*™ Sent., dist. XXVIII, q. un., A.

Mais, en dehors de cet écueil, que tous dans l’Église doivent éviter, il sait qu’entre docteurs il y a différentes opinions libres sur la question des forces morales du libre arbitre dans la nature déchue. Il en distingue trois : l’augustinisme de Grégoire de Rimini, la doctrine de saint Thomas, et de saint Bonaventure, enfin celle d’Occam à laquelle il se rallie.

a) L’augustinisme de Grégoire de Rimini, dont Biel fait un résumé substantiel, est bien caractérisé par ces mots : parum tribuit libero arbitrio. Dist., XXVIII, q. un., A. Notre auteur sait que certains attribuent les mêmes idées à Gerson : De vita spirituali animée. Mais il se taît sur l’importance et la diffusion de cette opinion à cette époque.

Nous savons aujourd’hui que les idées de Grégoire de Rimini se perpétuaient au sein de son ordre ou chez des théologiens similaires disciples des augustins. Sur l’école augustinienne des xve et xvie siècles, voir art. Luther, t. ix, col. 1198-1203.

b) Beaucoup plus sage, plus mesurée dans l’appréciation des puissances morales de la nature déchue, apparaît à Biel l’opinion de saint Thomas, Ia-IIæ q. cix, et celle de saint Bonaventure, In 77um Sent., dist. XXVIII : Beatus Thomas videtur temperatius loqui. Le Docteur angélique atteste que l’âme déchue a besoin doublement de la grâce pour lui donner la faculté de mériter et pour remédier à ses faiblesses naturelles. Laissée à elle-même, elle peut toutefois faire beaucoup de bien moral, mais non point tout ce qu’aurait fait la nature intègre ; en particulier, elle ne peut aimer Dieu par-dessus toutes choses. Elle peut éviter les péchés mortels, mais non pendant longtemps. Ibid., dist. XXVIII, q. un., B.

Biel résume ainsi fidèlement la position de saint Thomas, sauf en ce qui concerne la préparation à la grâce ; il n’y a pas de doute : saint Thomas requiert pour cela non seulement le concours général de Dieu, mais aliquod auxilium gratuiium Dei, interius aniniam moventis sive inspirantis bonum proposilum. En ces questions délicates Biel ne veut pas, avec raison, qu’on ignore les positions légitimes de saint Thomas et

de saint Bonaventure ; il les adopte en partie, mais, a la suite d’Occam et de Scot, il fait plus confiance encore que ces deux docteurs aux forces morales de la nature déchue. Ibid., C D.

c) Il oppose les principes optimistes d’Occam au pessimisme de Grégoire de Rimini. Dist. XXVIII. a. 2-3 ; cf. art.No.MiNALisME, col. 770-772, etC.Feckes, Die Rechtfertigungslehre des Gabriel Biel, Munster. 1925, p. 30-39.

Selon ces principes, la connaissance religieuse naturelle est relativement facile et universelle. Dist. XXVIII, q. un., a. 2, concl. 4. La connaissance surnaturelle des vérités de la foi est nécessaire pour le salut, mais Dieu, en dehors des voies ordinaires de la révélation, sait, par des moyens extraordinaires, atteindre les âmes de bonne volonté. In IIIum Sent.. dist. XXV, q. un., a. 2, concl. 1-2 ; In II"", dist. XXII. q. ii, a. 3, dub. i.

En face des difficultés morales de la vie et des tentations, l’homme déchu n’est pas totalement désarmé. Exposilio canonis missee, lect. 78. Il peut accomplir quelque œuvre moralement bonne. In //>" » Sent., dist. XXVIII, q. un., a. 2, concl. 1 ; il peut même, après une chute, écarter un péché nouveau, concl. 2 ; il peut aussi accomplir la substance des préceptes divins, mais d’une manière stérile pour le salut. Concl. 3.

A ne retenir que cet aspect de l’enseignement de Biel, on méconnaîtrait toute la complexité de sa pensée. II a dit jusqu’alors les possibilités de la nature en général, il a marqué les limites maxima jusqu’où elle peut aller. Mais il sait que, dans le concret de la vie individuelle, bien des obstacles et des difficultés l’empêchent souvent, en fait, d’aller jusqu’au bout de son pouvoir.

Les prières ne sont donc pas vaines et inutiles : elles sont d’abord utiles pour donner une efficacité salutaire à des actes qui ne l’auraient pas par eux-mêmes. Dist. XXVIII, q. un., a. 3, dub. n. Elles servent aussi à nous obtenir la grâce d’accomplir avec facilité ce que nous aurions pu, à la rigueur, à nous seuls, accomplir avec de grandes difficultés. Biel décrit alors, avec finesse, toutes les difficultés de la vie morale dans l’âme déchue : erreurs de l’intelligence, jouissances de la sensualité, difficultés provenant de l’entourage. Quoi qu’on en ait, la volonté est blessée, inclinée au mal dès l’adolescence, d’où l’utilité de secours divins habituels ou actuels pour la volonté. Autrement, elle retomberait sur elle-même dans un égoïsme impuissant. Aussi, conclut-il, il ne faut jamais cesser de prier. Ce qui justifie la prière, ce n’est pas seulement l’incapacité absolue de notre nature déchue par rapport au bien surnaturel, c’est aussi la faiblesse réelle de cette nature par rapport au bien moral ; c’est surtout la liberté miséricordieuse de Dieu qui dispose de notre vie éternelle.

2. Dans l’autre vie.

Biel reconnaît avec la tradition que l’état des enfants morts sans baptême est un état de culpabilité et de pénalité. Mais, comme il n’y a pas d’enseignement exprès de l’Écriture et de la tradition sur le caractère de la peine éternelle attachée au péché originel, on discute, dans l’École, sur la modalité de cette peine.

Selon une opinion, attentive surtout aux exigences sévères de la justice divine, les enfants non baptisé » seront condamnés au feu éternel, moins durement cependant que ceux qui ont péché actuellement. Selon une autre opinion plus douce, celle de Scot et de Bonaventure qui se présente encore sous des nuances variées chez ses défenseurs, ou bien les enfants seront dénués de toute connaissance et n’éprouveront aucune douleur, ou bien ils auront conscience de leur état et en souffriront, ou bien, enfin, ils seront exempts de