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PÉCHÉ ORIGINEL. CONDAMNATION DE BAIUS


résistance positive, elle domine notre volonté, nous rend coupables ». P. 23.

Telles sont les suites lâcheuses de la doctrine de Baïus en ce qui concerne la triste corruption des infidèles et même des baptisés. Son optimisme radical touchant l’état normal de l’homme l’entraîne à un pessimisme condamnable touchant l’état de la nature déchue.

II. LA COSDAMNATIÇN P/ : BAIUS ; PROGRÈS QU’ELLE AMÈNE DANS LA NOTION DU PÉCHÉ ORIGINEL. — La portée de l’acte de Pie V condamnant Baïus est très considérable. Tandis que le décret du concile de Trente avait surtout visé, en parlant le langage théologique des Pères, a rappeler les principaux points de la doctrine ancienne, souvent dans les termes mêmes de Cartilage ou d’Orange, l’acte de Pie V fait état contre Baïus des progrès dans l’élargissement des points de vue, et dans la précision des concepts et des expressions auxquels avaient abouti six siècles de réflexion théologique.

1° Un premier progrès s’affirme dans la condamnation <le l’optimisme radical de Baïus touchant l’idée de l’homme normal. — Depuis longtemps était posée devant les esprits la question de l’idée qu’on doit se faire de l’homme : l’état naturel et normal de l’homme, suivant la conception catholique, est-ce celui d’Adam innocent ? Faut-il compter parmi les exigences imprescriptibles de la nature humaine normale, telle que Dieu doit la créer, l’amitié divine, l’exemption de la mort, la soumission parfaite des appétits inférieurs à la raison, ou bien faut-il tenir cette perfection de la nature telle que Dieu l’a réalisée en Adam comme un pur effet de sa libéralité ? Dieu eût-il pu créer l’homme mortel, passible, connaissant la lutte de la chair contre l’esprit, sans manquer à la sagesse et à la justice, tout en étant moins libéral que, de fait, il ne l’a été ? Si oui, faut-il dire que l’état d’Adam n’était pas proprement l’état normal dû à l’homme, mais un état privilégié surnaturel ? — Depuis longtemps, la théologie de l’École avait répondu avec saint Thomas à cette question en distinguant l’homme tel qu’il aurait pu être par sa constitution et ses exigences naturelles, et l’homme tel qu’il devait être selon l’intention divine, tel qu’en fait il a été réalisé en Adam ? Pie V a consacré cette distinction entre nature et surnaturel en condamnant les propositions 21 à 24 de Baïus qui méconnaissaient le caractère privilégié et surnaturel de l’état primitif. Dieu aurait donc pu créer l’homme tel qu’il naît maintenant. L’homme déchu, abstraction faite du péché, possède donc ce qui lui est strictement dû. Adam n’a donc perdu, pour lui et pour nous, que ce qui dépassait les exigences et les aspirations raisonnables de notre nature.

En condamnant Baïus sur ce point, l’Église n’at-elle point frappé un principe fondamental de la tradi tion, celui qui est à la base de la théologie de saint Augustin ? Quoique certains augustiniens du Moyen Age aient pu paraître tenir l’état d’Adam comme l’état normal exigé par la vocation naturelle de l’homme, il y a des raisons de penser que Baïus a reproduit trop littéralement l’évêque d’Hippone. Selon le grand docteur, en effet, nous l’avons vii, aussi bien dans les Jîclractaliones que dans le De libero arbilrio (lequel, il est vrai, est bien antérieur à la controverse pélagienne et orienté dans un sens tout différent), la condition de l’homme sujet à l’ignorance aussi bien qu’à la difficulté (concupiscence), est assez bonne pour avoir pu être, si Dieu l’avait voulu, sa condition native. Ci-dessus, col. 375.

Nous ne prétendons pas, certes, que saint Augustin ait été préoccupé comme le Moyen Age de définir ce que l’essence métaphysique de l’homme peut avoir impliqué comme appartenant à la nature de droit :

]. « point de vue auquel il se place est, en quelque sorte, historique et purement de tait, Dieu a créé l’homme dans un certain état de nature ; s’il l’eût créé dans un autre état même inférieur, c’eût été un autre état de nature, l’un comme l’autre n’étant, en fin de compte, qu’un don gratuit de Dieu. » Et. Gilson, op. cit., p. IX. Mais nous pensons qu’entre son point de vue et celui de saint Thomas et de Pie Y. affirmant la po bilité de l’état de nature pure, il n’y a pas absolue contradiction. Mieux vaudrait parler d’un progrès dans la clarté des notions et d’un élargissement du point de vue.

2° Un deuxième progrès s’affirme par le maintien du caractère volontaire dans la définition du péché même originel : celui-ci ne peut être confondu avec le fond des tendances mauvaises ; il suppose toujours une relation morale avec la volonté d’Adam. — En prétendant que la nature et la définition du péché sont indépendantes de la volontariété de l’acte, que le péché originel est un vrai péché, cela sans aucune relation à la volonté d’où il tire son origine, Baïus, à la suite de Luther et de Calvin, dissociait malice morale et caractère volontaire de l’acte, transposait le centre de la vie morale delà volonté dans le domaine des tendances, confondait celles-ci, qui sont indifférentes, avec le péché originel, et se mettait dans l’impossibilité pratique d’expliquer la disparition complète du péché au baptême : Pie V, par la condamnation des propositions 46-49, maintenait la claire doctrine traditionnelle qui définit le péché par un rapport avec la volonté.

C’était déjà la doctrine de saint Augustin en plusieurs endroits de ses œuvres, particulièrement De nuptiis et concup., t. II, c. v : Per unius illius voluntatem malam omnes in eo peccaverunl.Xoir nombreux textes cités dans J.-B. Kors, op. cit., p. 16-20.

C’était, en tout cas, celle de saint Thomas, In // « m Sent., dist. XXX, q. i, a. 2 ; dist. XXXIII, q. ii, a. 1, ad 2um ; Sum. Iheol., I a -IIæ, q. lxxxi, a. 1. C’était aussi celle de ses disciples et ce sera celle de docteurs de Louvain dans leur déclaration de 1586. c. vu : « Ce qu’on appelle péché originel ne serait pas péché s’il n’était pas volontaire, le volontaire appartenant à la notion et à la définition du péché ; cependant, il n’est pas ici volontaire de par la volonté propre soit habituelle, soit actuelle de l’enfant lui-même ; il l’est par la volonté de notre premier père. Mais il est absolument impossible qu’il soit vraiment péché, indépendamment de tout égard et de toute relation à la volonté d’où il tire son origine. Rien ne peut être péché qu’il ne soit volontaire ; et pour qu’il soit proprement volontaire, il faut qu’il sorte de la volonté et soit au pouvoir de la volonté. » Baïana, p. 171 ; voir art. Baïus, col. 94. Telle est la doctrine que Pie V met en valeur en condamnant les idées opposées de Baïus.

On en conclura de prime abord que les mouvements spontanés de la concupiscence, indépendamment de toute relation morale avec le péché d’Adam, ne peuvent d’aucune façon s’identifier.comme le prétend Baïus avec le péché originel. C’est le sens de la condamnation des propositions 50, 51, 75. Cette condamnation ne t’ait que préciser encore ce que le canon 5 du décret de Trente sur le péché originel avait déjà établi. Celuici avait déclaré contre Luther que le baptême enlève tout ce qui est vraiment et proprement péché ; il avait allirmé que la concupiscence dans les baptisés ne reste que comme matière à lutte salutaire pour nous exciter à la victoire ; elle n’est donc point illicite en ses mouvements spontanés, ni transgression des préceptes divins, comme le prétend Baïus. En condamnant les propositions de Baïus sur la concupiscence. l’Église ne fait que ramener un docteur catholique à cette doctrine traditionnelle de son canon 5, dont elle