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    1. PÉCHÉ ORIGINEL##


PÉCHÉ ORIGINEL. LE RATIONALISME CONTEMPORAIN

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Le lecteur tant soit peu critique n’aura pas de peine à déceler l’invraisemblance et l’intempérance de telles négations. Oui, Estius reconnaît la diversité des sentiments dans la tradition au sujet de la nature du péché originel, mais, pas plus que le concile de Trente et les Pères du Val ican, il ne s’en étonne. Il sait avec eux distinguer entre dogme et théologie et confesser la liberté des opinions sur les points non définis par l’Église. Oui, Petau a affirmé le silence relatif des Pères grecs sur les rapports de Marie avec le péché originel et il a donné de ce fait l’explication suivante : « Cela tient à ce que les Grecs n’ont, dans leurs écrits, parlé que rarement et obscurément du péché originel. » De incarnalione, c. xiv, n. 2. Mais, outre que son affirmation est discutée, même telle qu’elle est, elle ne va pas contre l’immutabilité substantielle du dogme, mais suppose seulement un progrès de l’implicite à l’explicite dans l’intelligence de la vérité traditionnelle.

Oui, le P. Garnier, dans sa dissertation III, De fide Theodoreli, reconnaît qu’à l’époque de Théodore t, la doctrine du péché originel n’était pas très claire chez les Grecs, les témoignages qu’Augustin est allé prendre chez eux ne prouvant guère par eux-mêmes qu’une chose, à savoir que la mort est entrée dans le genre humain comme peine du péché d’Adam. Toutefois, ils reçoivent un puissant supplément de force du principe d’Augustin d’après lequel toute peine est précédée d’une faute. Voir son texte dans P. G., t. lxxxiv, col. 440. Garnier ajoute même, dans ses dissertations sur Pelage, que chez les Latins on ne trouve la croyance au péché originel, avant saint Augustin, qu’enveloppée de ténèbres. On ne songeait guère, à cette époque, à formuler une pensée précise. Voir P. L., t. xlviii, col. 669.

C’est à l’étude objective des textes de la tradition grecque et de la tradition latine de dire dans quelle mesure on peut accepter ces affirmations des deux savants jésuites du xvir 8 siècle. Mais, même prises dans leur sens littéral, ces affirmations n’entraînent point les conséquences qu’en tire J. Tunnel. Ces savants auraient à coup sûr rejeté l’interprétation suivante de cet auteur : « Personne, avant saint Augustin, ne pensait que l’enfant, qui, en venant au monde, subit la peine de la faute de notre premier père, hérite aussi de son péché. Voilà ce que disent, en se complétant l’un l’autre, les deux plus savants jésuites du xviie siècle, Petau et Garnier. Estius nous enseigne que le dogme du péché originel a été transformé par saint Anselme ; à l’école de Petau et de Garnier, nous apprenons qu’il a été créé par saint Augustin. » Op. cit., p. 9.

Bref, c’est un rationalisme outrancier qui exaspère et exagère, chez M. Tunnel, toutes les difficultés tirées de la variété des témoignages traditionnels. Le théologien catholique n’a point à nier, mais à constater la variété réelle des témoignages touchant la doctrine du péché d’origine ; mais il méconnaîtrait tout un aspect des choses, si, sous la variété superficielle des points de vue ou des opinions, il ne montrait la continuité substantielle d’une même doctrine et le développement de l’intelligence du dogme dans la conscience de l’Église.

IV. LES OBJECTIONS TIRÉES HE LA PHILOSOPHIE.

— Derrière les conclusions négatives des sciences nouvelles (paléontologie, anthropologie, exégèse, histoire du dogme) se cache toute une philosophie rationaliste qui les inspire. Celle-ci oscille entre un optimisme naturaliste et un pessimisme foncier, l’un et l’autre exagérés ; elle rejette l’idée d’une solidarité dans le mal au nom du principe de l’autonomie de la conscience et de la responsabilité individuelle. Elle critique enfin le dogme du péché originel au nom des idées qu’elle se fait de la justice et de la bonté de Dieu.

1° Entre l’optimisme exagéré el le pessimisme outré.

— 1. Le mythe du progrès indéfini. — Le progrès incessant des sciences naturelles, grâce à l’hypothèse évolutionniste, a amené bon nombre d’esprits à faire de l’idée évolutionniste le principe suffisant de l’explication du monde et de l’homme. « L’évolutionnisme a paru rendre compte, avec une merveilleuse aisance, des complications croissantes de la matière, de la vie, de la pensée. Il suffit donc d’étendre cette loi de tous les faits au fait religieux. "Diction, apol., art. Religion, col. 878.

Ainsi va se développer, au xix c siècle et au commencement du xxe, en continuité avec l’optimisme du xviiie siècle, un double courant d’optimisme progressiste, naturel et nécessaire, à base d’immanentisme évolutionniste : le courant idéaliste avec Kant, Fichte, Hegel, el le courant naturaliste avec Auguste Comte, Spencer et Marx. Quelle que soit la formule de ces systèmes, loi métaphysique des trois états de Hegel : thèse, antithèse, synthèse, loi positive des trois états de Comte : théologique, métaphysique et posftif, loi économique des trois états de Marx : féodalisme, bourgeoisie, prolétariat, dans toutes ces théories naturalistes se retrouve l’idée du progrès, nécessaire et absolu, par la voie d’un principe ascensionnel purement immanent.

Pour les esprits séduits par cet évolutionnisme optimiste et cet immanentisme absolu, le monde tel que le voit l’esprit moderne n’a pas l’air chrétien. Ces esprits s’opposent à l’idée d’une création immédiate de l’âme, de son élévation à un état surnaturel, de la chute et de la rédemption. L’hypothèse d’un état primitif de perfection, suivi d’une déchéance générale de la race, leur paraît incompatible avec l’idée d’un progrès nécessaire et continu.

Tout s’explique dans l’évolution de l’homme, pensent-ils, d’un point de vue nécessaire, sans intervention capricieuse de Dieu, par un développement purement interne. Aussi l’humanité a dû se dégager lentement de l’animalité pure pour s’élever petit à petit à la barbarie prélogique des formes religieuses et morales les plus élémentaires, les plus grossières, jusqu’aux formes actuelles.

On s’explique de même, dit-on, la concupiscence d’une façon plus rationnelle que dans l’hypothèse de la chute : c, L’homme primitif, ignorant et sans idées, livré à l’orage incessant de ses appétits et de ses instincts, qui n’étaient que les forces de la nature déchaînées en lui, ne s’est élevé que lentement à l’idéal… Et, dans cette lente conquête, où l’humanité essaie de dépouiller ce qu’il y a d’inférieur en elle, les instincts primitifs, qui sont bien une tache originelle, reparaissent à tout instant, indélébiles, quoique affaiblis, pour nous rappeler non une chute, mais le peu d’où nous sommes partis. » Th. Ribot, L’hérédité psychologique, 5e éd., Paris, 1894, p. 342. Même conception dans F. R. Tennant, art. Original Sin dans Encyclopedia of religion and elhics, t. ix, p. 564.

En résumé, pour les tenants de cet optimisme naturaliste exagéré, la perfection n’est pas à l’origine, mais devant nous au terme de l’évolution.

2. Attitude critique en face de l’optimisme exagéré et tendance au pessimisme. — L’optimisme progressiste absolu et contraire à la vérité catholique est loin de s’imposer à tous les esprits en dehors de l’Église. Le xxe siècle, surtout depuis la Grande Guerre, par une réaction des esprits les plus lucides contre cette doctrine, oriente les idées dans le sens d’une critique qui fait passer les âmes de l’extrême optimisme du siècle passé, au pessimisme plus ou moins extrême que l’on peut aisément constater.

Renouvier, dès la fin du xixe siècle, et au commencement du xx°, critique fortement la doctrine du progrès inévitable. Le personnalisme, nouv. éd., Paris,