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PÉCHÉ. NATURE ET MALICE


aussi est dénoncé le péché. Autre chose cette relation, autre chose la privation. Celle-ci afïecte le sujet en lui-même, privé de sa forme convenable ; là, on signifie une relation de l’acte humain à sa mesure, par rapport à laquelle il est dit discordant. Cette considération n’est point superflue, s’il est vrai que l’acte humain essentiellement est mesuré, et ne peut pas ne pas soutenir quelque rapport avec sa mesure. Jean de Saint Thomas, notamment, a signalé cet aspect du péché : Cursus theologicus, in I am -II » 8, disp. IX, a. 2, n. 3, 26.

Que le péché comporte une malice privative, cette proposition a reçu l’assentiment de la plupart des théologiens, encore que tous n’entendent pas cette privation de la même manière. Vasquez est. de ceux qui la refusent, le plus notable. Commentariorum ac disputationum in I& m.jjse s. Thomæ, t. i, Venise, 1608, disp. XCV, c. vi. Pour les péchés contraires seulement à la loi positive, il en convient. Mais comment, dit-il, seraient frappés de privation les péchés contraires à la loi naturelle, comme l’homicide par exemple. Il n’y a privation que là où était due la forme contraire. Comment soutenir qu'à l’acte d’homicide était due une bonté morale ? Loin de la requérir, cet acte y répugne, semble-t-il, par tout ce qu’il est. — Non par tout ce qu’il est. répondent les thomistes. Il y a en lui une exigence de rectitude, à savoir en tant qu’il est raisonnable : procédant des puissances humaines, il requiert d'être mesuré sur la raison. Quoi qu’il en soit de son objet, du côté de ses principes il emporte une requête, et donc il est capable de privation. Jean de Saint-Thomas, loc. cit.. a. 3. n. 8 sq. ; Salin., loc. cit., disp. VI, dub. i. §. 2. A cause de ce dissentiment, dont nous n’avons rapporté que la raison principale, Vasquez définit le péché selon la discordance d’avec la loi, dont nous avons parlé, mais qu’il entend comme une dénomination extrinsèque de l’acte mauvais, non comme une relation réelle. Ibid., c. ix-x.

5° Mais le péché comporte aussi une malice positive.

- En la privation d’abord se découvre le péché. Il

n’a pas été dit qu’elle constituât le péché, à plus forte

raison qu’aucune autre malice ne se trouvât dans le

péché.

De fait, une tradition théologique considérable reconnaît dans le péché, outre la privation, une malice positive : cet acte est mauvais par ce qu’il est. non seulement par ce qu’il n’est pas. L'école thomiste, en ses plus éminents représentants, a vigoureusement défendu cette opinion, qu’elle revendique comme celle de saint Thomas lui-même.

On cédera d’autant mieux à leurs raisons que la thèse d’une malice positive dans le péché n’a point le caractère déconcertant et paradoxal qu’on serait enclin dès l’abord à lui attribuer. L’analyse de l’acte moral j semble devoir conduire infailliblement : on peut du moins tenter de le montrer.

Il est vrai que l’action naturelle n’esl mauvaise

que par privation. Car elle procède d’une forme défectueuse. In agent débile donne une action indigente. lue forme intègre garantit l’action bonne (nous ne retenons pas le cas des empêchements extérieurs, qui est ici sans intérêt). L’action volontaire n’a point cette simplicité, t ne forme intelligible la détermine, non une forme naturelle. D’où la multiplicité spécifique des aitinns procédant d’une même volonté. De ces formes intelligibles, qui sont les Jugements selon lesquels la volonté- se meut et le reste avec elle, les unes sont vraies, les autres fausses ; celles la respectent la règle de raison, relies ei l’enfreignent, Mais, dans les <leu cas. l’on agit et l’action est. dans les lieux cas. pourvue de tous ses éléments. Mauvaise ou bonne, elle

possède un objet, des circonstances, une lin. également réels et positifs. Ils sont concordants à la raison dans un cas. ils sont discordants d’avec elle dans l’autre I <<

celui-ci, il n’en va pas comme si l’action atteignait quelque chose de ce qui lui revient, laissant échapper le reste : où elle serait bonne selon ce qu’elle est, mauvaise seulement selon ce qu’elle n’est pas. Ainsi sont les actions procédant d’une forme naturelle défectueuse, mais non l’action volontaire, qui procède d’une forme intelligible, et dont le défaut raisonnable n'ôte rien à l’intégrité de l’action. Il est impossible dès lors que celle-ci ne soit mauvaise même en ce qu’elle est. Elle est bonne, certes, de bonté transcendantale ; et peut-être adviendra-t-il que des péchés l’emportent sur les bonnes actions pour l'énergie volontaire et la vigueur intellectuelle qui s’y déploient, pour l'être donc et la bonté. Mais, comparée à la raison, c’est-à-dire moralement considérée, cette action est mauvaise. Constituée comme elle est, elle est contraire à la raison. Sa malice est une contrariété, et non seulement une privation. Il est constant que, dans le genre moral, le mal est le contraire du bien et non seulement la privation du bien. Le mal s’y vérifie positivement. Il est une chose dans la nature. Le mal absolu, qui s’oppose à l'être, ne peut consister que dans la privation : car l'être n’a point de contraire. Mais le mal moral s’oppose à la règle de raison, et celle-ci souffre d’avoir des contraires. On dit de même que, dans le genre moral, le mal donne lieu à des espèces et non seulement à des privalions d’espèces. Et c’est dire que le mal y sonne positivement, si l’on peut parler ainsi. Nous ne méconnaissons pas que cette malice positive doive aboutir à une privation ; mais elle se vérifie comme malice avant toute privation, dans la contrariété à la règle de raison.

Cette conception d’une malice positive dans le péché a conduit les théologiens qui la défendent à avouer une équivocité entre le mal absolu et le mal moral, parl’endroit où celui-ci est positif. Absolument, le mal signifie la privation du bien dû ; moralement, il signifie tantôt la privation du bien dû à l’acte humain, tantôt l’acte contraire à l’acte bon. Absolument, le mal n’est rien ; moralement, outre ce même sens, selon lequel le mal moral est une partie subjective du mal en général, il y a un mal qui est quelque chose, d’où ressort l' équivocité. Cajétan. In /""-/L q. xviii, a. 5, n. 2 ; cf. q. i.xxi. a. 6, n. 3. On ne peut songer à réduire le mal moral positif à un genre commun qui comprendrait et ce niai, et celui de la privation : car il ne peut y avoir aucune convenance entre l'être et le non-être ; de l’un et de l’autre on ne peut rien abstraire qui leur soit commun. Salin., loc. cit., disp. VI, dub. m. n. li) ; dub. iv. n. 96.

Contre la thèse que nous venons d’adopter, le principal argument des adversaires, outre les textes de saint Thomas qu’ils entendent mal. se tire d’une considération extrinsèque : savoir que nous engageons Dieu dans le péché dès là que nous y mettons un mal qui est de l'être. Comment refuser que Dieu en soit l’auteur ? Nous examinerons cette difficulté ci-dessous. VI, les causes du péché. Elle n’est pas décisive. Les théologiens dont nous nous réclamons l’ont connue et

réfutie

6° Des deux malice » considérées, la positive < (institue formellement le péché. Deux malices donc dans le

péché, nulic la relation de discordance. De celle ci. Vasquez a fait le constitutif du péché. Mais il niait la malice privative. Pour nous, qui la requérons, nous

tenons la discordance eonime un élément Consécutif : parce que l’acte est constitué mauvais, il est aVl mesure en un rapport île discordance. Jean de Saint Thomas, toc. Cit., disp. I.. a. '_'. n. 26. Mais entre les deux malices que nous avnus décelées, laquelle cous

liiue l’acte humain formellement comme péché ' (eux

qui refusent la malice positive n’ont pas ici emh : iM i Mais les thomistes, el Cajétan des premiers, ont in-