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PÉCHÉ. DISTINCTION SPÉCIFIQUE

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propres préoccupations et à leur technique. Elle s’y prête fort bien. Saint Thomas l’entend proprement comme une définition du péché, ayant d’une parfaite définition toutes les qualités. Elle s’applique à tout le défini. Car elle exprime les deux éléments du péché qui est d'être un acte humain, et désordonné. Disons même, pour notre compte, qu’elle exprime le désordre d’une manière qui convient bien à la constitution que nous avons reconnue au péché. Elle contient le péché d’omission en tant que la négation se réduit au même genre que l’affirmation : dictum emporte non dictum, etc. Par ailleurs, il n’y a, dans cette définition, rien de superflu ; elle a l’avantage de manifester que le péché, conçu dans la volonté, se réalise aussi en actes extérieurs. Elle est une définition morale, se référant à cette loi, antérieurement à laquelle il n’y a pas de mal ; non une définition juridique, qui laisserait échapper le mal non prohibé par la loi positive. Elle est enfin une définition digne de la théologie puisqu’elle oppose le péché non à la règle dérivée de l’action humaine, mais à sa règle absolue et éternelle. Il n’est donc que de méditer sur la formule de saint Augustin pour découvrir, en sa concision, l’intégrale analyse que nous avons laborieusement conduite et dont le terme enfin est ici touché.


III. La distinction des péchés.


1° la distinction spécifique des péchés ;
2° la distinction numérique des péchés.

Distinction spécifique.

1. Il y a des espèces de

péchés ; la distinction spécifique se prend de l’objet voulu. — Comme nous avons dit que la malice d’un acte humain, comme aussi sa bonté, a pour cet acte valeur formelle, ainsi les espèces de péchés signalentelles autant d’espèces d’actes humains. La question présente est seulement de découvrir selon quel principe de discernement opérer en espèces le partage des actes humains mauvais.

On ne peut guère hésiter qu’entre la privation dont ils souffrent et le bien où ils adhèrent. Pour nous, notre choix est fait, car, ayant reconnu que le péché, non moins que l’acte moral en généra), est constitué dans l’adhésion même à ses objets, nous devons aussi le diviser spécifiquement selon cette tendance positive qui le constitue. Maints théologiens le spécifient selon la privation. Soit, par exemple, Scot, In II" m Sent., dist. XXXVII, q. i : le pécheur, dit-il, pèche du fait qu’il accomplit un acte volontaire en désaccord avec la loi, et cet acte volontaire n’est péché que parce qu’il peut être d’accord avec la loi ; donc la raison précise du péché est la privation de la conformité de l’acte à la loi ; le péché est donc spécifié selon la privation. Mais Cajétan a répondu que cette analyse est incomplète, Ia-IIæ, q. lxxii, a. 1 : car elle considère dans le péché son caractère d’acte volontaire, abstraction faite de sa qualité morale, et la privation dont cet acte souffre ; mais, entre les deux, n’y a-t-il pas la tendance vers un objet positif, où l’acte volontaire trouve déjà sa qualité morale et se constitue comme péché? Nous croyons que l’objet de l’acte est le principe de spécification qui convient à la nature du péché.

Pour saint Thomas, dont l’enseignement exprès rencontre cette conclusion, il énonce le présent problème à partir de cette donnée que deux éléments concourent à la raison même du péché, savoir l’acte volontaire et son désordre. Cette dualité intrinsèque du péché est ce qui crée l’embarras. Car, s’il faut distribuer les péchés en espèces (et saint Thomas n’en doute pas un instant), il faut d’abord décider selon lequel des deux éléments on y procédera : traitera-t-on le péché, dans le cas, en tant qu’il est acte volontaire, ou bien en tant qu’il est désordre ? On voit l’originalité du problème que pose à saint Thomas la spécification du péché. Pour le résoudre, il invoque l’inten tion du pécheur. Elle porte directement sur l’acte du péché ; ce qu’il veut, c’est exercer tel acte en telle matière ; pour le désordre, il n’est voulu que par accident, en ce qu’il ne peut pas ne pas accompagner l’acte directement voulu. Donc, décide saint Thomas, il faut spécifier le péché en tant qu’il est acte volontaire, non pas en tant qu’il est désordre. Le recoins à l’intention du pécheur, qui est le principe de ce raisonnement, S’inspire de cette pensée que le péché est essentiellement volontaire ; il en faut juger selon ce que le pécheur a voulu. En le spécifiant selon son aversion, on trahirait, peut-on dire, l’intention du pécheur ; on saisirait le péché par l’endroit où il ne l’a pas commis : c’est dire que le pécheur ne ferait plus ce qu’il a voulu faire. Or, achève saint Thomas, c’est une règle commune que les actes volontaires soient spécifiés selon leurs objets : ainsi donc, selon leurs objets seront spécifiquement distingués les péchés. Cette conclusion rencontre la nôtre. On prendra garde qu’elle n’engage pas, telle que saint Thomas l’obtient, la question de la constitution du péché. On nous dit bien que le ma' reçoit ici son espèce de l’objet voulu, mais où est le mal ? Est-il dans la tendance positive vers l’objet ? est-il seulement dans la privation concomitante ? A supposer qu’il ne fût qu’en celle-ci, on comprendrait encore qu’il reçût sa détermination de l’objet même d’où il dérive. Nous faisons cette remarque en faveur de l’intelligence exacte de l’article de saint Thomas.

Les privations distinctes dont soutirent les divers péchés ne peuvent être que consécutives aux espèces diverses où, d’ores et déjà, ils se sont établis. A ce titre d’ailleurs, elles ne sont pas sans intérêt pour la spécification des péchés. Dire que le péché d’intempérance est spécifié comme privé du bien de la tempérance, c’est rencontrer la vérité : aussi bien est-ce encore, en définitive, recourir à un objet, celui de la vertu, selon lequel celle-ci est spécifiée. Mais cette façon de parler n’est point formelle et ne touche pas l’espèce du péché par l’endroit précis qui la fait telle. De plus (encore que saint Thomas ne l’exprime point en son article), on ne peut déterminer sur la seule privation l’espèce dernière du péché : il advient en effet qu'à une seule et même vertu s’opposent des péchés reconnus spécifiquement distincts, voire contraires entre eux, comme l’insensibilité et l’intempérance s 'opposant à la tempérance. Ces deux péchés privent l’un et l’autre du même bien : et. puisque les privations sont spécifiées selon la chose dont elles privent, ces deux péchés seraient de même espèce. Le cas s’en retrouve à propos de toute vertu comportant deux extrêmes contraires, c’est-à-dire à travers toute l'étendue de la vie proprement morale. Notre principe de spécification, l’objet voulu, permet seul d’introduire en cette matière du péché les derniers discernements, et avec la plus formelle rigueur. A l’intérieur même d’une seule espèce de péché, comme l’orgueil et la luxure, on n’appliquera pas un autre principe en vue de partager en espèces secondaires cette espèce principale.

L’objet spécifie le péché comme il spécifie l’acte humain. Or, on sait que la raison d’objet en cet ordre est applicable aux éléments intéressant la constitution de l’acte volontaire, à savoir la fin, et de certaines circonstances. La fin, poursuivie par le moyen de l’action immédiate, est objet d’intention volontaire comme cette action est objet d'élection : ce qui donne lieu à deux espèces morales, à chaque fois que l’objet de l’acte extéreur n’est pas de soi et selon sa nature propre contenue sous la fin poursuivie par la volonté : par exemple, voler en vue de forniquer. En ce cas, ces deux principes de spécification s’organisent en élément formel et en élément matériel : la fin. qui est principalement volontaire, ayant valeur formelle,