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PÉCHÉ. GRAVITÉ INÉGALE DES FAUTES


qui est l’accompagnement nécessaire de cette malice positive qui constitue le péché. Elle est faite du défaut de cela qu’eût mis dans l’acte la droite raison, mais nous en avons ci-dessus suffisamment débattu la nature.

Sur le plan même où il faut l’entendre, des théologiens ont néanmoins contesté la validité du raisonnement que nous venons de rapporter. Vasquez a dirigé contre lui une objection célèbre. Op. cit., disp. XCIX, c. ni ; cf. Salm., op. cit., disp. IX, dub. i, n. 3. La privation dont souffre l’acte mauvais ne laisse rien dans le sujet de la forme contraire. Il le prouve, car la forme opposée à la privation dont nous parlons est la rectitude et la bonté morale ; or, celle-ci est complètement détruite en quelque péché que ce soit, faute de quoi, cet acte serait à la fois bon et mauvais. Et, contre la démonstration de saint Thomas, ce théologien observe que ce reste de raison qui subsiste plus ou moins, mais nécessairement en tout péché, faute de quoi le péché se détruirait lui-même, n’est point la forme opposée à la privation dont on parle, mais son sujet, à savoir la substance de l’acte libre ; dès lors, qu’il y en ait plus, qu’il y en ait moins, cela ne fait rien à l’affaire et ne touche pas à la privation dont nous parlons.

Les thomistes ont tenté en plusieurs manières de justifier leur maître. Il fallait d’autant plus le faire que la propre position de Vasquez ne semble point satisfaisante. Selon ce théologien, l’on pourrait encore affirmer l’inégale gravité des péchés (et aucun théologien ne peut éviter de le faire), quand même la privation dont chacun est affecté serait absolue, car ces privations, égales en la raison de privation, seraient variables en la raison de mal, en tant qu’elles priveraient d’une perfection plus grande ; ainsi la privation de la vue est un plus grand mal que la privation de l’odorat, encore que l’une et l’autre soient des privalions absolues. Mais on voit aussitôt que cette expli. ut ion ne rend point compte des gravités inégales en la même espèce de péchés. Salmentic, op. cit., disp. IX, n. 19. La continuation que tire Vasquez des péchés d’omission tombe, si l’on avoue que dans une même espèce l’omission prise en elle-même n’est point susceptible d’inégalité. Ibirf., n. 21. Mais comment défendre le raisonnement de saint Thomas contre l’objection de Vasquez ?

Cajétan l’a tenté avant la lettre, quand il a expliqué ce raisonnement. On peut comprendre, dit-il, que le mal moral n’ôte point tout le bien opposé, en ce sens que tout acte, si mauvais qu’il soit, laisse subsister le rapport à la béatitude, donc au moins cette bonté morale commune. Ia-IIæ. q. XVIII, a. (i. Mais on peut chu tester que ce rapport a la béatitude, qui subsiste en elfet en tout acte libre, constitue une bonté morale et îKiii pas seulement une bonté physique ; de fait, Certains thomistes n’accordent pas cette thèse à Cajétan. (Cf. Salm., op. cit.. De bon. et mat. hum. ad.. dUp. Y. n. 4fi-47, éd. cit., t. VI, p. 118-110.) Négligeant quelques antres tentatives (voir ibid., tr. Dr ritiis et peccatis, disp. IX, n. 6-8). nous rapporterons les deux solutions qu’ont élaborées les Salmant icenses. et qui nous semblent sauver de la difficulté de Vasque/ la validité du raisonnement « le saint Thomas.

Selon ces théologiens (dont la subtilité n’< i pas superflue en ce difficile débat), la malice privative du péché s’oppose immédiatement non pas à la bonté

formelle del’acte humain, mais a ce qu’ils appellent

sa bonté fondamentale. Tandis que la boule formelle consiste en la tendance formelle de l’acte vers un objet actuellement réglé par la raison, la bonté fonda mentale consiste dans le contours et la convenance de

m lièrent s éléments : I' >bjet, la lin. les circonst qui, étant atteints librement et physiquement, ton

dent la bonté formelle ; plus brièvement, elle est la tendance physique de l’acte vers l’objet, etc., d’où va résulter la bonté formelle. Que ce mot de tendance physique ne fasse pas ici illusion : nous entendons bien que cette tendance physique a une valeur morale, car elle s’adresse à des termes en tant qu’ils sont réglés par la raison : elle est la tendance tombant sous la loi morale. On ne la confondra point avec la substance de l’acte libre, qui fait abstraction du bien et du mal, qui peut se vérifier plus parfaitement dans un acte mauvais que dans un acte bon. Nos auteurs prouvent leur proposition, savoir que la malice privative s’oppose immédiatement à la bonté fondamentale, non à la bonté formelle, par plusieurs raisons, dont la première est celle-ci : la malice privative doit consister immédiatement en la privation de cela que l’homme est tenu de mettre immédiatement en son acte ; or, il n’est tenu d’y mettre que la bonté fondamentale. La bonté formelle, en effet, n’est qu’un mode advenant à la substance de l’acte bon, résultant de cette bonté fondamentale que seule l’homme a le pouvoir de poser immédiatement. Disp. VI, n. 24-27.

Cette distinction établie et cette proposition prouvée, on réfute Vasquez en niant sa mineure, selon quoi la privation de rectitude dont souffre l’acte mauvais est une privation absolue. Car si, dans l’acte du péché, il ne demeure rien de la bonté formelle, il demeure et demeurera toujours quelque chose de la bonté fondamentale. Ce dernier point s’établit facilement. Il n’est point d’acte mauvais en effet dont soient corrompus tous les principes moraux concourant à le constituer : l’objet, la fin, les diverses circonstances : il y faudrait un hasard si peu probable ou une habileté si consommée que l’on peut tenir le cas pour chimérique. Mais concédons que l’événement n’en soit pas métaphysiquement impossible, et qu’il ne répugne pas absolument qu’un acte humain se rencontre qui soit corrompu universellement par tous ces endroits. Il en restera du moins un autre, qui sauve notre thèse Car en cet acte demeure sa relation avec la raison : or, nous pouvons dire que le fait même de procéder de la raison, et avec un regard à la raison, constitue une bonté fondamentale, celle-ci indestructible ; bien plus. sur ce rapport à la raison est fondée toute la bonté morale de l’acte, et à cause de ce rapport sont dus à l’acte objet, circonstances et fin bons : car, du fait que l’homme agit comme raisonnable, la loi de raison lui dicte d’agir avec un objet bon, etc., c’est-à-dire avec toute la rectitude raisonnable que demande la matière où il agit. Cf. disp. VI, n. 7. Ainsi subsistera-t-il, en tout acte humain, au moins cette bonté fondamentale, laquelle, au demeurant, est variable en sa raison de fondement de la bonté morale, selon qu’elle est conjointe à une plus ou moins grande malice. II. comme nous avons dit que la malice privative du péché s’oppose immédiatement à la bonté fondamen talc, on doil avouer que cette privation ne peut être absolue. Parla est réfutée la mineure de Vasques cl maintenu le raisonnement de saint Thomas. Disp. IX,

n. S- 12.

On dira peut-être c mitre cette solution qu’elle se détruil elle-même, car. ayant reconnu que la boule

formelle résulte de la bonté fondamentale, nos théons De doivent-ils pas avouer que tout péché relient quelque bonté formelle, selon ce qu’il retient Justement de boute fondamentale ? Mais la conséquence qu’on leur demande ainsi est vicieuse. des que se trouve Corrompu l’un des principes d’où vient

a l’acte s ; i moralité, les autres fussent Ils bons, lac te ne doit pas avoir lieu : s’il a lieu, il est formellement

mauvais. Il répugne a la droite raison cpie l’on fasse un

.(i i( (|ni lui suii c.mil.me par quelque point Nos théo

logiens ont démontré ailleurs que le même acte humain