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PLATONISME DES PÈRES. LA CRÉATION


hoc est ei fieri quod est agnoscere Verbum per quod fit. lbid., III, xx, 31. Fieri est agnoscere : c’est par la contemplation du Verbe qu’elle devient intelligence : contemplalione luminis lumen est. Confess., XIII, xv. 20, t. xxxii, col. 833. « Connaître et être formée (dans sa nature réelle), être créée donc, pour elle, c’est tout un…, explique le P. Gardeil, La structure de l'âme et l’expérience mystique, 2e éd., 1927, p. 176, 177. L’ordre ontologique coïncide pour saint Augustin avec l’ordre de l’illumination intellectuelle, quand il s’agit d’un esprit pur, c’est-à-dire qui n’est qu’esprit. Connaître, pour lui, c’est être, s L’objet intelligible imprime sa ressemblance dans la puissance qui en est capable et la conforme a soi ; il la produit ainsi comme esprit.

Il sullit de citer quelques passages de Plotin pour que se manifeste une étroite parenté. Le second Principe, quand il sort du premier, n’est pas intelligence mais une vision qui ne s’est pas encore exercée, ô(| » tç outoû ïSoûaa… Il n’est intelligence que lorsqu’il saisit son Principe, le voit, le connaît autant qu’il en est capable ; car alors il devient vision en acte, îSoùaa o’JHÇ toùto 8è YJ&7) voGç ; il n’est pas intelligence, tant qu’il n’a pas fait fonction d’intelligence, oùSè voùç, o’jttw vor)<raç, Enn., , iii, 11. Il est intelligence, lorsqu’il s’est tourné dans sa contemplation vers celui qui l’a fait et lorsqu’il l’a connu, £7uaTpxcpèv èv tîj 8sa xoà yviopîaav. Enn., VI, vii, 37. « L’Intelligence est une pensée qui voit en acte l’Intelligible, et qui le voit parce qu’elle s’est tournée vers lui, et qui reçoit de lui en quelque sorte son achèvement, car d’elle-même elle est indéterminée comme une faculté de voir, et c’est l’Intelligible qui la détermine : c’est pourquoi l’on dit que de la dyade et de l’Un viennent les formes et les nombres, c’est-à-dire l’Intelligence. » V, iv, 2.

4° Enfin, chez saint Augustin comme chez Plotin, la première créature n’est pas immuable par essence, mais elle reçoit une immutabilité d’emprunt, du fait de son indéfectible union à Dieu dans la contemplation : mutabilitatem suam prie dulcedine felicissimæ conlemplationis tuée cohibet, disent les Confessions, XII, ix, 9, t. xxxii, col. 829 ; ou encore : quia est idonea faciem tuam semper videre nec uspiam deflectitur ab ea, quo fit ut nulla mutât ione varictur. Confess., XII, xv, 21, col. 833.

De la même manière, l' Intelligence dans les Ennéades se porte sans cesse vers l’Un dont elle reçoit sans cesse ce qui la constitue, aspiration éternelle éternellement satisfaite. Si elle cessait par impossible de regarder vers l’Un, elle cesserait d'être l’Intelligence. Elle est ce qui contemple en acte.

C’est pour avoir appliqué cette analyse au Verbe de Dieu, qu’Origène s’est mis sur le chemin de l’erreur. Cf. ci-dessus, col. 2333 ; La Trinité et le platonisme. Saint Augustin en fait l’application aux anges. Ce qui est l’Intelligence première chez Plotin devient chez lui le Ciel, non pas le ciel matériel et changeant, mais, comme il dit, « le Ciel du ciel ».

5° La théorie de saint Augustin sur la nature rationnelle ou intellectuelle informe, et sur sa « formation » par la contemplation du Verbe divin, a paru étrange et surannée. Nous savons où il faut chercher ses origines. La doctrine platonicienne ici survivante n’est point celle de la participation aux formes séparées, que le docteur d’Hippone aurait corrigée, d’abord en professant que la matière, même celle des esprits, a été créée, ensuite, en plaçant en Dieu les Idées, qui cessaient ainsi d'être subsistantes. Gardeil, op. cit., p. 155, 158. Ces deux corrections avaient été faites déjà par certains platonici. C’est de Plotin, et non pas de Platon, qu’Augustin s’inspire. Il s’en inspire d’ailleurs librement, et ne craint pas de le modifier, pour supprimer les divergences avec la révélation.

IV. ADAPTATION DE LA ÙOCTBXSE NÊOPLA.TOBICIESNE DE LA CRÉATION CHEZ."A/AT AVGl’sTlN ET M' MOYEN AŒ, — 1° Chez saint Augustin. — Augustin était avant tout soucieux de rester fidèle à la sainte Écriture. Or, dans le récit de la Genèse, comme il le comprenait, il trouvait que la créature spirituelle qui sort des mains de Dieu n’est pas seulement formée dans sa nature d’esprit, mais à la fois dans la nature et dans la grâce. Sa « formation « contient son élévation au surnaturel. Il fallait donc projeter sur le plan surnaturel, si on voulait le conserver, le thème néoplatonicien de l’information par conversion et illumination. La première créature « reçoit sa forme, lorsquelle est tournée vers l’immuable lumière de la Sagesse, qui est le Verbe de Dieu ». « L’absence de forme (informitas) consiste pour elle à vivre d’une vie sotte et misérable, parce qu’elle s’est détournée de cette immuable Sagesse », mais alors une inspiration secrète l’invite à se retourner vers son Principe ; c’est comme un appel qu’il ne cesse de lui faire entendre : Quod Principium manens in se incommutabiliter nullo modo cessât occulta inspiratione vocationis loqui ei creaturæ cui principium est, ut convertatur ad id ex quo est, quod aliter formata ac perfecta esse non possil. De Gen. ad lilt., i, v, 10, P. L.. t. xxxi v, col. 250.

Les idées plot miennes subissent ainsi une transformation profonde : la matière ou l’informitas de la créature spirituelle n’est plus l’indétermination pure, mais une vie « quelconque », ballottée et comme flottante. L'élan qui la pousse à se compléter n’est plus un désir naturel ou une nécessité métaphysique, mais un appel auquel elle peut se dérober, une grâce. La perfection à laquelle elle tend n’est plus seulement l’achèvement de sa nature dans l’ordre de l’essence, mais un complément surnaturel, la vie dans la Sagesse et la béatitude, qu’elle reçoit par l’illumination du Verbe de Dieu. Si elle est informe, et elle peut l'être, c’est qu’au lieu de suivre l’inspiration divine, elle s’est détournée de la Sagesse, c’est une faute ; et la vie sotte dans laquelle elle flotte, misérable, est un châtiment.

Saint Augustin explique de cette manière le péché des anges : « De Celui qui est souverainement, les démons se sont détournés pour se tourner vers euxmêmes. » De civ. Dei, XII, vi, t. xli, col. 353. Ils avaient été créés non d’une façon quelconque pour une vie quelconque, mais illuminés pour vivre sagement et heureusement. Certains, pour s'être détournés de cette illumination, n’ont pas obtenu l’excellence de cette vie sage et heureuse ; ils ont cependant conservé la vie raisonnable mais sans sagesse, qu’ils ne pourraient pas perdre, même s’ils le voulaient, sed et rationabilem vitam licet insipientem sic habent ut eam non possint amittere, nec si velint. De civ. Dei, XI, xi, col. 327 ; De Gen. ad litt., IV, xxii, 39. et xxiv, 41 ; XI, xxiii, 30, t. xxxiv, col. 3Il et 441.

2° Au Moyen Age, les mêmes idées pénètrent chez Pierre Lombard et chez plusieurs de ses commentateurs.

1. D’abord Pierre Lombard au 1. II des Sentences, dist. II, parlant de la création des êtres spirituels et corporels, s’appuie sur saint Augustin et son Commentaire de la Genèse, pour affirmer que la matière des choses visibles et la nature des êtres invisibles a été créée par Dieu à la fois informe et formée : utraque informis fuit sccundum aliquid, et formata secundum aliquid. La nature spirituelle et angélique possédait la forme qui convient à sa condition et à sa nature ; mais la forme qu’elle devait ensuite recevoir, en se tournant vers son Créateur et en l’aimant, elle ne l’avait pas et par suite elle était informe : illam quam postea per amorem et conversionem ad Creatorem suum acceptura erat formam non habuit sed erat informis sine illa.