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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 12.2.djvu/671

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POUVOIR DU PAPE. DOCTRINES ACTUELLES


certaines époques, nous offre beaucoup d’exemples. Même au Moyen Age, malgré les interventions politiques des papes dans le gouvernement des États et en dépit de certaines conceptions théologiques, on ne peut pas dire que se soit généralisé, ni en fait ni en droit, l’exercice d’un pouvoir direct du souverain pontife sur le temporel. Revendiqué par des théoriciens, le pouvoir direct s’est difficilement acclimaté dans le domaine de la. pratique, et les plus religieux des souverains, un saint Louis par exemple, l’ont toujours contesté.

Il faut aller plus loin ; il faut reconnaître non seulement une réelle autonomie aux différentes techniques de l’activité humaine dans le domaine temporel, mais accorder cette autonomie à la politique même qui coordonne les techniques pour le bien de la cité terrestre, société parfaite. Et cela ne va point à rencontre de la subordination essentielle des fins ; cela s’accorde avec la souveraine discrétion de Dieu, cause première et fin dernière, à l’égard des causes secondes et des fins intermédiaires, comme aussi avec la distinction entre finis operis et finis operantium.

L’œuvre politique, en effet, a sa fin spécifique, qui est le bonheur temporel et collectif des hommes groupés dans la cité ; elle a ses lois à elle et ses méthodes propres. Autre chose est de s’interroger sur la conduite qui promet d’être le plus utile au bien terrestre de la nation, ce qui constitue un problème politique, et autre chose de se demander directement quelle est la convenance de tels ou tels actes avec l’inclination naturelle de leur agent vers sa fin dernière, le Bien suprême, ce qui est proprement un problème de morale, relevant du pouvoir spirituel. Il est évident qu’une forme de fiscalité ou de suffrage, une organisation du service militaire, une convention de désarmement ou un régime douanier posent des questions qui doivent être examinées et résolues selon des principes et des méthodes d’une technique politique vraiment autonome, régulatrice immédiate de sa propre activité. 3. Cependant, il ne saurait être question non plus de séparation et de séparatisme. L’Église a condamné cette doctrine. Le pouvoir temporel ne peut ignorer totalement le spirituel, parce qu’il ne doit ni méconnaître, ni négliger, ni opprimer les valeurs humaines et morales qui sont impliquées dans les intérêts par lui gérés et que, par ailleurs, il ne peut, d’aucune manière légitime, se dérober aux exigences du culte social, qui trouve sa réalisation historique dans l’Église. Et, quant à l’Église, comme Jésus-Christ, . qu’elle continue, répand et communique, elle est incarnée dans les réalités matérielles ; société visible, il lui faut utiliser des moyens visibles et temporels.

Il ne peut pas même être question de séparer, absolument et en tout état de cause, dans la pratique, l’activité surnaturelle, de l’activité naturelle, en réservant celle-ci à l’État, celle-là à l’Église : le citoyen qui vit et agit dans le cadre de la cité terrestre se trouve être en même temps un membre de l’Église, en lequel une surnaturelle activité se surajoute à l’activité naturelle qu’elle informe. De même donc qu’en chaque fidèle la grâce s’accorde à la nature qu’elle perfectionne, de même l’Église et l’État doivent s’accorder harmonieusement. L’homme, naturellement sociable et normalement destiné à être un citoyen, relève, comme tel, de la morale naturelle et surnaturelle qui règle les rapports de l’homme avec ses semblables ; d’autre part, la connaissance, l’estime et la recherche de la fin dernière, parce qu’elles fourniront une perception plus nette et plus complète de la condition humaine, permettent d’appliquer les principes et les méthodes politiques avec plus de compréhension vraie, de sûreté et de justesse, d’autant plus que l’élément le plus noble du bonheur collectif est la pratique de la vertu par l’ensemble des membres de la cité.

Applications pratiques.

C’est dans la complexité

de ces relations mutuelles que s’exercera le pouvoir de l’Église et de son chef.

1. Ce pouvoir embrasse toute cause et tout cas de conscience en matière politique ou sociale. Il consiste, soit à instruire à ce sujet les fidèles de leurs obligations religieuses et morales, soit à leur donner, au besoin, des directives d’action. Qu’il s’agisse de doctrines spéculatives ou de lignes de conduite daas la pratique, ce pouvoir a le droit d’imposer aux âmes non pas seulement de simples conseils, mais, s’il le juge bon, de véritables préceptes.

2. Il s’étend, du reste, à tous les fidèles, sans aucune exception, et quelle que soit la forme du gouvernement qui les régisse. Il s’adresse en premier lieu à ceux qui, détenant l’autorité, ont une responsabilité plus grande dans la conduite des affaires. Les chefs de peuples, les gouvernements, les magistrats, par le fait qu’ils ne peuvent rien soustraire au contrôle de la morale religieuse, sont soumis à ce pouvoir de l’Église et de son chef qui s’étend jusqu’aux actes de leur vie publique et qui peut, s’il y a lieu, blâmer, censurer ou condamner les abus, les excès, les déviations dont ils se rendraient coupables.

Ainsi le souverain pontife peut et doit réprouver et déclarer nuls et non avenus tel acte, telle législation, tel système contraires au droit naturel ou au droit positif divin ; ce faisant, il exerce encore un pouvoir direct dans l’ordre de la foi et des mœurs et, en définitive, en matière spirituelle.

3. Mais, par voie de conséquence, les choses temporelles elles-mêmes, si fréquemment mêlées aux spirituelles, pourront se trouver atteintes par les enseignements, monitions, condamnations ou censures de l’Église et de son chef. Cette atteinte, jusqu’où pourrat-elle être portée ? Évidemment, elle ne saurait s’étendre à une technique gouvernementale ou administrative, dès lors qu’en soi elle n’est pas contraire, formellement, au droit naturel ou surnaturel, à la morale humaine ou divine. Mais, en s’accommodant de tous les régimes politiques, le pouvoir ecclésiastique pourra, en des cas limités, s’exercer sur les mesures législatives ou administratives, pour les pénétrer d’esprit chrétien, pour les approuver ou pour les condamner.

4. Il faut y insister, cette autorité du pape demeure essentiellement religieuse, toujours, et alors même qu’elle atteint, accidentellement, indirectement, le temporel, en tant que le temporel peut intéresser le spirituel, en raison du péché à éviter ou à dénoncer, du bien des âmes à sauvegarder, de la liberté de l’Église à maintenir.

Il ne s’agit donc pas là d’un pouvoir distinct du pouvoir spirituel ; c’est le pouvoir spirituel même, c’est le glaive spirituel — pour continuer la métaphore un peu belliqueuse, empruntée à l’Évangile de paix — atteignant les affaires du siècle qui passe, à cause des intérêts éternels qui s’y trouvent engagés.

Il ne s’agit pas d’une juridiction spéciale sur le temporel, laquelle serait vaine sans un système correspondant de sanctions du même ordre, sans un pouvoir effectif de contrainte. L’Église, qui n’est pas une grandeur de chair, n’a de pouvoir réel que sur les consciences. Est-ce à dire qu’elle doit se restreindre au for interne, compris au sens le plus précis du mot ? Xon pas : l’Église et son chef disposent de sanctions canoniques, de censures diverses, qui sont encore des armes spirituelles, bien qu’elles atteignent le for externe.

L’Église pourra donc s’engager à fond dans cette voie, soit à l’égard des gouvernants, soit à l’égard des sujets ou citoyens. Par l’excommunication la plus sévère, s’il y a lieu, le pape pourra les contraindre à