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magistrat laïque, Gilbert Mauguin, rassemblait en 1650 les diverses pièces de l’affaire Gottschalk : Veterum auctorum qui ix sœculo de prædestinalione et gratta scripserunt opéra et fragmenta plurima mine primum in lueem édita, curn chronica et historica Synopsi, gemina disserlalione et pacifira operis coronide, 2 vol. in-4°, Paris, 1650. La deuxième dissertation annoncée par le titre figure au t. ii, p. 443-690 (2e pagination) sous cette rubrique : Vindiciarum prædeslinationis et gratiæ disserlatio altéra seu accurata « Historiæ prædestinatianæ » R. P. Sirmondi confutatio. L’ardent janséniste n’était pas tendre pour son adversaire, et, bien qu’il ne fût pas avare lui-même d’hypothèses peu rassurantes, il n’hésitait pas à mettre en cause la perspicacité du vieil historien : ex studio proprise sententiæ et sociçtatis zelo, dum libero nimis indulget arbilrio, ab humilitatis via evagatus, justo, licet secreto Dei judicio, in rébus etiam clarissimis tanli viri desideramus perspicaciam, p. 448. Nous sommes à l’avant-veille des Provinciales.

6° Le coup porté par Mauguin avait été dur. Dans le camp moliniste on se montrera désormais plus prudent. En 1655, le P. L. Cellot, S. J., reprend YHistoria Gottescalci prædestinatiani et accurata controversise per eum renovatæ disputatio, Paris, 1 vol. in-fol., 588 p. Il laisse soigneusement de côté ce qu’il y avait de plus contestable dans Sirmond : les premiers chapitres sur le prédestinatianisme « avant la lettre ». Moins au fait de l’histoire, le dominicain Piccinardi (voir ci-dessus, col. 2781), en 1686, se laissait encore persuader qu’il y avait eu une hérésie prédestinatienne parmi les moines d’Adrumète, qu’Évodius d’Uzala était l’auteur du 1. II du Prædeslinatus, que ce livre porté en Gaule y avait propagé l’erreur susdite. Bref, il prenait pour argent comptant la démonstration de Sirmond.

Les historiens sérieux en avaient désormais fait justice. Citons d’abord Petau, De incarn., t. XIII, c. vi-ix, qui, tout en conservant les cadres de Sirmond, fait une critique diligente des exagérations de son confrère ; Noris, dans son Historia pelagiana, parue en 1673, voir 1. IL c. xv, dans Opéra, t. i, col. 435-462, et dans son Historiæ Gottescalcanse synopsis, parue seulement après sa mort, ibid., t. iv, col. 681-718 ; et, pour ce qui est des « débuts du prédestinatianisme », la très sage appréciation de Tillemont : « On ne prétend pas que quelques particuliers, comme Lucide et Monime, n’aient pu tomber dans quelques-unes des erreurs qu’on reproche aux prédestinatiens. Mais le nombre en a été assurément très petit, bien loin qu’ils aient jamais formé une secte. » Mémoires, t. xvi, 1712, p. 20.

C’est l’exactitude de ce point de vue que va nous montrer une critique rapide des documents versés au débat.

II. Les arguments de chaque parti.

1° La thèse de Sirmond et les arguments qu’elle invoque. — Il a existé, dit Sirmond, au début du ve siècle, une hérésie, ou même une secte de prédestinatiens, affirmant la double prédestination dans le sens absolu que nous avons marqué au début de cet article, et tirant — ce point est essentiel — de cette idée théorique une conséquence fort grave au point de vue moral. Cette conséquence c’est l’indifférentisme absolu. Si le sort de chacun de nous est irrévocablement réglé par un décret éternel, à quoi bon se préoccuper de perfection ? Quoi qu’il fasse, le prédestiné arrivera au salut ; quoi qu’il fasse, le réprouvé ira certainement en enfer. Cette hérésie a persévéré, de manière plus ou moins larvée, jusqu’au ixe siècle où Gottschalk l’a fait revivre. Sirmond n’ajoute pas, mais c’est à coup sûr sa pensée, que le protestantisme l’a reprise à son compte, comme aussi les jansénistes.

Cette thèse, Sirmond l’emprunte à Hincmar de Reims ; on la lit en effet en toutes lettres, au c. i du 2e (3e) Traité de la prédestination, composé par celui-ci

en 860, après le concile de Savonnière (Tullense I am) P. L., t. cxxv, col. 69-84 ; cf. Episl., ii, Ad Nicolaum papam, t. cxxvi, col. 44-46. Hincmar lui-même en avait trouvé le point de départ dans le Prædeslinutus qu’il a certainement eu en main (il le désigne sous ces expressions : Hyginus catalogum describens hæreseon) et dans un texte de Gennade qu’il lisait en appendice à un traité (pseudo-) hiéronymien sur les hérésies, auquel le prêtre de Marseille avait ajouté les hérésies suivantes : prædestinatiana, nesloriana, eutychiana, timotheana. P. L., t. cxxv, col. 70 CD.

Quoi qu’il en soit des origines plus ou moins lointaines de la thèse, Sirmond en voit la preuve dans les faits suivants.

C’étaient des prédestinatiens, sans le nom, que ces moines d’Adrumète, qui, comprenant de travers la doctrine d’Augustin, niaient toute existence du libre arbitre, et contre lesquels le docteur d’Hippone écrivit ses deux traités : De correplione et gralia et De gratia et libero arbilrio. C’est contre eux aussi qu’Évodius, évêque d’Uzala, écrivit à l’abbé du monastère d’Adrumète, Valentin (cf. P. L., t. xxxiii, col. 975, note a).

C’étaient des prédestinatiens que ces gens du midi de la Gaule, contre lesquels Prosper et Hilaire, vers 429, imploraient l’aide de saint Augustin. Si la doctrine de l’évêque d’Hippone sur la prédestination y rencontrait de l’opposition parmi les Massilienses, ce n’était pas seulement parce qu’elle était nouvelle, mais encore et surtout parce qu’elle était de nature à favoriser l’hérésie des prédestinatiens, qui déjà commençait à pulluler. Pour réfuter ces derniers, Augustin compose ses deux livres : De prædestinalione sanctorum et De bono perseverantiæ.

Mais l’action de l’évêque d’Hippone ne réussit pas à arrêter complètement l’erreur. Aussi Prosper et Hilaire, après la mort d’Augustin, s’adressent-ils au Siège apostolique, pour obtenir de lui la condamnation de l’erreur prédestinatienne. C’est bien elle que vise le pape Célestin dans sa fameuse lettre aux évêques de Gaule (Jaffé, n. 381), réprouvant les indisciplinalæ quæstiones que soulèvent des prêtres de leur obédience.

Avec le livre anonyme que Sirmond a appelé le Prœdestinalus, nous avons enfin un témoignage formel sur l’existence de la secte prédestinatienne et de ses agissements frauduleux, tout spécialement de la perversité qui a fait supposer par elle, sous le nom d’Augustin, un livre destiné à propager la fausse doctrine. (On voit que Sirmond prend pour argent comptant les affirmations de son anonyme.)

Presque au même moment, un chroniqueur du nom de Prosper, mais qu’il ne faut pas confondre avec Prosper Tiro, signale la naissance de l’erreur des prædeslinati : Prœdestinatorum hæresis, quæ ab Augustino accepisse initium dicitur, his temporibus serpere exorsa (il s’agit en fait d’une chronique gauloise sur laquelle on se renseignera dans l’édition de Th. Mommsen, Chronica minora, t. i, p. 617 sq. ; le texte est p. 656). Un témoignage analogue est fourni par la notice sur Yhæresis prædestinatiana signalée par Gennade dans la première des quatre notices qu’il a ajoutées au traité d’Augustin sur les hérésies.

L’histoire des démêlés du prêtre Lucidus avec l’évêque Fauste de Riez est plus instructive encore. Sans doute il ne nous reste de toute cette affaire que la lettre adressée par Fauste en 475 à Luciduse secla prœdestinatiana, le Libellus fidei rédigé par ce prêtre et présenté au concile d’Arles, et enfin la lettre de Fauste à Léonce d’Arles. Mais ces pièces, d’incontestable authenticité, sont plus que suffisantes pour nous faire découvrir dans le midi de la Gaule, à la fin du ve siècle, une véritable secte prédestinatienne. Fauste de Riez, dont on a cherché à suspecter les sentiments, était certainement orthodoxe, au témoingnage de Gennade