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PRÉDESTINATION. S. AUGUSTIN, LA RÉALISATION


quoi enim ex hac stirpe gratia Dei liberantut, a daiïùiatione uliquc liberantur, qua jam tenentur obstricti. I hid. L’humanité déchue et condamnée, expiant par sa perdition l’abus qu’elle fit, dés son aurore, de la plus noble de ses prérogatives, tel est donc le théâtre où s’opère la prédestination. Cette massa perditionis est sa materia circa quam. Car, ici, le plan divin relatif au salut des hommes diffère du plan relatif au salut des anges. Dans la masse de perdition angélique, Dieu, pour des raisons qu’il ne nous appartient pas de conjecturer, n’intervient plus qu’en tant que juge, ce qui ajoute une profondeur nouvelle au mystère du choix. Car pourquoi sa toute-puissance a-t-elle entrepris de libérer les hommes et non les anges ? O altitudo !

Dans l’étude de la prédestination éternelle l’action divine était’seule en jeu. Mais voici qu’elle rencontre d’une manière, encore à préciser, l’action humaine. Nous aurons doncà les considérer l’une et l’autre, et dans leurs rapports et cela dans chacune des phases de la prédestination se réalisant dans le temps.

2° Le terme de l’action divine dans la réalisation de la prédestination. — Une précision s’impose. Quelle est donc cette action divine dont nous examinons l’effet ? Est-ce l’action créatrice dont les divers résultats, tel notre libre arbitre, entrent certainement en jeu dans l’économie salutaire ? Est-ce l’action divine qui restaure Tiotre nature blessée depuis la chute et qui l’élève à l’ordre proprement divin auquel elle fut appelée dès le premier jour, en d’autres termes est-ce la grâce sanctifiante, à la fois sanans et elevans ? Ou s’agit-il seulement de ces secours généraux et extérieurs que les semi-pélagiens et les pélagiens eux-mêmes admettaient sans difficulté ?

Certes, cette multiple intervention de Dieu est à sous-entendre, mais plus formellement, c’est de la grâce actuelle, soit opérante, soit coopérante qu’il s’agit : Hœc autem gratia qua virtus in infirmilale perficitur, prœdestinatos et secundum propositum vocatos (Rom., viii, 28) ad summam perfectioneni glorificationemque perducit, qua gratia agitur non solum ut facienda noverimu.s, verum etiam ut cognita faciamus, nec solum ut diligenda credamus, verum etiam ut crédita diligamus. De gral. Chrisd, xii, 13, t. xciv, col. 3(17 ; cf. Epist., ccxvii, 12, t. xxxiii, col. 983. C’est par l’action de cette grâce que Dieu accomplit ses desseins ; c’est elle qu’Augustin avait défendu contre les pélagiens qui en niaient opiniâtrement l’existence et qu’il défendait encore contre les semi-pélagiens qui en discutaient l’efficacité.

Quel est, cependant, le rôle assigné par le docteur d’Hipponc à la grâce ainsi précisée ? C’est d’abord, d’une façon générale, la réalisation des promesses divines : Promisil quod ipse faclurus fueral… Abraham credidit dans gloriam Deo quoniam quæ promisit polens est et facere (Rom., iv, 16-21). Non ait « priedicere » non ait « præscire » nam et aliéna facta potest priedicere atque prœscire : sed ait « polens est et facere », ac per hoc facta, non aliéna, sed sua. De præd. sanct., x, 19, t. xliv, col. 975. Par où l’on voit la part active que Dieu prend à l’exécution de ses desseins. Il ne se contente pas d’en prédire ou d’en prévoir la réalisation par d’autres que lui, il opère lui-même cette réalisation. C’est là le rôle de sa grâce, laquelle ne va, en définitive, qu’à la conversion de l’homme pécheur, à la justification de l’impie pour une vie désormais méritoire. Epist.. ccxiv, 4, t. xxxiii, col. 970.

Mais, d’une façon plus particulière, où portera, si l’on ose dire, l’effort divin ? On sait que dans l’économie présente du salut, il a un caractère réparateur. C’est la liberté humaine qui causa la chute originelle, et en fut la première victime, c’est elle qui a principalement besoin de secours. Voilà pourquoi Dieu lui donne sa grâce. Augustin fait consister en cela même

la préparation de la volonté dont il parle si volontiers. Cette préparation est l’indispensable condition de notre propre activité surnaturelle, le premier objet de notre prière : Certum est nos mandata servare, si volumus : sed, quia volunlas præparatur a Domino, ab ill>> pelendum est ut tantum velimus quantum suffleit ut volendo faciamus. De qrat. et lib. arb., xvi, 32, t. xi tv col. 900.

On le voit, le saint docteur ne songe aucunement à nous rendre purement passifs, tandis que notre propre salut s’opère, (.’est bien nous qui observons les commandements qui sont la voie de ce salut : Certum est nos mandata servare. Et il suffit pour cela que notre volonté s’y porte : si volumus. Mais parce que cette volonté nous vient de Dieu, il nous faut la lui demander dans toute la mesure nécessaire à cette observation. Plus formellement encore, il écrit : Certum est nos velle, cum volumus ; sed ille facit ut velimus bonum de quo diclum est : præparatur volunlas a Domino (Prov., vm, 35, d’après les Septante)…, de quo diclum est : Deus est qui operatur in vobis et velle (Phil., ii, 13). Ibid. Voilà donc comment il comprend cette préparation de la volonté. C’est une préparation radicale. Dieu ne nous donne pas seulement l’agir ou le faire, par exemple d’observer ses commandements, en donnant à notre volonté, principale ouvrière, une vigueur irrésistible, il nous donne cette volonté même, facit ut velimus. Notre vouloir est un effet de sa grâce, operatur et velle, quelle qu’en soit l’intensité ou l’efficacilé : …quamvis parva et imperfecla, non decrat (carilas in Pelro) quando dicebat Domino : « animam pro leponam (Joa., xiii, 37) ; putabal enim se posse quod se velle sentiebat. Et quis islain etsi parvam dure cceperat carilalem, nisi ille qui præparal voluntatem et cooperando perfuil quod operando incipil ? Ibid., 33, col. 901.

Ainsi, cette préparation par Dieu de notre volonté embrasse la totalité du vouloir. Sans elle l’homme ne ferait aucun acte salutaire, même inefficace. A l’origine de tout mouvement de notre volonté, il faut présupposer la grâce de Dieu comme en étant la cause, et, tandis que notre volonté continue à s’exercer, cette même grâce alimente, en quelque sorte, son exercice : Quoniam ipse ut velimus operatur incipiens, qui volentibus cooperatur perficiens. Ibid.

On comprend dès lors que le saint docteur se plaise à revendiquer, comme terme de l’action divine, la mise en branle de la liberté humaine et son exercice efficace. Il parle, certes, d’une coopération, mais uniquement pour écarter l’idée d’une attitude passive de la liberté humaine, comme, tout à l’heure, il disait : Certum est nos mandata servare, certum est nos velle. Il ne saurait s’agir d’une simple coordination d’activités : ce que montre bien la suite de sa pensée : Sine illo vel opérante ut velimus, vel coopérante cum volumus, ad bona pietalis opéra nihil valemus. Ibid. Doctrine précise et formelle qu’Augustin déclare tenir de l’Écriture : De opérante illo ul velimus, diclum est : « Deus est enim qui operatur in vobis et velle. » De coopérante autem cum jam volumus et volendo facimus : « Scimus, inquil, quoniam diligentibus Deum omnia cooperatur in bonum » (Rom., viii, 28). Ibid.

Ajoutons encore que, pour saint Augustin, cette préparation ne souffre aucune exception. L’Écriture lui apprend encore que même les volontés qui, apparemment, échappent à l’emprise de Dieu parce qu’il ne les a pas converties et prédestinées à la gloire, sont cependant à sa merci. Il fait d’elles ce qu’il veut, quand il veut, aux fins les plus variées et dont il demeure le seul juge. De grat. et lib. arb., xx, 41, t. xliv, col. 900.

S’il est ainsi le maître des volontés humaines, y compris celles des méchants, faut-il s’étonner de l’action directe de sa grâce sur le cœur des élus qu’il a déjà transformés ? Ibid., xxi, 43, col. 909.