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PRÉDESTINATION. LES DOCTEURS DU MOYEN AGE


semble que notre auteur hésite entre les deux. Mais on aura remarqué, dans les textes cités plus haut, avec quelle force et quelle clarté saint Anselme tient à certains grands principes, qu’il soutient d’ailleurs avec la presque totalité de ses prédécesseurs et de ses contemporains : tout bien venant de Dieu, la détermination libre salutaire qui est un bien en tout ce qui la constitue, vient toute de Dieu, comme elle vient toute de nous en tant que cause seconde ; cf. c. m. Autre principe énoncé au même endroit : ce n’est pas indépendamment de Dieu que cette détermination libre salutaire se trouve ou se trouvera en cet homme plutôt qu’en tel autre chez qui Dieu permettra le péché, dont la seule volonté de cet autre sera cependant cause.

II. Pierre Lombard.

Le Maître des Sentences conçoit la prédestination et la réprobation comme saint Augustin ; cf. / Sent., dist. XL : Prædeslinalione Deus ea præs’civil quæ fuerat ipse facturus ; sed prœscivil ea Deus etiam quæ non est ipse facturus, id est omnia mata. Prædestinavit eos quos elegit, reliquos vero reprobavit, id est ad mortem œlernam præscivil peccaturos. Dieu a prédestiné ceux qu’il a choisis (et l’on ne voit ici aucune passivité ou dépendance de la prescience à l’égard de quelque détermination d’ordre créé). Il n’a pas choisi les autres, il a prévu et permis leur persévérance dans le péché, qui mérite la peine de la damnation. De même, un peu plus loin, 2 : Cumque prœdeslinatio sil graiiæ præparatio, id est divina eleclio, qua elegit quos voluil anle mundi constitutionem, ut ail Aposl., Eph., i, 4, reprobatioe converso intelligenda est prœscientia iniquilatis quorumdam et præparatio damnalionis eorumdem… quorum allerum præscil et non prœparat, id est iniquiialem, allerum præscit et præparat, scilicet œlernam poenam.

La prédestination ne suppose donc pas la prévision des mérites, cf. / Sent., dist. XLI, 1 : Si autem quærimus meritum obdurationis et misericordiæ (seu prædeslinationis), obdurationis meritum invenimus, misericordiæ autem meritum non invenimus ; quia nullum est misericordiæ meritum, ne gralia evacuetur, si non gratis donetur, sed meritis redditur. Miseretur itaque (Deus) secundum gratiam quæ gratis datur ; obdural autem secundum judicium quod meritis redditur. P. Lombard se fait ensuite une objection prise d’une opinion admise par saint Augustin peu après sa conversion et d’après laquelle l’élection des uns et la non-élection des autres viendraient de certains mérites très cachés. Mais il répond que saint Augustin renonça ensuite à cette opinion (Retract., i, xxiii). Pierre Lombard insiste surtout sur ceci : Reprobatio non ita est causa mali, sicut prœdeslinatio est causa boni.

Quant à la volonté salvifique universelle, il la considère, / Sent., dist. XLVI et XLVII, non pas seulement comme Jean Damascène par rapport à la souveraine bonté de Dieu, mais aussi, comme Augustin, par rapport à la toute-puissance divine et à l’efficacité de la grâce. Le Lombard écrit : Quis enitn tam impie desipial, ut dicat Deum malas hominum voluntates, si volueril et quando voluerit et ubi volueril, in bonum non posse convertere ? I Sent., dist. XLVI, 2. Et donc, ajoute-t-il, lorsque nous lisons (I Tim., ii, 4) que Dieu veut sauver tous les hommes, il ne faut pas entendre que sa toute-puissance trouve un insurmontable obstacle en la malice de plusieurs ; mais il faut entendre avec saint Augustin que nul homme ne se sauve que Dieu ne l’ait voulu. Avec cela, P. Lombard maintient fermement aussi que Dieu ne commande jamais l’impossible, mais qu’il donne à tous la possibilité d’observer les préceptes et, par suite, celle de se sauver. En ce sens, il reconnaît, comme Augustin, que Dieu veut le salut de tous ceux qui ont à observer les préceptes, quoi qu’il en soit de la difficulté des enfants morts sans baptême ; cf. / Sent., dist. XLVI, 7 : Quod in Deo non

est causa ut sil homo deterior. Les deux aspects du mystère sont ainsi nettement affirmés par Pierre Lombard.

III. Alexandre de Hai.ès, dans sa Summa theologica, [ », q. xxviii, membr. i, a. 1-3, rapporte les définitions de la prédestination courantes chez les augustiniens, et qui ne supposent aucune passivité ou dépendance en Dieu. Un peu plus loin, membr. iii, a. 1, il se demande si les mérites sont cause de la prédestination, il répond : « Sous le nom de prédestination, on entend la préparation des secours divins, unie à la prescience, et ses effets : la grâce et la gloire, qui sera donnée aux élus. Or, les mérites ne sont cause que de la collation de la gloire, et non pas du choix éternel de Dieu, ni de la collation de la grâce. »

Si Alexandre, ibid., ad 2um, dit que « la prescience des mérites peut être raison de la collation de la grâce et de la gloire », il ne veut certes pas dire, comme les pélagiens, que le pécheur puisse mériter la justification, mais seulement s’y disposer sous l’influx de la grâce actuelle. Cette remarque est faite par les éditeurs des œuvres de saint Bonaventure, / Sent., dist. XLI, a. I, q. ii, scholion (Quaracchi), et ils notent qu’il y a accord sur ce point entre Alexandre de Halès, saint Bonaventure et Albert le Grand.

Cette doctrine s’éclaire par ce qu’Alexandre dit plus loin, q. xxx, a. 1, et q. xxxi, De dileclione divina, membr. m : Ulrum Deus omnem creaturam œque diligat, et q. xxxii, membr. i : Ulrum inler iwmines Deus plus diligat præscitum qui est in præsenli juslilia, quam prædestinalum nunc existenlem in peccato. Il répond d’après le principe : Dieu aime davantage ceux auquels il veut plus de bien ; et nul ne serait meilleur qu’un autre, s’il n’avait été plus aimé de Dieu.

IV. Saint Bonaventure conserve la définition augustinienne de la prédestination : / Sent., dist. XL : la préordination des élus à la gloire, avec prescience des secours qui les y feront certainement parvenir, préordination qui suppose élection.

L’élection suppose elle-même une dilection gratuite et spéciale, qui appartient non seulement à la volonté salvifique antécédente, mais à la volonté conséquente ; cf. ibid., a. 3, q. i. Bonaventure enseigne nettement, ibid., le principe de prédilection ; comme saint Albert le Grand et saint Thomas, il tient que la prédilection divine, à l’opposé de la nôtre, est cause de la bonté plus ou moins grande des créatures et des élus. C’est le grand principe traditionnel : nul ne serait meilleur qu’un autre, s’il n’était plus aimé de Dieu : Eleclio duplex est : quædam, quæ causatur a diversilate et prætminenlia eligibilium, et hœc consequitur eligibilia, ut eleclio humana ; quædam, quæ est ratio diversitalis in eligendo, ut divina, et hœc est dissimilium, non quæ sunt , sed quæ futura sunt. Et lalis præcedil et est œlerna. 1 Sent., dist. XL, a. 3, q. i, n. 4. Les éditeurs de Quaracchi ajoutent, ibid. : Et confirmatur conc. Arausic. II, can. 12 : Taies nos amat Deus, quales fuluri sumus ipsius dono, non quales sumus nostro merilo. Les textes de saint Bonaventure relatifs au principe de prédilection sont très nombreux, cf. édit. de Quaracchi, index au mot Dilectio. Il n’y a donc aucune passivité ou dépendance dans la prescience à l’égard d’une détermination libre salutaire d’ordre créé.

A la lumière de ce principe, que répond-il à la question : les mérites prévus sont-ils cause de la prédestination ? Il répond, / Sent., dist. XLI, a. 1, q. i : La prédestination comporte trois choses : un dessein éternel, puis comme effets : la justification et la glorification. Or, les mérites des élus sont cause de la glorification qui les suit, mais non pas du dessein éternel, qui les précède. Quant à la justification, elle ne peut être méritée ex condigno, mais seulement ex congruo, d’un mérite improprement dit ; en tant que Dieu ne refuse pas la grâce sanctifiante au pécheur qui fait ce qui est