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vation du mystère dont nous cherchons une « certaine intelligence.
Si donc le théologicr est attentif, il remarque (m’en cette difficile question, comme dans tous les grands problèmes philosophiques et théologiques, l’esprit humain, voulant systématiser, et oubliant que l’esprit de synthèse est supérieur à l’esprit de système, s’est porté d’abord vers une thèse extrême, parfois d’apparence profonde, mais en réalité superficielle, comme le pélagianisme et le semi-pélagianisme, puis par réaction vers une antithèse non moins extrême et non moins superficielle, comme le prédestinatiaoisme et les erreurs qui l’ont renouvelé.
Le théologien doit noter ensuite les essais de conciliation proposés par l’éclectisme, qui choisit sans principe directeur ce qui paraît vrai des deux côtés opposés, et par là il pressent que la solution est non pas seulement au milieu des erreurs extrêmes, mais très au-dessus d’elles, et au-dessus aussi des conciliations éclectiques, comme un point culminant qui n’est atteint que par les grands docteurs à la fois spéculatifs et contemplatifs, nourris de la substance de l’Écriture et de la tradition.
Tandis que l’éclectisme reste à mi-côte, ces grands docteurs parviennent à la synthèse supérieure, qui concilie les divers aspects du réel, à la lumière des principes les plus élevés et les plus universels.
N’est-ce pas ce qu’a fait saint Augustin, et d’une façon plus précise saint Thomas lorsqu’il a montré toute l’élévation et l’universalité du principe révélé : l’amour de Dieu est cause de tout bien ; d’où il suit, d’une part, que Dieu veut sauver tous les hommes, en donnant à tous la réelle possibilité d’observer ses préceptes, et d’où il suit, d’autre part, que nul ne serait meilleur qu’un autre s’il n’était plus aimé par Dieu ? I a, q. xx, a. 3 et 4.
Nous allons revenir à ces principes pour établir la classification des divers systèmes théologiques, qui nous montrera mieux le point culminant du mystère. Disons seulement que souvent, après la découverte d’une synthèse vraiment supérieure qui sauvegarde toute l’élévation de la parole de Dieu, l’esprit humain comme fatigué redescend à mi-côte vers les combinaisons plus ou moins arbitraires et les fluctuations de l’éclectisme, qui substitue à l’obscurité divine du mystère une apparente clarté sans réel fondement. D’où la nécessité de revenir à l’enseignement des grands docteurs, qui ne furent pas seulement des historiens érudits et d’habiles dialecticiens, mais par les dons du Saint-Esprit de grands contemplatifs tout pénétrés de la parole de Dieu.
Très certainement on n’aurait pas une intelligence vraie du mystère de la prédestination en diminuant l’infinie miséricorde soit à l’égard de tous les hommes (volonté salvifique universelle), soit à l’égard des élus (gratuité de l’élection), ou en diminuant l’infinie justice qui distribue à chacun ce dont il a absolument besoin et qui ne saurait punir pour des péchés inévitables, qui ne seraient plus dès lors des péchés.
Au cours de sa recherche, le théologien ne doit pas oublier non plus que plusieurs grands contemplatifs ont déclaré, comme sainte Thérèse, avoir d’autant plus de dévotion aux mystères de la foi que ceux-ci sont plus obscurs, parce que fides est de non visis, et cette divine obscurité vient non pas de l’absurdité ou de l’incohérence, mais d’une trop grande lumière pour nos faibles yeux. Le théologien doit se souvenir enfin de ce que disent les plus grands spirituels, comme saint Jean de la Croix, au sujet des purifications passives de l’esprit, où le mystère de la prédestination apparaît généralement dans toute son obscurité transcendante, pour obliger l’âme éprouvée à s’élever au-dessus de toutes les conceptions humaines et de leur apparente clarté, et à s’abandonner parfaitement à
Dieu dans la pure foi, la confiance filiale et l’amour. Saint Thomas nous dit aussi, II a -Il » q. viii, a. 7. que le don d’intelligence purifie l’esprit du croyant, et donc du théologien, de son attache excessive aux images sensibles et de ce qui l’incline à l’erreur, pour lui faire pénétrer, sous la lettre de l’Écriture, l’esprit des mystères selon toute leur élévation surnaturelle. Telle est la voie non plus seulement de la spéculation théologique, mais de la contemplation, où aucun des aspects du mystère ne se trouve indûment limité par l’étroitesse du raisonnement. C’est ce qui montre que, particulièrement en ces hautes et difficiles questions, il faut lire surtout les grands théologiens qui furent aussi de très grands contemplatifs, ceux qui ont excellé dans les deux sagesses dont parle saint Thomas, Ila-II*, q. xlv, a. 2, la sagesse acquise secundum perfeelum usum rationis et le don de sagesse, principe d’une connaissance quasi expérimentale, fondée sur l’inspiration spéciale du Saint-Esprit et sur la connaturalité de la charité avec les choses de Dieu. N’est-ce pas à cela que fait allusion le concile du Vatican dans le texte cité plus haut : Lutio quidem fide illuslrata cum sedulo, pie et sobrie quæril, aliquam Deo dante mysteriorum intelligentiam eamque fructuosissimam assequitur ?
On n’est plus alors porté à dire qu’il est inutile de penser à ces mystères impénétrables ; on voit, au contraire, que c’est à eux que tout aboutit et qu’ils sont de plus en plus l’objet de la contemplation au fur et à mesure que le Seigneur purifie les âmes.
III La classification des systèmes théologiques. — La doctrine révélée de la prédestination et de la volonté salvifique universelle apparaît ainsi comme un sommet qui s’élève au-dessus de deux précipices : le pélagianisme et le semi-pélagianisme d’une, part, le prédestinatianisme de l’autre.
1° Classification des systèmes.
Il sera plus facile
ainsi de voir en quoi s’opposent les divers systèmes théologiques. Il ne paraît pas errené de dire que sur un des deux versants de ce sommet, à mi-hauteur, se trouve le molinisme, un peu plus haut le congruisme de Suarez ; sur le versant opposé, l’auguslinisme et le thomisme rigides, qui atténuent, semble-t-il, la volonté salvifique universelle en faisant consister la réprobation négative dans l’exclusio positiva a gloria tanquam a beneficio indebilo ; entre les deux versants, toujours à mi-côte, l’éclectisme des congruistes de Sorbonne, qui ont admis l’efficacité intrinsèque de la grâce pour les actes salutaires difficiles et non pas pour les actes faciles.
Au-dessus de ces divers systèmes, le sommet de l’élévation apparaît inaccessible au vialor, à toute intelligence créée, même éclairée par Ja lumière surnaturelle de la foi et celle des dons du Saint-Esprit. Pour voir ce point culminant, il faudrait avoir reçu la lumière de gloire, voir immédiatement l’essence divine, la Déité, qui contient, eminenler /ormaliter, sans aucune distinction réelle, l’infinie miséricorde, l’infinie justice et la souveraine liberté.
Avant d’atteindre ce sommet, inaccessible au viator, une doctrine dirige sûrement vers lui et permet de le situer exactement sans le voir, c’est celle qui a recours aux principes les plus élevés et les plus universels, qui s’équilibrent mutuellement ; c’est la doctrine qui ne diminue en rien ces principes et par eux pressent où doit se trouver le point culminant, d’où ils dérivent et vers lequel tout converge.
Cette doctrine n’est-elle pas celle qui a pour principe supérieur : l’amour de Dieu est ta source de tout bien, et pour principes subordonnés qui s’équilibrent : d’une part, Dieu par amour rend l’obéissance à ses préceptes et le salut possibles à tous, et d’autre part : nul ne serait meilleur qu’un autre s’il n’était plus aimé