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    1. PROTESTANTISME##


PROTESTANTISME. LE CALVINISME, ÉVOLUTION

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entre théologie et philosophie, ajoute : En principe, la pensée protestante n’est liée à aucune philosophie officielle. En tait, le protestantisme a subi toutes les fluctuations des grands courants philosophiques qui se

sont fait jour au cours de ces derniers siècles. Jici’iic de théologie et de philosophie, 1923, p. 117.

2. L’action d’Auguste Sabotier. Tandis que le calvinisme franc us ; t Ut linsi discociï travaille affaibli la pensée allemande finit de le conquérir, grâce à un homme de très grande valeur intellectuelle, théologien subtil, historien averti, écrivain-né, véritable ouvrier des lettres, Auguste Sabatier.

Jusqu’en 189(i son influence s’était surtout exercée sur ses élèves et un groupe d’amis, Sabatier enseignant la théologie à l’université de Paris. Mais, en 1896, le grand public fit un accueil triomphal à son livre intitulé Hxquisse d’une philosophie de la religion d’après la psychologie et l’histoire. Sur l’action exercée par ce volume, nous pouvons en croire M. Ménégoz, qui l’appelle « le plus grand livre dogmatique de la théologie protestante depuis l’Institution chrétienne de Calvin ». Et, en effet, le calvinisme français est encore, à l’heure actuelle, sous l’influence directe de ce livre, qui. a presque relégué dans l’ombre celle du grand livre de Calvin. Il est donc important de connaître les idées fondamentales où s’appuie la dogmatique calviniste actuelle.

L’Esquisse est une adaptation à l’esprit français des multiples systèmes élaborés en Allemagne au xixe siècle. Ce fait, aujourd’hui reconnu, nous permet de répéter que le calvinisme actuel a fait preuve d’une originalité de pensée fort médiocre et, d’autre part, d’une incroyable soumission à la pensée de théologiens luthériens. Ainsi s’est accomplie la fusion des dogmatiques des deux sectes de la Réforme.

a) Sabatier analyse le concept de religion. A la manière de Schleiermacher, il y voit une création de la conscience, écrasée par le sentiment de sa détresse, et objectivant ses besoins et ses aspirations. Toute religion positive implique la notion de révélation. A la manière de Lessing, Sabatier réduit la révélation aux conceptions de plus en plus hautes que la conscience se crée à elle-même au cours de ses expériences. Toute religion positive enclôt sa révélation dans un livre, qui est pour le christianisme la Bible. A la manière de Lessing, Schleiermacher et RitschI, Sabatier ne conserve de la Bible que les pages utiles à nos âmes, qui présentent une valeur morale. Pour les autres, récits, histoires, décrets rituels ou formules dogmatiques, « l’esprit de vie n’est pas là ».

b) Sabatier analyse alors les concepts de miracle et d’inspiration, qui sont les motifs de crédibilité invoqués par les religions positives, et particulièrement le christianisme. Le miracle est ce que la piété admire et ce que la science refuse d’admettre. L’inspiration est une extase qui devient, par le travail de sublimation naturel aux « prophètes », une divine possession de l’homme par l’esprit créateur. Ainsi, la religion repose sur deux illusions. Voilà ce que la psychologie enseigne des origines de la religion.

c) Et voici ce qu’enseigne l’histoire : la loi des faits, c’est la loi de continuité par évolution (thèse de Hegel). II n’y a pas de commencements absolus. Tout va de l’imparfait vers une perfection indéfinie, qui peut-être ne se réalisera jamais en perfection totale. Or, la religion se donne comme un commencement, parfait dès son origine. C’est une contradiction à la loi de la marche du monde. Donc, il convient de prendre ce qui est le fond même de la religion positive (le dogme) et de montrer que, comme toute chose, il a été soumis au devenir.

Sabatier brosse alors un tableau fantasmagorique des étapes parcourues par l’idée de religion. L’histoire

nous montre la succession progressive de la religion primitive, inférieure et grossière, évoluée puis devenue bébrafsme, qui lui-même a évolué et est devenu le prophétisme, l’évangélisme et finalement le christianisme, foute cette histoire, dit Sabatier, aboutit à Jésus. Celui-ci a simplement réveillé la piété. Or, on a écrasé son œuvre sous une armature dogmatique.

Sabatier explique cette déformation par l’évolution de la primitive religion du Christ. Elle a changé, en passant par les étapes de la première génération chrétienne, puis celle de saint Paul, qui a systématisé ce qui était une ellusion du cœur du Christ, puis celle des évangéiistes, puis celle des philosophes helléniques et enfin celle des docteurs du haut Moyen Age. A travers toutes ces étapes se sont formées, cristallisées, enrichies et métamorphosées des formules théologiques et philosophiques, que l’on appelle des dogmes. Ils naissent d’un besoin de l’âme chrétienne. Nés du cœur, ils deviennent la proie de la raison, qui ratiocine sur eux selon des systèmes de philosophie régnants. Ils sont ainsi toujours retouchés, en fonction des systèmes en vogue. Ils sont donc relatifs et n’ont qu’une valeur de symbole. Ils demeurent comme des images toujours changeantes, qui reflètent des pensées toujours en devenir. Sont vivants les dogmes qui suivent ces modifications de la vie. Ceux que l’on a figés en des formules définitives sont déjà morts, étant inadéquats aux besoins des âmes toujours renouvelés. L’histoire enseigne donc l’origine humaine des dogmes.

Ces idées, Sabatier les défendit, les fortifia par d’innombrables articles qui accrurent son prestige et décuplèrent son action. Quand il mourut (1901), il avait réellement modifié le calvinisme traditionnel. Après la mort de Sabatier, on fit paraître de lui, en 1904, un ouvrage non moins essentiel, intitulé Les religions d’autorité etla religion de l’esprit.

Les religions d’autorité, on s’en doute bien, c’est d’abord le catholicisme, dont les deux organes d’autorit é sont le pape infaillible et l’Église divine. Sabatier prétend exorciser ces deux fantômes par l’histoire, en montrant l’évolution des idées qui les a naturellement fait éclore. L’infaillibilité pontificale, Sabatier prétend en fixer les origines humaines, après avoir établi qu’elle était étrangère à la première communauté chrétienne. L’Église divine : Sabatier prétend qu’elle n’a rien de divin, étant une création assez tardive du labeur ecclésiastique et clérical. Le Christ ne l’a ni voulue ni instituée ; les théories pauliniennes l’ont à peine dégrossie ; les traditions juridiques gréco-romaines ont assuré son organisation ; les événements historiques du Moyen Age ont défini son armature. Quant à ses organes essentiels, épiscopat et papauté, l’histoire en montre les origines humaines et la formation tardive.

Telle est la partie critique où Sabatier prétend avoir raison du catholicisme « religion d’autorité >-. II y a une autre forme d’autorité : celle qui est donnée non à des hommes, mais à un livre. Ainsi du protestantisme, qui n’admet que l’autorité de la Bible. Sabatier examine la valeur de ce livre et établit l’illusion de cette autorité. On apprend alors que la Bible est d’origine purement humaine, que son seul but était d’ordre pratique, créateur de vie et non règle de foi, que le canon des Testaments est sans valeur, que doit être regardé comme divin tout livre profitable à la piété, que doivent être exclus de ce canon tous autres livres, mais qu’on peut introduire dans le catalogue sacré d’autres œuvres étrangères, telle l’épître de Polycarpe, où circule une inspiration plus apostolique que dans la seconde épître de Pierre. La conclusion est que nulle autorité externe (institutions, hommes ou livres) n’est productrice de la vraie religion et que la seule autorité de l’esprit, c’est-à-dire de la voix de la conscience et du sentiment, doit décider les âmes religieuses.