Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 13.1.djvu/459

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

903

    1. PROTESTANTISME##


PROTESTANTISME. RÉACTION CONTRE L’ANARCHIE

904

Il affirme que <’esl Dieu, au contraire, qui, du dehors, produit en nous une » expérience de sa présence aussitôt que, conscients de notre lai blesse nous recherchons un appui moral.

Quant au Christ, les modernes libéraux n’ont réussi qu’à défigurer sa physionomie et sou rôle, parce qu’ils sont les esclaves d’une théorie métaphysique et historique dont Hegel est le grand responsable ; tout devient, rien n’est ; les ehoses vont du plus bas degré de l’être vers leur perfection : c’est la loi de l’évolution progressive. On ne peut admettre qu’une chose soit, dés son principe, parfaite et échappant des lors à l’évolution universelle. Les commencements absolus sont inintelligibles. Ainsi, la figure du Christ ne fut pas celle de l’homme parlait, puisque l’homme va toujours vers sa perfection ; son enseignement ne fut pas définitif, puisque les choses parcourent des étapes nécessaires ; les dogmes chrétiens ne furent pas, dès l’abord, parfaitement définis, puisque la réalité n’est qu’un mouvement, un tourbillon. Barth n’hésite pas à renverser ces idoles. Le Christ, dit-il, est bien un commencement absolu, comme l’a été sa doctrine, comme le fut toute définition religieuse par lui donnée à ses apôtres. Ce qui fait la transcendance du christianisme, c’est précisément ce caractère d’immédiate et absolue perfection, qui ne s’explique donc pas par le développement progressif des aspirations de la conscience, se créant, peu à peu, à elle-même, ses réalités divines. Barth a rétabli les droits de la science objective, et son originale hardiesse consiste encore à libérer cette science des textes sacrés de toutes les entraves qu’un Luther avait arbitrairement forgées de toutes pièces. Il n’est pas nécessaire de poser comme principe préalable de l’explication scripturaire que le tout de l’Évangile et des épîtres est d’enseigner le salut par la foi seule, ni que saint Paul s’oppose à Jésus, ni que le Christ de l’Évangile est différent de celui des épîtres… Barth se libère de ces prétendus axiomes et, par là, rend un signalé service à l’exégèse véritablement indépendante et réellement objective.

Quand on connaît la faveur qui a accueilli ces nouveautés hardies, il est permis de penser qu’une nouvelle étape peut être parcourue par la pensée luthérienne. L’objectivisme rallie des disciples de plus en plus nombreux. A côté de ce courant purement théologique, on peut discerner un effort parallèle, dans le domaine de la philosophie, afin de discréditer le subjectivisme outrancier du système kantien. A la tête de ce mouvement, le docteur Karl Heim se fait remarquer par son habileté et sa ténacité. Il en veut à Kant d’avoir soulevé des problèmes qui n’en sont pas et d’avoir créé des difficultés que la réalité m comporte pas. Entre le moi et le non-moi, quelle que soit son essence, ne cessent de s’établir des contacts directs, et Heim étend ceux-ci à la réa ité divine elle-même. Le fameux pont qui nous séparerait de l’extérieur est un mythe. L’objet nous enferme de toutes parts, nous circonscrit, nous pénètre, et de même nous l’enfermons et le pénétrons. Ces contacts relèvent de l’aperception et, pour Heim, ils deviennent « certitude religieuse », et « foi chrétienne » quand ils s’établissent entre notre conscience et la personne de Jésus-Christ. Voir ses principaux ouvrages : Das Weltbild der Zukunft, Berlin, 1904 ; Glaubensgeivissheit, eine Vnlersuchung ùber die Lebensfrage der Religion, Leipzig, 1916, 1920, 1923 ; Leitfaden der Oogmatik, Leipzig, 1921-1923.

Nous pouvons ajouter à ce courant de réaction antisubjectiviste un nom catholique, car cet auteur a eu une profonde influence sur les écrivains protestants : celui de l’abbé Max Scheler, Vom Ewigen im Menschen. (Ce qu’il y a d’éternel dans l’homme). Ne retenons de sa démonstration de l’interpénétration du réel externe et de la conscience que ces lignes caractéristiques : « Il

va de soi que les besoins spécifiquement religieux ne peuvent être suscités que pal’des objets religieux déjà existant s et par la connaissance préalable de ces objets et que, par conséquent, ils n’expliquent d’aucune façon ces derniers. Les objets religieux existent d’abord, et ce sont eux qui éveillent dans l’homme le besoin de s’occuper d’eux, c’est-à-dire les aspirations et la nostalgie spécialement religieuses. Tout besoin doit et peut être expliqué, mais il n’explique jamais rien lui-même. > Ainsi, l’erreur de la théologie protestante moderne a été de s’ingénier dans le vide et de raisonner sur des illusions. Sa pensée gravite autour d’un « moi » s’appauvrissant de plus en plus. Elle se contente de répéter toujours les mêmes idées et n’a plus la force de s’abandonner courageusement à l’< être ». Quand on a vii, ainsi que nous l’avons montré plus haut dans un tableau un peu rapide, comment précisément, depuis Lessing, mais surtout depuis Schleiermacher et Ritschl en Allemagne, et depuis Sabatier en France, luthériens et calvinistes ont cru bon de renverser l’axe de leur foi chrétienne en faisant reposer celle-ci non plus sur l’étude directe des textes et des faits qui expliquent les cris de la foi, mais sur l’analyse de la conscience, d’où dériveraient toutes les manifestations de la croyance, on comprend que cette apologie un peu rude de l’ « être » et cette critique juste de l’illusion subjectiviste aient fait réfléchir les théologiens protestants sur la valeur de leur méthode psychologique.

4° Pareillement, plusieurs récentes professions de foi de personnalités considérables les incitent aujourd’hui à examiner plus impartialement la valeur de ce qu’ils appellent le principe essentiel de la Béforme : la liberté individuelle dans l’œuvre de la foi. C’est en 1911 qu’un professeur à l’université de Zurich, M. F. -AV. Foerster, publie un ouvrage intitulé Autorité et liberté, Lausanne (2e éd., 1920). (Voir un article chaleureux du pasteur Marc Boegner, dans Le christianisme social. 1922, p. 712-71C.) M. Foerster ne craint pas de signaler avec vivacité tous les méfaits de la liberté individuelle dans le domaine religieux. Elle produit le dilettantisme, oppose à l’expérience des siècles et au consensus sapienlium, son non-sens individuel, livre carrière aux bavards et aux cyniques, fait de l’acte religieux une sorte d’impressionnisme, aggrave la confusion des compétences et livre la parole sobre d’un sage aux élu cubrations séduisantes d’un rhéteur ou d’un illuminé et fait de la cité un chaos de disputes. Cela est contraire à la notion même d’Église : celle-ci comporte fatale ment et sagement une hiérarchie des valeurs et des ordres, les docteurs y ayant pour rôle naturel d’enseigner avec autorité ; les fidèles, celui d’accepter l’enseignement autorisé. M. Foerster convient que ces conséquences vont à rétablir le protestantisme dans un cadre fort voisin de celui du catholicisme. Mais il ne s’en émeut pas et il s’en félicite, bien au contraire ; car le concept protestant de liberté est une erreur manifeste. Il produit une religion « égocentrique, alors que la vie religieuse est d’abord la soumission du moi à une réalité supérieure, qui s’impose non à un individu, mais à un ensemble. Le protestantisme a méconnu le caractère universel de la religion quand il l’a réduite à une activité individuelle. De là découlent toutes les erreurs de la méthode protestante. L’individu juge, prétend juger pour lui, d’une manière souveraine, ce qui a été confié au sens de l’Église universelle. Les dogmes, les Écritures, appartiennent à une vie commune, non à un tribunal particulier. Celui-ci, quand il décide, le fait en conformité de la vie universelle de l’Église. Au rebours, la liberté protestante n’accorde de valeur qu’à ce qu’accepte le jugement personnel. C’est une méthode qui vicie la nature de son objet ; elle est donc elle-même radicalement fausse, et M. Foerster ne craint