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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 13.1.djvu/543

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    1. PRUDENCE##


PRUDENCE. DIVERSES ESPÈCES

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nement prudentiel est essentiellement réaliste : « ’est

le vrai pratique qu’il doit dicter ; c’est une action bien encadrée de ses circonstances réelles qu’il doit saisir avec netteté. Dès que l’esprit fait entrer en ligne de compte des événements hypothétiques, des vues à priori, des prévisions imaginaires, son discernement devient flottant, il s’agite dans le vide et porte à faux.

IX. Lks diverses espèces » k prudence. — La prudence est-elle une vertu strictement individuelle, faite seulement pour assurer la moralité personnelle ; ou bien, à côté de cette prudence individuelle, en existe-t-il d’autres qui envisagent nos rapports de conduite à l’endroit des différents groupes sociaux auxquels nous appartenons et des différentes fonctions que nous avons à remplir ?

L’homme ne vit pas seul ; il est englobé dans des groupements divers. Nous pouvons avoir à diriger et à commander, ou tout simplement à obéir. Ces groupes plus ou moins élargis qui enveloppent notre individualité ont respectivement leur but à atteindre et, par conséquent, une moralité collective dont nous ne pouvons nous désintéresser. Sans doute, quelques-unes de nos actions morales sont strictement privées, mais une foule d’autres ont un retentissement social. D’ailleurs, notre moralité privée elle-même n’est pas sans rapport, au moins indirectement, avec la moralité sociale. La question est donc de savoir si, outre la prudence individuelle qui dirige la moralité de chaque homme, il n’y a pas lieu d’envisager la nécessité d’autres prudences ordonnées à des discernements spéciaux, comme celui de gouverner, comme celui d’obéir, comme celui de diriger une famille, etc.

La prudence sociale.

Il s’agit ici d’une prudence

dont le discernement se rectifie sur un bien commun à « plusieurs ». Ce bien commun, ici, ce n’est pas le bien général de l’humanité. Il varie selon les différents groupements qui entourent l’homme ; celui-ci a une famille, une cité, une patrie ; il appartient à divers groupes collectifs. Chaque groupe a une directive d’ensemble vis-à-vis de laquelle chacun de ses membres doit être rectifié moralement.. Il est bien clair que la prudence de celui qui détient l’autorité et préside au bien commun doit porter plus loin que sa prudence strictement individuelle. On peut savoir se conduire et ne pas être apte à exercer l’autorité ; on peut être un honnête homme, un bon chrétien, et n’être qu’un mauvais administrateur. La prudence gouvernementale demande des savoirs multiples, une longue expérience des hommes, un sens avisé de l’intérêt général et une adaptation souple aux individus et à leurs ressources diverses : il y faut une sagacité toute particulière qui n’est pas l’apanage de tous. II-i-II 36, q. xlvii, a. 10 ; q. l, a. I.

Sans cloute, la prudence individuelle peut être une préparation lointaine à la bonne direction des autres, surtout s’il s’agit d’une direction où doit dominer le point de vue moral. Le vertueux, qui sait se. gouverner lui-même, est en soi plus apte à gouverner les autres que celui qui a peu de vertu ; mais l’un n’implique pas l’autre absolument. Des dons naturels heureux, assurant du savoir-faire et une compréhension des intérêts généraux, peuvent suffire, en dehors de la vertu personnelle, à exercer l’autorité. Ce n’est pas là un idéal, mais du moins c’est une preuve que la prudence

politique > diffère de la prudence individuelle. Au demeurant, commander aux autres et les diriger vers le bien commun et, à travers lui, vers leur bien personnel est, pour celui qui commande, une continuelle exhortation à prendre souci de sa propre moralité, afin que celle-ci concoure à la prospérité commune. II a -II

  • , q. xlvii, a. 10, ad 2um ; a. 11, ad 2um.

Il semblerait que cette prudence sociale dût être exclusivement dans le chef et quc le subordonné n’en

eût pas besoin, puisqu’il n’a qu’a se soumettre, se plier et obéir. Cependant, dit saint Thomas, si cette prudence sociale doit éminemment se trouver dans le chef, elle doit aussi se trouver dans le subordonné, qui a le devoir de bien obéir, d’obéir avec toute sa raison, avec un discernement éclairé qui lui dictera de servir le bien commun à travers les ordres du chef. Celui-ci décrète les lois, il est comme l’architecte qui conçoit le plan et l’impose. C’est donc en lui d’abord que doit être la prudence « politique » ; mais elle est, par dérivation, dans le subordonné qui, comme l’ouvrier, s’assimile le plan et l’exécute. Non pas que la prudence du subordonné soit identique dans ses formules et ses points de vue de discernement à celle du chef : le subordonné accomplit les actions que commande le chef ; mais le chef, en les commandant, s’inspire de raisons qui sont plus universelles que les raisons qui motivent la prudence du subordonné ; le même chef, en vue du bien commun, soumet à des obédiences diverses la multitude de ses sujets, semblable en cela — - pour reprendre la même comparaison — à l’architecte qui commande tous les ouvriers, lesquels exécutent le plan d’ensemble par des travaux différents. Ila-II*, q. l, a. 2, corp. et ad 2um.

Pour mieux saisir la nécessité et la nature exacte de la prudence « politique », chez le subordonné, il faut faire état d’une autre vertu qui lui est préalablement nécessaire : la justice « légale, par laquelle comme membre d’une collectivité, comme partie d’un tout, il ordonne ses activités, ses œuvres, son dévouement, voire sa moralité personnelle à l’intérêt général. Ce n’est pas le lieu de décrire de quelle façon et jusqu’à quel point il importe que s’accomplisse ce devoir. En tout cas, celui-ci est certain, et il n’est pas si facile. Pour certains caractères, individualistes à l’excès, ce souci du bien commun et cette active collaboration à l’intérêt général ne sont pas une tendance spontanée, il y faut un effort persévérant et l’acquisition lente d’une vertu éprouvée. Or. précisément, la prudence « politique » vient servir, par son discernement intelligent, les réalisations vertueuses de la justice < légale » qui observe les lois et obéit aux ordres de l’autorité. Elle est à la justice » légale ce que la prudence individuelle est aux vertus morales individuelles. ID-II*, q. xlvii, a. 10, ad lum.

La prudence du chef.

Le chef fait régner la

justice, qui a trait au bien commun, sous la direction de sa prudence. C’est pourquoi les vertus qui lui sont le plus nécessaires sont la prudence et la justice II a -II 1D, q. l, a. 1, ad lum. Ici, par justice, il faut entendre l’ordonnance de toutes choses à la prospérité du bien commun par les lois et commandements qui assurent cette prospérité. A ce bien commun, concourent tous les membres du groupe, et ils en reçoivent bénéfice pour leur bien personnel. Aussi, le chef doit-il viser à faire atteindre leur fin à ses subordonnés. Il est élevé au-dessus d’eux pour assurer leur perfection humaine et divine. Dans ses ordonnances, il aura soin de ne pas viser son intérêt propre, mais l’intérêt général et. en cette vue. l’intérêt bien entendu de ses sujets. Il s’affranchira de ses préjugés affectifs et de toute partialité, soucieux d’objectivité et d’une répartition équitable des bénéfices communs, des fonctions et des charges, selon les mérites, les qualités ou les aptitudes de chacun. Dans sa prudence, il aura une claire vue des possibilités et des ressources de ses inférieurs : on ne dirige pas d’une façon uniforme et automatique des hommes libres et très différenciés dans leur personnalité. Le chef d’un groupement à finalité morale, et surtout à finalité surnaturelle, doit s’aviser dctousles comportements et conditionnements de ceux qu’il dirige et qu’il doit conduire à leur perfection en assurant les intérêt s supérieurs du bien commun.