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RADBERT (PASCHASE)

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préoccupé. Mais il faut faire une place toute particulière à sa théologie de l’eucharistie. On sait comment Michelet présente Radbert sur ce point : il serait le créateur du dogme de la présence réelle : « Ce fut au ixe siècle, dit-il, Paschase Radbert, qui, le premier, enseigna d’une manière explicite cette prodigieuse poésie d’un Dieu enfermé dans un pain, l’esprit dans la matière, l’infini dans l’atome. Les anciens Pères avaient entrevu cette doctrine, mais le temps n’était pas venu. Ce ne fut qu’au ixe siècle que Dieu sembla descendre pour consoler le genre humain dans ses extrêmes misères, et se laissa voir, toucher et goûter ». (Michelet, Histoire de France, Paris, 1876, t. i, p. 238). Nous n’avons plus, grâce à Dieu, comme au temps du chanoine Corblet, à prendre au sérieux le lyrisme de Michelet ; la vérité est plus simple et plus paisible : en fait, Radbert est le premier qui ait composé une i monographie scientifique de l’eucharistie. » Lepin, op. cit., p. 6.

Aux articles : Etciiakistie et Messe de ce dictionnaire, l’œuvre de Radbert a été placée dans l’ensemble de la théologie eucharistique du ixe siècle ; et l’on a marqué l’importance de la controverse qui s’éleva alors. Certains, en effet, n’ont voulu voir dans cette agitation théologique qu’une simple querelle de mots. Il y a beaucoup plus : en réalité deux conceptions très différentes du mode de présence du Christ dans l’eucharistie, et subsidiairement, de la nature du sacrifice de la messe sont en conflit ; d’un côté : une conception n’alisle, accentuée : l’eucharistie nous donne le Christ lui-même, celle de Radbert ; de l’autre une conception, non pas symboliste, non pas sacramentaire au sens protestant, mais mystique : d’une manière infiniment mystérieuse, l’eucharistie nous met en contact avec la divinité, il s’y trouve une virtus divina, une substantia Dei, une potentia divina ; c’est la pensée de Ralramne et, avec des nuances, celle de Gottschalk.

Leur maître à tous est saint Augustin. S’il est permis de ramasser en quelques formules la pensée du docteur d’Hippone, on dira que pour lui l’eucharistie nous donne le vrai corps et le vrai sang du Christ, mais d’une manière spirituelle, sacramentelle, car il faut surtout éviter l’erreur des Capharnaïtes ; Augustin est donc réaliste et non pas symboliste, toutefois, la relation entre ce corps et ce sang du Christ présents dans l’eucharistie et le corps historique du Christ est peu indiquée : ce « réalisme spirituel » laisse en suspens plusieurs problèmes. D’autre part, la messe est le mémorial efficace du sacrifice rédempteur, mais il est évident que le Christ n’y souffre plus. Saint Ambroise apporte cette précision que la présence du corps et du sang du Christ dans l’eucharistie s’opère par une mutation, naturam convertere, mulare, mais il n’insiste pas. Il s’en faut donc de beaucoup que la question eucharistique ait été résolue par les maîtres et il y avait place après eux pour un important travail d’explicitation. S’appliquant à ce travail, nos théologiens du ixe siècle s’engageront sur deux lignes divergentes : Radbert, disciple d’Augustin, mais aussi d’Ambroise et d’Hilaire, poussant le réalisme dans le sens que nous allons étudier fera un peu étrangement figure de novateur ; ses adversaires, soucieux de sauvegarder le " spiritualisme » d’Augustin, auront de la peine à rester réalistes, et ils s’engageront plus ou moins consciemment dans une thèse dynamiste, d’après laquelle, ce n’est pas précisément le corps même du Christ que nous avons, mais bien plutôt une vertu qui en serait comme une émanation ou un prolongement.

La théologie de Radbert peut se rassembler sous ces trois titres : Qui est présent dans l’eucharistie ? Le Christ historique, en personne. — Comment cst-il présent ? Par mutation substantielle, il se rend présent d’une manière immatérielle. — Pourquoi cette pré sence ? Pour nourrir les âmes des justes et expier poulies pécheurs, sans toutefois souffrir de nouveau. — Cette dernière question ayant été étudiée à l’art. Messe (col. 1009-1022), nous n’y reviendrons pas. Mais il faut s’y reporter si l’on veut comprendre la connexion entre le réalisme de la < « présence » et le réalisme du « sacrifice ».

1° Qui est présent dans l’eucharistie ? — « Ce qu’il faut croire, dit Radbert, c’est que, après la consécration, il n’y a dans le sacrement rien d’autre que la chair du Christ et son sang. » Affirmation fondamentale maintes fois répétée ; mais en voici une autre, aussitôt après, »…pour parler d’une façon qui étonnera davantage, cette chair n’est autre que la chair née de Marie, qui a souffert sur la croix, et qui est ressuscitée. .. » Col. 1269 R. Sur le premier point Radbert ne pense pas qu’il puisse y avoir de difficulté, mais il n’avance la seconde affirmation qu’en la faisant précéder d’un ut mirabilius loquar, montrant la conscience qu’il a d’exprimer une vérité moins accessible ou moins universellement reconnue. De fait, c’est là-dessus que portera la controverse : aux objections des adversaires est toujours sous-jacente cette pensée que Radbert innove en posant si nettement l’identité du corps eucharistique avec le corps historique.

L’argumentation se déroule ainsi. Il est bien vrai que l’eucharistie est une figure et un symbole, mais non pas figure et symbole vides : elle est à la fois figure et réalité. Qu’est-ce, en effet, qu’un sacrement ? Sacramentum… est quidquid in aliqua eclebratione divina, nobis quasi pignus salutis traditur, cum res gesln visibilis longe aliud invisibile intus operatur, quod sancte accipiendum sil : unde et sacramenta dicuntur a secreto, eo quod in re visibili divinitas intus aliquid ultra seerctius jccil per speciem corporalem. Col. 1275 A. Un sacrement est donc toute action sanctificatrice de Dieu, cachée sous des apparences sensibles, un secret voilé sous un symbole. Ainsi, le baptême, la confirmation sont des sacrements ; l’Écriture sainte est un sacrement, parce que, sous la lettre des Écritures, l’Esprit-Saint agit efficacement ; l’incarnation aussi est un sacrement… Constatons en passant que la théologie sacramentaire est loin d’être achevée : tout ceci d’ailleurs dérive directement d’Isidore de Séville. Parmi tous ces sacrements ou gestes mystérieux de Dieu (sacramentum vel myslerium), il en est deux qui ont entre eux une étroite connexion : le baptême et l’eucharistie : Simili modo, et in baplisir.o per aquum r.c illo (Christo) omnes regenerainur, deinde virtute ipsius Christi corpore quotidie pascimur, et potamur sanguine. Col. 1277 A. Nous renaissons par le baptême, nous sommes nourris dans cette vie nouvelle par le corps et le sang du Christ lui-même, qui nous sont donnés dans l’eucharistie. Il ne faudrait cependant pas trop pousser la comparaison entre les ivu sacrements, sous peine de minimiser l’eucharistie. Radbert n’est pas tenté de ce côté.

Nous sommes nourris de l’eucharistie, mais il est évident que nous ne pouvons dévorer la chair du Christ avec les dents : Christian vorari fas dentibus non est. Col. 1277 C. Il est donc nécessaire que cette chair et ce sang nous soient donnés d’une manière figurative, sous un symbole qui ne répugne pas. Ainsi, l’eucharistie est une figure, un symbole, mais elle est aussi une réalité : quamvis myslerium hujusmodi res appellari debeat… figurant videtur esse… dum in specie visibili aliud intelligitur quant quod visu carnis et guslu sentitur. Ce mystère est une réalité qui s’exprime dans un symbole, mais qu’il soit une réalité on ne peut pas en douter : illud fidei sacramentum jure veritas uppellatur : veritas vero, dum corpus Christi et s/m guis virtutc Spiritus in verbo ipsius ex punis vinique substantia efjlcitur. Col. 1278 R.