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    1. RATIONALISME##


RATIONALISME. LE DEISME ANGLAIS

1740

sociale. Le progrès moral intérieur qui fait le vrai philosophe — il n’est plus question du saint : « l’idée de la sagesse n’est demeurée liée à celle, de la théologie que dans l’esprit des prêtres orgueilleux et de leurs imbéciles esclaves », Encyclopédie, loc. cit. — dépend uniquement des lumières de la raison. Plus un homme es1 éclairé, meilleur il est. « Plus vous trouverez la raison dans un homme, plus vous trouverez en lui de probité. Il est pétri, pour ainsi dire, avec le levain de l’ordre et de la règle ; il est rempli des idées du bien de la société civile. Le crime trouverait en lui trop d’opposition. » Cf. G. Lanson, La transformation des idées morales ri la naissance des morales rationnelles de 1680 à 1715, dans Revue du mois, janvier 11)10 ; P. Pellisson, La sécularisation de la morale au xviiie siècle, dans La Révolution française, 1903 ; La question du bonheur nu xviiie siècle, dans La grande revue, 1906 ; W. Menzel, Der Kampf gegen den Epicureismus in der franzôsisrhen Lileratur des xviii. Jahrhundcrls, Breslau, 1931.

3. La Nature remplace Dieu et la Providence.

La nature ! mot dont usent beaucoup les « philosophes », mais qui est vague. En laissant de côté ces sens : ce qui est spontané, primitif — l’ensemble des choses et des êtres, tels qu’ils nous apparaissent — l’ensemble des forces conscientes ou inconscientes qui conduisent un être vers sa fin, ils font signifier à ce mot — après Rabelais, Molière — d’abord l’ensemble des forces saines et vitales qui, dans l'âme comme dans le corps, appellent l’homme à une activité sans souffrances, sans sacrifices, qui satisfera son âme et son corps. « O Nature, dira Diderot, souveraine de tous les êtres, et vous, ses filles adorées, Vertu, liaison, Vérité, soyez à jamais mes seules divinités. Montre-nous, ô Nature, ce que l’homme peut faire pour obtenir le bonheur que tu lui fais désirer. » Évidemment, cet homme naît bon,

— il ne saurait être question du péché originel — et, comme il vient d'être dit, il n’a qu'à suivre la nature.

La nature, c’est encore cette puissance mystérieuse qui assure l’ordre du monde — le Système de la nature

— qui peut même en être l’explication ; puissance aveugle, que ne conduit aucun but moral ; immuable puisqu’elle régit tout suivant des lois nécessaires, suivant un invincible déterminisme. De cette conception des choses découlent ces conséquences : a) Le miracle est impossible, la providence particulière ne peut s’exercer et la prière est inutile. « Tu es en délire, écrit Diderot, Supplément au voyage de Bougainville, si tu crois qu’il y ait rien soit en haut, soit en bas, dans l’univers, qui puisse ajouter ou retrancher aux lois de la nature. » b) Les causes finales seront exclues du savoir. Elles ne sauraient entrer dans l’explication des choses, c) L’histoire se développe suivant des lois nécessaires, « qui découlent de la nature même des choses », et non suivant les volontés libres et morales du Dieu de l’Histoire universelle, d) Dieu est-il même nécessaire à l’origine des choses ? e) Kl l’homme est-il vraiment libre ?

4. La religion naturelle supérieure aux religions positives.

Niant tout le surnaturel, la révélation, le miracle et même la grâce, puisque l’homme se suffit à lui-même, les philosophes qui acceptent Dieu parlent de la religion naturelle ou du déisme. Au début du siècle, Pénelon écrivait : - l.es libert ins de notre temps se font honneur de reconnaître un Dieu créateur, dont la sagesse saute aux yeux dans sesouyrages, mais, selon eux. ce Dieu ne serait ni bon, ni sage s’il avait donné a l’homme le libre arbitre, c’est-à-dire le pouvoir de pécher, de renverser l’ordre et de se perdre éternel lement (on reconnaît ici l’objection que Bayle répète). En ôtanl toute liberté réelle, on se débarrasse de tout mérite, de tout blâme, de toul enfer ; on admire Dieu sans le craindre et on vit sans remords au gré de ses

passions. » Lit l'évêque anglican Gastretl : « Le déiste

est celui qui, admettant un Dieu, nie la providence… el ne se croit obligé au devoir que pour des raisons d’intérêt public ou particulier, sans la considération d’une autre vie. » Cité par É. Bréhier, loc. cit., t. ii, p. 323. Ces idées demeureront jusqu’au bout du siècle, celles des philosophes déistes, chacun d’eux leur donnant une nuance particulière.

Que sont donc les religions positives et, pour préciser, le christianisme ? Les religions positives ont pour origine, d’une part, l’ignorance des causes naturelles, de l’autre, l’ambition des prêtres et des rois. Elles ont été funestes à l’humanité. Cf. Encyclopédie, art. Prêtres : « Dieu est trop bon essentiellement, avait dit Bayle, Ce que c’est que la France toute catholique sous le règne de Louis le Grand, Saint-Omer, 1686, pour être l’auteur d’une chose aussi pernicieuse que les religions positives, il n’a révélé à l’homme que le droit naturel, mais des esprits ennemis de notre repos sont venus de. nuit semer la zizanie dans le champ de la religion naturelle, par l'établissement de certains cuit es particuliers, semence éternelle de guerres, de carnages et d’injustices. » Cf. Voltaire, Dictionnaire philosophique, art. Religion… C’est donc, un devoir de combattre les religions positives. Les attaques des philosophes portèrent en particulier sur les miracles rapportés dans l'Écriture. Ils en contestèrent ou la possibilité, ou l’authenticité, ou la possibilité de les constater, ou la valeur démonstrative.

5. La valeur absolue du droit naturel, fondé sur la raison et la nature souveraines — par elles-mêmes — en dehors de Dieu. Et par conséquent de la personne humaine. Parmi ces droits, celui de pratiquer la religion qui semble bonne. Ce droit impose l’obligation de la tolérance à tous. L’homme est indéfiniment perfectible, comme sa raison.

l.es philosophes n’affirmèrent souvent ces idées que sous des formes cachées, ou dans des ouvrages anonymes, craignant la censure et ses conséquences. Leurs rases furent multiples.

2° Première période, de 1715 à 1750. — 1. Le rationalisme anglais : le christianisme rationnel. — De 1715 à 173 1, c’est l’Angleterre qui donne le ton. Ses déistes s’y sont mis à l'école de Bayle, l’ennemi de la révélation et des dogmes, le champion de la raison et de la conscience ; ils vulgariseront ses thèses en Angleterre et plus encore en France où ils seront influents. Ils donneront à ces thèses cependant un aspect tout spécial, on l’a vu : ils les rattacheront aux Livres saints et aux croyances dont ces Livres sont la base. Convaincus que la raison et la conscience sont les lumières supérieures de l’homme, ils s’efforceront de ramener les enseignements de l'Écriture sur le plan de la raison et par conséquent le christianisme à la religion naturelle, ses preuves extrinsèques, prophéties et miracles, à des événements selon la nature, sinon ils les expliqueront par la faiblesse intellectuelle des croyants et l’imposture des prêtres. Les institutions religieuses qui se réclament du christianisme, le culte et le clergé, deviennent ainsi des institutions tout humaines et arbitraires. Vivant dans un pays où le clergé est richement doté et très influent, les déistes anglais, qui viennent la plupart des sectes dissidentes, sont violemment anticléricaux. Aucun d’entre eux cependant ne traite la question dans toute son ampleur. L’un s’en prend à tel caractère surnaturel du christianisme, un autre à tel autre.

a) Toland. Le premier en date des écrivains

déisles. qui vont cont iniier l'œuvre inaugurée par 1 1er berl « le Cherbury et Blount, est Toland (1669-1722). Irlandais catholique, il apostasie en Ecosse, et il arrive. bientôt au christ ianisme purement rationnel, dans son livre, Le christianisme sans mystères, Londres, 1696. Sa thèse est la suivante : Le christianisme vient de