Louis XIV, 1751, lui fournit l’occasion non de nier quelque dogme mais d’attaquer l'Église, ses chefs, ses moines, ses missionnaires, de l’accuser de superstition, de fanatisme. Le chapitre final lui est un moyen de rappeler que des moines et des missionnaires ont eu des querelles pendant plus de cent ans et d’exalter en conséquence la religion naturelle. L’Essai sur les mœurs, 1756, le Discours sur l’histoire universelle, sont également l’apologie de la tolérance et du déisme et une attaque contre la transcendance du christianisme. « Incapable de percevoir les grandes forces et, par elles, les grandes explications mystiques soit de race ou de nature, soit surtout de religion », Mornet, loc. cit., p. 83-84, Voltaire s’occupe de prouver que les hommes ont eu grand tort de se laisser duper « par les tyrans-rois et parles tyrans-prêtres ». Id., ibid. Ils ont été ainsi les victimes du fanatisme religieux et de l’intolérance. Quant au christianisme, sous des témoignages de respect, il le montre — avec quelque dissimulation — plus funeste que toutes les autres religions et à tout le moins n’ayant rien de bon qu’elles ne l’aient eu. Le salut des hommes sera d'écouter désormais les sages. Il se fait aussi, toujours pour combattre, poète philosophe, sans cesser cependant de détester la métaphysique. Il publie en 1756 la Loi naturelle, composée en 1752 et dont la morale toute déiste est : « Enfants du même Dieu, vivons au moins en frères ». Puis ce fut le poème sur le Désastre de Lisbonne, décembre 1755. "Voltaire n’avait jamais été optismiste, du moins à la façon dont l’avait été Malebranche. Cette fois, en face du mal dans ce monde, il voit « un terrible argument » contre la théorie providentialiste du Tout est bien. Il se refuse cependant à conclure sur les choses en soi : « Un jour tout sera bien, voilà notre espérance ». C’est également la leçon de Candide, 1759. Mais il est à Ferney ; il ose davantage. On est au plus fort de la mêlée, après la condamnation de l’Esprit et de l’Encyclopédie. Sans parler des petites pièces qu’il publie pour défendre les Cacouas, surnom que leurs ennemis ont donné aux philosophes, contre les attaques de Palissot, Le Franc de Pompignan, Fréron, ni de la Pucelle dont il donne en 1762 une édition définitive, d’où ont disparu les passages contre le roi mais non les impiétés ou les obscénités, il mène le combat par trois voies convergentes contre l’Infâme. Dès 1762, à propos des Calas, au nom de l’humanité et de la nature, du droit laïc, si l’on peut ainsi dire, il se fait l’apôtre de la tolérance, qui égalise les religions, et de l’unité religieuse dans le déisme. Cf. Traité sur la tolérance, 1763, en particulier, c. xxiii, Prière à Dieu. Puis il s’attaque aux Juifs, à l’Ancien Testament, qu’il arrange et au besoin travestit pour lui faire signifier contradiction, cruauté sans motif, absurdité, galimatias, obscénité. « Puisque, dit-il, Dîner du comte de Boulainvilliers, le christianisme est fondé sur le judaïsme, voyons donc si le judaïsme est l’ouvrage de Dieu. » Cf. le Précis de l’Ecclésiasle, le Précis du Cantique des Cantiques, dialogue entre le Chaton et la Sulamite, 1759, Sermon du Rabi Akeb, 1761, Satil, 1763 ; cf. également, Guénée, Lettres de quelques Juifs…, 1769, à qui Voltaire répondra par Un chrétien contre six Juifs, 1776, par des additions au Dictionnaire philosophique. Enfin, il attaque de front, non parfois sans avoir esquissé une révérence ou s'être dissimulé sous un nom d’emprunt ou l’anonymat ; l'Église est bien affaiblie, avec la destruction des jésuites. Vaincue sur ce terrain, elle est plus facile à battre sur tous. Il publie donc coup sur coup, Extrait des sentiments de Jean Meslier, 1762 ; Sermon des cinquante, 1762 ; Catéchisme de l’honnête homme ou Dialogue entre un caloyer et un homme de bien, 1763 ; le Dictionnaire philosophique portatiꝟ. 1764, ou « la raison paralphabet », auquel se mêleront des Questions sur l’Encyclopédie de 1770 et l’Opinion par alphabet, si bien que le Diction naire comprendra plus de cinq cents articles ; Questions sur les miracles, 1765 ; l’Examen important de milord Bolingbroke, 1766 ; le Dîner du comte de Boulainvilliers, 1766. Le christianisme, soutient-il, est déraisonnable et malfaisant. Ses croyances choquent la raison, et son fondateur est un paysan illettré. Si l’on juge de l’arbre à ses fruits, le christianisme est à rejeter : il n’a su apporter à la terre que la haine, la guerre, les ruines et de vaines disputes théologiques. Ses titres de créance : les miracles, impossibles puisqu’ils vont contre l’ordre des choses — et Voltaire a le sentiment de la fixité des choses ; le Dieu horloger la lui garantit — irréels, puisqu’ils n’ont jamais été rigoureusement constatés ; les prophéties, qui prêtent à Dieu un langage indécent et que l’on est obligé de torturer pour leur faire dire ce que l’on veut, et le judaïsme, son fondement historique, ne sauraient l’accréditer auprès des gens sensés. « Il est impossible que le point dans lequel tous les hommes de tous les temps se réunissent ne soit l’unique centre de la vérité et que les points dans lesquels ils diffèrent tous ne soit l'étendard du mensonge », Sermon des cinquante, début. La vraie religion ne serait-elle pas « celle de servir son prochain pour l’amour de Dieu, au lieu de le persécuter… au nom de Dieu ; celle qui tolérerait toutes les autres et qui, méritant ainsi la bienveillance de toutes, serait seule capable de faire du genre humain un peuple de frères » ? Dictionnaire philosophique, art. Religion, section première. Et ce fut ainsi jusqu'à sa mort dans ce que l’on a appelé la « Manufacture de Ferney ». Belin, op. cit., p. 253. Cf. en plus des ouvrages cités, le Manuel bibliographique de Lanson et Norman, L. Torrey, Voltaire and the English Deisls, 1930, et sur ce livre le compte rendu qu’en a donné F. Baldensperger, dans Revue de littérature comparée, 1931.
3. Écrivains de second plan. La secte holbachique. — Autour de Diderot et de Voltaire, de l’Encyclopédie et du Dictionnaire philosophique, des auteurs et des œuvres de moindre importance mènent le même combat, sans toutefois garder toujours la position du chef. C’est le cas d’Helvétius (1715-1771) et de d’Holbach. Voir leurs articles.
Compte seul, parmi les œuvres d’Helvétius, son livre de l’Esprit, 1758, dont il a été indiqué plus haut les conséquences pour l’Encyclopédie. Une direction nouvelle est donnée au mouvement philosophique. C’est le matérialisme en chose intellectuelle. L’homme n’est que matière ; tout vient à l’esprit de l’impression physique, de la sensation. Ce qui fait les différences entre les hommes, c’est que, sous l’influence de l'éducation, du milieu et des mœurs sociales, la sensibilité physique s’est développée différemment en eux. D’Holbach (1725-1789) est également matérialiste. Peu importe que Diderot, Naigeon l’aient aidé : les livres qui portent son nom sont violemment et obstinément dirigés « contre l’Infâme ». Pour cette guerre, il a recueilli tous les arguments des déistes ou matérialistes français et anglais. Dans son Antiquité dévoilée, 1766, 3 in-4°, se souvenant de Boulanger, Recherches sur l’origine du despotisme oriental, 1761 (posthume), il attribuait la naissance des religions à la crainte qu’avaient ressentie les premiers hommes en face des calamités et des catastrophes. Son Christianisme dévoilé, 1767, fait du christianisme la même critique que Voltaire, de sa source, l'Écriture sainte, de sa préparation, le judaïsme, de ses preuves historiques, de ses dogmes, de ses rites. Il déclare sa morale et son organisation dangereuses pour la société avec son idéal de vie ascétique et paresseuse, et son clergé autoritaire et fanatique. Et, tandis que sont publiées, 1768-1770, par lui, par Naigeon (1738-1810), ou Bordes (1720-1781) par toute la secte holbachique, « les capucins athées », comme dit (.ri mm, des brochures dont quelques-unes avaient