Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 13.2.djvu/184

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

1-781

RATRAMNE

1782

savons rien sur son activité extérieure et c’est uniquement par ses ouvrages qu’il nous est connu.

II. Œuvres. — Son œuvre conservée n’est pas très étendue : elle occupe dans Migne le tiers du t. cxxi, col. 9-346, et les pièces publiées ailleurs ne grossissent pas considérablement le lot ; mais elle touche à toutes les questions controversées du moment : Ratramne prend chaque fois une part active à la discussion. Esprit vif et pénétrant, il lance ses idées avec vigueur, il est discuté, combattu, mais il combat lui aussi ; cela naturellement lui vaut des adversaires mais aussi d’ardents amis et admirateurs, qui tiennent à connaître son opinion et la sollicitent. Moine de Corbie comme Radbert, et son disciple, puisque Radbert fut d’abord son écolàtre puis son abbé, il prend place en face de lui parmi les personnages qui font autorité ; il faut bien reconnaître que les deux « maîtres » ne sont pas souvent du même avis ; leur tempérament intellectuel est en effet assez différent : Radbert est plus réaliste, plus simpliste aussi, pourrait-on dire ; Ratramne est plus subtil, plus logicien, plus « théologien ». La différence apparaît surtout dans la manière dont l’un et l’autre prétendront suivre le « Maître » saint Augustin. La pensée intuitive et parfois un peu imprécise de saint Augustin prendra sous la plume de nos auteurs des contours plus fermes et plus accentués en sens divers. Par son réalisme un peu candide, Radbert sera mieux protégé contre les écarts que Ratramne par sa dialectique trop facilement poussée.

Trina Deilas.

L’archevêque de Reims, Hincmar,

trouvait malsonnante la conclusion de l’hymne Sanctorum meritis inclyta gaudia des premières vêpres du commun des martyrs, qui commence ainsi : Te trina Deilas unaque poscimus… L’expression paraissant chère à GottschalU, c'était une raison de plus pour la combattre. Ratramne écrivit là-dessus une Compilation qui ne nous a pas été conservée et dans laquelle il établit le caractère traditionnel de la formule. C’est Hincmar qui nous révèle l’existence de ce travail, dont il parle en termes méprisants dans le prologue de son De una et non trina Deilale, P. L., t. cxxv, col. 475 A. Ratramnus Corbeiæ monaslerii monachus ex libris bealorum Hilarii et Auguslini, dicta eorumdem detruncando et ad pravum suum sensum incongrue inflexendo… ex hoc volumen quantitatis non modicæ scribens ad Uildegarium Meldensem episcopum compilavit.

2° De corpore et sanguine Domini (P. L., t. cxxi, col. 125-170). — On sait comment la publication, en 844, du De corpore et sanguine Domini de Radbert (cf. art. Radbert) provoqua une controverse eucharistique importante. Le traité de Radbert est dédié à Charles le Chauve ; celui-ci, théologien à sa manière, comme l’avait été Charlemagne, institua une sorte d’enquête sur la question et Ratramne en particulier fut sollicité de donner son opinion, ainsi que le montre la lettre-préface de son ouvrage adressée au souverain. Radbert avait choqué les augustiniens de stricte observance par son « réalisme », par l’insistance qu’il mettait à affirmer l’identité du corps eucharistique avec le corps historique du Christ. C'était là, pensait-on, outrepasser singulièrement la pensée de saint Augustin. Celui-ci disait bien que l’eucharistie est à la fois figure et réalité, res et figura, mais il ne disait nullement que cette res fût la personne même du Christ historique. Ratramne entreprend donc de mettre les choses au point. Par un procédé de composition qui paraît un peu étrange, il pose le problème comme s’il s’agissait d'éviter deux erreurs contraires : d’après certains, il n’y aurait dans l’eucharistie aucun mystère, ne s’y produisant rien d’autre que ce qui frappe les sens ; d’après les autres, sous le voile des apparences, nous aurions réellement présent le corps même de Jésus, né de Marie et mort sur la

DICT. DIÎ TIIÉOL. CAT1I0L.

croix. La seconde opinion que Ratramne qualifie d’erreur est celle de Radbert, et elle est bien connue ; quant à la première, il semble qu’elle ait été inventée pour la symétrie, pour permettre à Ratramne de situer sa propre pensée dans un juste milieu. Pour lui, en effet, il est absurde de parler de « corps et de sang » du Christ si, après la consécration, il n’y a sur l’autel rien de changé, ces mots alors n’auraient plus qu’un sens métaphorique sans objet réel, ne serait-ce pas là un rationalisme inavoué, conservant le vocabulaire chrétien ? Mais d’autre part, la réalité cachée sous la figure ne saurait être le corps même du Christ historique.

En effet, le corps et le sang du Christ dans l’eucharistie sont appelés « mystères ». Qu’est-ce à dire, sinon qu’ils paraissent une chose aux sens, mais qu’ils en opèrent une autre intérieurement et invisiblement ? Sous le voile des choses corporelles une « vertu divine » est cachée : legumenlo corporalium rerum virtus divina secrelius salulem accipienlium /ideliter dispensât. Col. 147 A. L’eucharistie, ressemblant en cela aux autres sacrements, communique donc aux fidèles une réalité secrète qui est véritablement divine. Mais quelle est ici plus spécialement la « puissance divine » communiquée, qu’on appelle corps et sang du Christ ?

Ce serait une grave erreur de penser que c’est le Christ en personne. Prenant dans un sens tout différent un texte de saint Ambroise utilisé par Radbert, Ratramne pose cette affirmation : « Vraie était la chair du Christ qui fut crucifiée, mais sacramentelle est la chair du Christ que nous avons dans l’eucharistie : vera utique caro, quæ crucijixa, est, quæ sepulta est ; vere ergo carnis illius sacramentum. Col. 150 A.

Jésus a pu donner lui-même son corps, précisément parce qu’il ne donnait pas l'être historique de ce corps, de son corps charnel, vrai, tangible, sensible ; il donnait un élément spirituel de vie pour nourrir en nous ce qui est spirituel et divin : donc, quand nous disons que nous avons le corps du Christ, il faut entendre le mystère d’une présence purement spirituelle : l’eucharistie est le corps du Christ en ce sens que l’Esprit du Christ devient présent, /il (ou s/7) in eo spiritus Christi, id est, diuini potentia Verài. Col. 153 A. Il est assez piquant de remarquer que toute l’argumentation de Ratramne, augustinien s’il en est, est empruntée à saint Ambroise ; c’est qu’il s’agit de retourner contre Radbert les textes de l'évêque de Milan allégués par lui.

Ratramne n’est donc pas « symboliste ». Il affirme une présence spirituelle, une présence divine. Mais il faut reconnaître que l’on ne voit pas très bien comment cette présence est plus réelle dans l’eucharistie que dans les autres sacrements qui contiennent eux aussi une vertu divine, qui réalisent l’action de l’Esprit du Christ dans l'âme des fidèles. Il semble bien que pour lui le « sacrement » ou « mystère » eucharistique ne soit qu’une forme particulière de l’action de l’Esprit dans l'Église, dont il est dit qu’elle est le corps du Christ. Car, si Ratramne se fait de la présence eucharistique une idée qui paraît trop peu « réaliste », il se fait des « sacrements » en général une idée très haute : le secret du mystère divin, caché dans les choses sensibles est adorable ; les sacrements ne sont pas seulement des signes, ils contiennent réellement le mystère de la présence et de l’action divine dans les âmes, et l’on conçoit que l’eucharistie apparaisse ainsi comme le mystère par excellence, celui où la puissance de l’Esprit du Christ, du Verbe divin, se communique davantage.

La comparaison qu’il établit entre baptême et eucharistie nous permettra de mieux saisir sa pensée. Dans l’eau du baptême, il y a quelque chose de sensible, un élément fluide, sujet à la corruption et qui n’est capable que de laver le corps de ceux qu’on y

T.

X ! II

57.